DIVERSITE ET CAPACITES DE REGENERATION NATURELLE DU PEUPLEMENT LIGNEUX DANS LES SYSTEMES AGRAIRES
DYNAMIQUE DE LA VEGETATION LIGNEUSE ET DE LA REGENERATION NATURELLE DE L’ARBRE
Etat des lieux L
es investigations menées en Afrique de l’Ouest dans différents pays montrent que les avis sont partagés. Giffard (1974) constate que la couverture arborée avait régressé depuis trente ans dans toutes les régions au Sénégal. Elle avait même parfois disparu dans certaines zones sous l’effet de la péjoration climatique et de l’action de l’homme. Les domaines sahéliens, soudanien et guinéen étaient marqués par un endémisme spécifique. Samba et al., 2000, considèrent dans une étude au Centre-Nord du bassin arachidier dans le parc à Faidherbia albida, que 42% des espèces inventoriées ne pourront pas résister aux conditions écologiques et aux activités humaines et connaitront une diminution dans le temps (Ficus platyphylla, Aphania senegalensis, Diospyros mespiliformis…), certaines seront stables (Piliostigma reticulatum, Adansonia digitata, Faidherbia albida …) et d’autres auront une évolution croissante (Guiera senegalensis, Zizyphus mauritiana, Balanites aegyptiaca…). Boffa (2000) considère que les données quantitatives dont on dispose pour évaluer l’évolution de la régénération naturelle de l’arbre du point de vue de la densité, de la composition par âge et de l’extension dans l’espace sont limitées. Dans les paysages ruraux et selon les systèmes d’utilisation des terres, la densité a généralement diminué de façon importante, au cours des dernières décennies (Akpo et al., 2004), particulièrement depuis les sécheresses des années 70 (Tappan et al., 2004 ; Nicholson, 2000). Actuellement, une dominance d’arbres âgés et une absence de régénération naturelle pour plusieurs espèces sont constatées (Albergel et al., 1985 ; Dembélé, 1996). Cette situation est accentuée par les défrichements pour les activités agricoles avec l’augmentation de la population (Cabrera et al., 2008), l’exploitation anarchique du bois d’œuvre et de service (Faye et al., 2008) et la sécheresse (Diallo et al., 2011). Il s’en suit une régénération naturelle très aléatoire (Gijsbers et al., 1994) pour la plupart des espèces, notamment la reproduction par semis naturels (Ouédraogo et al., 2006) et aussi celle végétative (Vincke et al., 2010). Dans le terroir de Sob au Centre-Nord du bassin arachidier du Sénégal, la densité des arbres dans les champs est passée de 10,7 individus à l’hectare en 1965 à 8,3 en 1985 (Lericollais, 1989). Des recherches effectuées par l’ORSTOM à Fété Olé au Nord du Sénégal indiquent que la strate ligneuse, après une mortalité moyenne de 20 % en 1970-1973, nécessiterait probablement, pour se régénérer, une dizaine d’années dans des conditions de protection totale. Là où la mortalité a atteint 50 %, il faudrait 30 ans de protection totale pour ramener les peuplements ligneux au niveau de production d’avant 1970. Au Sénégal, Ndour et Sène (1992), Louppe et al. (1994), Sall (1996), estiment que la presque totalité des études conduites dans les parcs agro forestiers du bassin arachidier ont montré une baisse drastique de la densité à l’hectare des arbres, la disparition de plusieurs espèces, le vieillissement des parcs caractérisé par une quasi-absence de la régénération naturelle. Les principales causes de cette dégradation citées sont : la sécheresse (Tiffen et Mortimore, 2002), les pratiques culturales inadaptées, le surpâturage et les feux de brousse (Vincke, 1995 ; Diatta et al., 1998). A coté de ces travaux qui mettent en exergue une régression de la régénération naturelle de l’arbre, certains auteurs argumentent que les projets de développement en gestion des ressources naturelles (GRN) ont permis localement une dynamique des peuplements ligneux qui atténue la dégradation de la végétation (Botoni et Reij, 2009) inversant ainsi la tendance constatée par endroit (Olsson et al., 2005). Au Sahel, dans des régions à fortes densités de population, des formations naturelles disparues sont progressivement remplacées par des systèmes agro-forestiers : Zinder et Maradi au Niger (Toudou et al., 2008), Nord du Plateau Central du Burkina Faso (Ouédraogo et al., 2008), dans la plaine du Gondo au Mali (SahelECO., 2008). La comparaison des photos aériennes de 1975 avec des images satellitaires de haute résolution de 2005 pour les mêmes zones au Niger montre une forte augmentation des densités d’arbres dans les champs (15 à 20 fois plus d’arbres en 2005 qu’en 1975). Le reverdissement est évalué à au moins cinq millions hectares avec 200 millions d’arbres (Reij et al., 2009). Si les dimensions de la régénération naturelle sont moins impressionnantes au Sénégal en termes d’échelles, le développement d’initiatives locales existe dans certaines localités (Dieye et al., 2008). Au Sénégal, le PREVINOBA (Projet de Reboisement Villageois du Nord-Ouest du Bassin Arachidier) avec le développement de son volet recherche – action dans le département de Tivaouane, la densité à l’hectare de 9 arbres avant l’intervention du projet est passée à 27 de par l’adoption de la régénération naturelle assistée (RNA) par les populations (Diallo, 1992). Chez la plupart des espèces ligneuses qui connaissent une régression dans le milieu semi-aride (Diallo et al., 2011 ; Dieye et al., 2008) et aride (Vincke et al., 2010 ; Akpo et Grouzis, 1996b) le potentiel de régénération existe, mais se sont les perturbations environnementales et certains facteurs intrinsèques aux espèces qui compromettent leurs modes de reproduction. Les hommes et les animaux, la mécanisation, la baisse et la variabilité de la pluviométrique, la cueillette prématurée des fruits, les déprédateurs (termites, sautereaux) et la vieillesse des sujets sont des contraintes majeures à la régénération (Sene, 2000 ; Diouf, 2001). Au Sénégal et au Burkina Faso, les travaux de Lawesson (1990), Diatta (1998) et Nouvellet (1992) montre que l’évaluation de la densité des espèces multicaules telles que Combretum glutinosum, Combretum nigricans, Combretum micranthum, Guiera senegalensis et Heeria insignis, est parfois difficile pour savoir si plusieurs jeunes plants émergents appartiennent à la même souche. Il existe là une incertitude car l’idéal serait de travailler par souche.
Espèces ligneuses utilisées dans le reboisement
Des recherches conduites au Sénégal ont justifié le choix de certaines espèces dans les initiatives de repeuplement local. Il s’agit de Faidherbia albida (Samba et al., 2000 ; CNRF/ISRA, 1997 ; CNRF/ISRA, 1998), Balanites aegyptiaca (Akpo et Grouzis, 1996b) Acacia raddiana (Akpo et Grouzis, 1996b), Acacia tortilis, Acacia nilotica (ISRA/AHDIS, 1998), Maerua crassifolia (Diatta et al., 2007 ; Houmey V.K., 2012) dans la Centre-Nord du bassin arachidier et au Ferlo. Combretum glutinosum (ENSA-AGROCONSULT, 1998), Guiera senegalensis et Piliostigma reticulatum (Dossa et al., 2009 ; Kizito et al., 2006), Zizyphys mauritiana (ENSA-AGROCONSULT 1998) sont recommandées aussi au Centre-Nord, au Sud-Est et Sud-Ouest du bassin arachidier. Cordyla pinnata (Samba, 1997) et Parkia biglobosa (ISRA/AFRICARE, 1998) sont privilégiées dans le Sud du bassin arachidier. Le choix des espèces est guidé par leurs usages multiples notamment dans l’alimentation, la pharmacopée, le bois de chauffe, de service, le fourrage, et la fertilité des sols (Sene, 1994 ; Bakhoum, 1995 ; Akpo et Grouzis, 1996a ; Bakhoum et al., 2001 ; Akpo, et al., 2003). Les rôles que jouent certaines espèces dans le rétablissement de l’équilibre écologique (Kizito et al., 2006 ; Apko, 1992) et sur la vie sociale et économique des populations confèrent à ces dernières un privilège de préservation délibérée (Abdoulaye et Ibro, 2006). Chapitre II : La régénération naturelle de l’arbre : état des connaissances 31 Dans le Centre-Nord du bassin arachidier du Sénégal, Adansonia digitata, Zizyphus mauritiana, Balanites aegyptiaca et Tamarindus indica pour leur rôle économique (fruitiers) ; Faidherbia albida, Celtis integrifolia et Guiera senegalensis pour leur fonction fertilisante, Faidherbia albida et Celtis integrifolia prisées dans l’alimentation du bétail sont protégés (Samba et al., 2000). Au Niger dans les terroirs, des espèces comme Faidherbia albida, Adansonia digitata, Ficus platyphylla, Prosopis africana, et Piliostigma reticulatum présentant certaines vertus sont protégées et partant, épargnées de toute forme d’exploitation anarchique (Baoua, 2006). Dans les zones aride et semi-aride, Faidherbia albida, Guiera senegalensis, Balanites aegyptiaca, Moringa oleifera, Zizyphus mauritiana, Gardenia sp et Combretum aculeatum contrairement à Aphania senegalensis, Sclerocarya birrea, Diospyros mespiliformis, Ficus iteophylla et Parinari macrophylla sont les espèces qui n’ont généralement pas de difficultés de régénération naturelle (Toudou et al., 2008 ; Dieye et al., 2008 ; Sahel ECO, 2008 ; Ouédraogo et al., 2008)
GESTION DE LA REGENERATION NATURELLE DE L’ARBRE
Au Sénégal, Ndour (1997) et Fall (1999), ont définis plusieurs opérations à mener pour la pratique de la régénération naturelle afin de mieux répondre à la dégradation du peuplement ligneux. Il s’agit successivement du repérage, de la taille, du tuteurage, du marquage des jeunes plants, de l’installation de grilles en fer et de gabions qui les protègent. Ces opérations doivent nécessairement être accompagnées d’un entretien (désherbage) autour de la régénération pendant et après la saison de pluies pour éviter les attaques par les termites et la concurrence pour l’eau et les éléments nutritifs du sol. Clavreul, (2003) indique que l’arbre était bien intégré dans le système agraire mais à cause de la monoculture de l’arachide les paysans ont dessouché beaucoup d’arbres qui étaient utiles laissant la place au vent avec ses effets sur le sol et les cultures. A Fandène (Sénégal), la gestion de l’arbre dans le parc à Borassus aethiopium est régie par un code de conduite scrupuleusement respecté par les populations. Aussi l’exploitation des produits du rônier suit des règles bien précises qui fixent l’âge, la période et même les sujets à exploiter. La protection du peuplement ligneux notamment Faidherbia albida (Kadd) et Combretum glutinosum (Ratt) lors de la mise en œuvre du projet PREVINOBA (1986 – 1999) au Sénégal s’était inscrit dans une dynamique de restauration de l’équilibre des écosystèmes. Elle a contribué ainsi au développement des productions agricole et pastorale. Au Niger dans les régions de Maradi et Zinder, les paysans entretiennent et protègent les espèces ligneuses du terroir suite à la crise écologique des années 70 et 80. Cela explique la forte densité ligneuse actuellement constatée (Larwanou et al., 2006a). Dans la région de Bankass (Mali), et sur le plateau central du Burkina Faso, des résultats semblables sont observés (SahelECO, 2008 ; Ouédraogo et al., 2008). Au Sahel, les actions favorisant la régénération naturelle assistée sont le labour superficiel ou grattage, le labour de fin d’hivernage, le paillage du champ, le parcage des animaux et l’épandage manuel de graines forestières utilisées lors que le champ est dépourvu d’arbres. La pratique de la gestion de l’arbre dans les champs fait appel à différents types de coupe en fonction des objectifs recherchés. Il s’agit de l’élagage ou ébranchage, recépage ou abattage, émondage ou gaulage et l’écimage. Les périodes de taille ou de coupe des arbres favorables correspondent à la période dormante et après la fructification (Samaké et al., 2011).
Apport de la régénération naturelle de l’arbre
Le microclimat
L’arbre contribue à tempérer l’évapotranspiration et la température en zone aride (Le Houerou, 1979) ; Niang, 1992). Akpo et Grouzis (1993) attestent que sous Acacia tortilis au Nord du Sénégal, en milieu de journée et en plein feuillage, le rayonnement global peut être réduit à hauteur de 80%. L’arbre joue un rôle modérateur sur les amplitudes thermiques journalières par une élévation des minima et un abaissement des maxima (Belsky et al., 1989 ; Dancette et Niang, 1979). En saison sèche et en période de feuillaison, l’évapotranspiration potentielle est réduite de moitié (50%) ; elle est ramenée à 10% pendant la saison des pluies dans un parc à Faidherbia albida de 25 à 30 individus à l’hectare (Schoch, 1966). La régénération naturelle de l’arbre peut jouer l’effet brise-vent d’après certaines observations faites en zone semi-aride par la réduction des risques liés aux vents violents de saison des pluies et aux vents érosifs de saison sèche (Michels et al., 1998 ; Banzaf et al., 1992 ; Sanogo, 2000). Une étude menée dans le Nord du Burkina Faso a montré que la présence de 6 arbres/ha commence déjà à influencer la vitesse des vents (Leenders, 2006). Le développement des systèmes agroforestiers avec des densités de 20 à 80 arbres/ha et plus a diminué la vitesse des vents (Ouédraogo et al., 2008). Ils permettent en outre la fixation du sable, et réduisent également la température des sols limitant ainsi l’évaporation et l’évapotranspiration (Reij et al. 2009). Cependant au Sud du Sénégal, les travaux d’Akpo (1992) attestent que l’arbre, à forte densité, peut inhiber la production de la strate herbacée en interceptant une grande partie du rayonnement absorbable. L’accroissement de la production herbacée sous ombrage peut aussi être dû à une réponse adaptative des espèces herbacées à l’ombrage. Dans la région de Zinder au Niger, les producteurs affirment qu’à coté des arbres, le milieu est plus humide et la chaleur moindre. La présence des arbres dans leurs terroirs leur rend plus à l’aise du point de vue de l’esthétique du paysage et du bien-être. La régénération naturelle est synonyme d’ombre et crée des microclimats. Les arbres constituent un pilier important dans l’adaptation aux changements climatiques dans la région semi-aride (Botoni et Reij, 2009). Les travaux de Kizito et al. (2006) montrent que Guiera senegalensis et Piliostigma reticulatum contribuent à l’amélioration des régimes microclimatiques (vitesse du vent et l’évaporation réduits) avec une plus grande teneur en eau du sol dans leur voisinage.
Le sol
Selon Schmid (1960), la végétation arborée ou arbustive est capable de reconstituer le sol après épuisement. Elle mobilise, en effet, les réserves minérales préexistantes, enrichit les horizons supérieurs en matière organique, améliore leurs propriétés physiques, augmente leur teneur en azote et élimine certaines espèces adventices dont la concurrence est redoutable pour les plantes cultivées. Chapitre II : La régénération naturelle de l’arbre : état des connaissances 33 L’arbre de par ses fonctions de protection et de production constitue l’ossature du système agro forestier. Il protège le sol, les plantes annuelles et les animaux contre un excès de facteurs abiotiques : énergie cinétique des eaux, pression des vents, forte insolation. Grâce à son enracinement profond, l’arbre améliore la fertilité du sol en faisant remonter en surface des éléments nutritifs du sous-sol, par le biais du feuillage et des branches morts (Akpo, 1992). Les résidus d’arbustes de Guiera senegalensis et Piliostigma reticulatum peuvent libérer des éléments nutritifs dans le milieu (C, P et N) selon la composition des résidus et à partir d’une certaine période d’incubation en laboratoire : 62 jours pour Piliostigma reticulatum et 76 à 90 jours pour Guiera senegalensis. Cependant le carbone (C) est beaucoup plus facilement libéré avec les résidus de ces deux espèces que le phosphore (P) et encore moins l’azote (N). Les quantités libérées de N et P par les résidus ne sont pas toujours suffisantes pour les besoins des cultures annuelles. Il faut, par conséquent, un rajout de minéraux ou autres éléments nutritifs (Dossa et al., 2009 ; Lufafa et al., 2008). Les communautés microbiennes sous les arbustes de Guiera senegalensis et Piliostigma reticulatum sont plus diversifiées, moins stressées, et semblent avoir plus de potentiel pour conduire la décomposition des résidus que celles du sol hors couvert des ces deux espèces d’arbustes qui dominent dans le Sahel (Diedhiou et al., 2009). Jusqu’à une profondeur de 1,10 m, Guiera senegalensis et Piliostigma reticulatum arbustes indigènes en zone semi aride ne concurrencent pas avec les cultures annuelles pour l’eau. Ces deux espèces extraient de préférence l’eau de la partie inférieure à 1,10 m et même au-delà de la profondeur maximale mesurée de 3,5 m. Elles confèrent un impact positif sur le régime d’humidité en association avec les cultures annuelles grâce à l’amélioration de la recharge en eau durant la saison des pluies. L’association cultures-arbustes, pour ces deux (2) espèces, aboutit à une réduction de l’évaporation du sol (Kizito et al., 2007). D’après FIDA AFRIQUE (2010), la régénération naturelle permet la protection des terres de cultures à travers la lutte contre l’érosion éolienne et hydrique et contribue à l’amélioration de la fertilité des sols. L’adoption massive de la RNA favorise l’augmentation de la productivité des terres de cultures par le rehaussement de la fertilité et la protection des sols. Une étude d’ENSA-AGROCONSULT (1998) au Centre-Nord du bassin arachidier révèle que sur le plan physique, outre « l’effet parasol », Combretum glutinosum protège le sol grâce à l’action exercée par son système racinaire. Toutefois, cette espèce n’a pas une influence sur la fertilité organique des sols. Les arbres dans les champs produisent de la litière qui augmente la matière organique des sols. Faidherbia albida est d’un grand apport en fertilité. Une étude à Dosso au Niger a montré que la biomasse annuelle d’un parc de 40 à 50 arbres /ha restitue au sol 100 kg d’azote, 18 kg de calcium, 20 kg de manganèse et 2 kg de potassium (Ounténi., 1993). Des études menées sur des arbres dispersés dans les champs en zones aride et semi-aride ont démontré que ceux-ci améliorent la fertilité du sol par apports de matière organique (phosphore, bases échangeables, etc…). Il s’agit de Faidherbia albida (Kamara et Haque, 1992), Prosopis sp. (Agarwal, 1980) et Acacia .sp. (Belsky et al., 1993) pour les espèces fixatrices d’azote ; Parkia biglobosa (néré) et Vitellaria paradoxa (karité) (Kater et al., 1992; Tomlinson et al., 1995) comme espèces non fixatrices d’azote et d’autres espèces (Campbell et al., 1994). Chapitre II : La régénération naturelle de l’arbre : état des connaissances 34 D’une façon générale, sous l’arbre les constituants chimiques du sol indiquent des concentrations significatives plus élevées notamment en C, N, P (Akpo, 1993 ; Belsky et al., 1989) en Ca, Mg, P (Isichei et Muoghalu, 1992).
L’alimentation humaine
En 1974, Giffard affirme qu’au Sénégal, le peuplement forestier joue un rôle alimentaire de premier ordre dans toutes les régions, particulièrement dans la zone sahélo soudanienne où les populations sont composées en majorité de pasteurs transhumants qui tout au long de la période sèche sont à la recherche de pâturages et de points d’eau. Elles trouvent les légumes nécessaires pour leur alimentation dans la forêt sous forme de feuilles et de fleurs qu’elles consomment parfois fraîches, le plus souvent bouillies et incorporées au mil ou au riz. Parmi les espèces fournissant ces produits, on peut retenir : Adansonia digitata, Cadaba farinosa, Capparis corymbosa, Cassia tora, Crataeva religiosa, Grewia mollis, Salvadora persica, Tamarindus indica. Il a aussi étudié certaines espèces qui présentent une valeur alimentaire ou qui offrent un intérêt économique pour les paysans. Il s’agit de Anacardium occidentale, Balanites aegyptiaca, Borassus aethiopum, Cordyla pinnata, Elaeis guineensis, Parinari macrophylla, Parkia biglobosa, Tamarindus indica ainsi que Sterculia setigera, arbre producteur de la gomme « M’bepp » utilisée comme additif dans la préparation du couscous (à partir du mil) aliment de base en milieu rural au Sénégal. Cordyla pinnata est toujours maintenue dans les champs au moment des défrichements car les fruits constituent un appoint alimentaire en début de saison des pluies. Les fruits en juin-juillet, sont ramassés par les paysans sous les arbres pour les manger frais ou cueillis et incorporés aux céréales en substitution de la viande après les avoir débités en lanières qu’ils font sécher au soleil. L’arbre tient une place de choix dans les stratégies de sécurisation alimentaire des paysans. Les espèces fertilisantes comme Faidherbia albida, Piliostigma reticulatum, Prosopis africana contribuent à améliorer les productions agricoles, notamment les cultures vivrières (mil, sorgho), principales sources d’alimentation des habitants. Sur le plan nutritionnel, la qualité de l’alimentation s’améliore avec l’intensification et la diversification agricole. Les zones à cuvette apparaissent comme celles où il y a une alimentation variée et riche en raison de la présence de fruitiers et de légumes (Toudou et al., 2008). Une étude réalisée au Mali sur les espèces ligneuses et leurs usages, confirment le rôle de diverses espèces dans l’alimentation des populations, en particulier dans l’équilibre nutritionnel du menu quotidien. Parmi ces espèces, on retrouve plus particulièrement Vitellaria paradoxa (karité) et Adansonia digitata (baobab) appréciées respectivement pour la forte teneur en huile de ses noix et les feuilles qui entrent dans la préparation de sauces qui accompagnent le tô de mil ou de sorgho. Tamarindus indica (tamarinier), Parkia biglobosa (néré), Lannea microcarpa, Saba senegalensis et Sclerocarya birrea jouent un rôle non négligeable dans l’alimentation pour les paysans les plus démunis (Diop et al., 2005).
L’alimentation animale
Dans la flore forestière des zones aride et semi-aride, les légumineuses représentent une source alimentaire de premier ordre pour le cheptel domestique. A coté d’elles, les autres espèces, locales ou introduites, après la sécheresse des années 70, sont presque toutes appétées. Chapitre II : La régénération naturelle de l’arbre : état des connaissances 35 Les rameaux, les jeunes pousses, les fleurs apportent un complément de vitamines et d’oligoéléments dans la ration. Le feuillage, gorgé de sève en fin de saison sèche, époque du débourrement des bourgeons, rend plus facile l’assimilation des graminées sèches par les ruminants. Par la présence d’éléments nutritifs que les graminées ne peuvent offrir, l’arbre contribue à la nourriture quantitative et qualitative des animaux (Niang, 1992). Au Niger, l’amélioration de la couverture ligneuse grâce à la régénération contribue à l’amélioration en fourrage de qualité pendant la saison sèche. Les feuilles et gousses de certaines espèces telles que Piliostigma reticulatum, Faidherbia albida ont une grande valeur nutritive. Les gousses de Faidherbia albida sont même très commercialisées (Larwanou et al., 2006a). Au Burkina Faso, des investigations ont montré que les investissements en GRN ont permis d’augmenter significativement la disponibilité des résidus de cultures (notamment les céréales) au champ. Les quantités totales de fourrages stockées sont estimées à 3,84 tonnes pour les unités de production avec aménagements et 2,87 t pour celles sans aménagements (Ouédraogo et al., 2008 ; Kaboré et Reij, 2004 ; Reij et al. 2005). Akpo (1992) précise que dans le système d’exploitation, l’arbre améliore les conditions d’élevage par l’accroissement de la production de la strate herbacée (production, matière azotée digestible, énergie) mais aussi par son action propre (production de feuilles, apport de matière verte pendant 9 mois de l’année).
La pharmacopée
En Europe, pendant des siècles, la médecine utilisait exclusivement les « simples » comme remèdes; à l’époque de Rabelais. Les étudiants en chirurgie herborisaient et visitaient les boutiques des apothicaires pour examiner les fruits, les feuilles, les gommes, les semences. Le premier jardin botanique fut créé à Montpellier par Henry IV en 1596 à cause de l’intérêt que la Faculté montrait pour les plantes médicinales. Les comptoirs établis sur la côte africaine envoyèrent en Europe jusqu’au début du XXe siècle d’importants lots de feuilles, de racines et d’écorces pour des fins médicinales (Giffard, 1974). L’UNESCO, dans une étude publiée en 1961 sur les plantes médicinales des régions arides, estime que certaines essences ligneuses pourraient être utilisées dans la lutte contre l’extension des déserts ou pour la restauration des sols tout en permettant d’obtenir des alcaloïdes, des huiles essentielles ou des gommes médicinales. De ce point de vue, la gomme à Sterculia setigera, est demandée par l’industrie pharmaceutique. Concernant l’utilisation des produits ligneux et non ligneux au Sénégal, Kerharo et Adam (1974) ont analysé plusieurs plantes médicinales du point de vue toxicité. Combretum glutinosum était l’espèce la plus prescrite par les thérapeutes. Combretum micranthum, diurétique puissant, était exportée (environ 30 T de rameaux séchés par an). Le lavage de la tête avec les décoctions préparées à partir de racines de Guiera senegalensis, de feuilles vertes de Pterocarpus erinaceus ou de rameaux de Mitragyna inermis permettent de lutter contre les migraines. Au Mali, la majorité des espèces ligneuses des Monts Mandingues sont utilisées dans la pharmacopée (Sow et Anderson, 1996).Acacia nilotica est appréciée dans le traitement de la dysenterie et des maux de dents alors que Leptadenia hastata est préconisée par les femmes pendant l’accouchement (Diop et al., 2005).
Le bois de service et de chauffe
Le bois de service est utilisé notamment dans la confection de poteaux, de perches, de pieux et de piquets servant dans les constructions résidentielles, la fabrication de clôtures et de greniers (Diop et al., 2005). Borassus aethiopum, Guiera senegalensis, Combretum glutinosum, Combretum micranthum, Piliostigma reticulatum et Azadirachta indica constituent entre autres les principales sources d’approvisionnement pour ces usages. Le bois constitue toujours la principale source d’énergie domestique en milieu rural, en particulier pour la cuisson des aliments. La disponibilité de bois de chauffe est d’une importance capitale dans les ménages ruraux. Au Sénégal, les combustibles ligneux représentent 60% du bilan énergétique du pays. La prépondérance du bois et du charbon dans la consommation énergétique domestique se traduit par une forte pression sur les ressources ligneuses (CSE/MEPN, 2005). Plusieurs espèces ligneuses dont Guiera senegalensis, Combretum micranthum, Combretum glutinosum, Cordyla pinnata, Zizyphus mauritiana, Piliostigma reticulatum, Azadirachta indica, Vitellaria paradoxa, Diospyros mespiliformis et Ficus gnaphalocarpa, etc. sont très utilisées comme bois de chauffe (Rocheleau et al., 1994). L’intérêt accordé au Guiera senagalensis est lié sans doute à sa grande disponibilité dans certains milieux aride et semi-aride qu’à une véritable préférence par les populations comme combustible ligneux (Diop et al., 2005).
L’artisanat et l’industrie
Selon Giffard (1974), le bois représente un élément noble de l’arbre. Souvent une classification entre les espèces forestières basée exclusivement sur leurs utilisations dans l’ébénisterie, dans la menuiserie, dans la construction et dans diverses industries consommatrices de ce matériau est faite par les usagers. Pour certaines espèces, l’usage fait des autres parties de l’arbre (feuilles, fruits, écorce, racines, sève, exSudats) est en général méconnu. Pour d’autres espèces, par contre, beaucoup de ces produits accessoires sont très utilisés dans l’artisanat africain. Au Sénégal, l’écorce d’Adansonia digitata dont les fibres permettent de confectionner des cordages a fait l’objet d’une exploitation dans presque tous les villages et d’une commercialisation contrôlée portant sur 10 à 20 T/an dans les années 1970. Le bois de Cordyla pinnata présente le plus d’intérêt pour l’industrie dans les contrées à longue saison sèche de l’Ouest africain. Les cendres du bois, la décoction des feuilles, de l’écorce et surtout des racines de Combretum glutinosum fournissent des teintures très appréciées par les populations. Cette espèce est également très utilisée comme bois de service pour la fabrication d’outils divers de maisons et de clôtures (ENSA – Agroconsult, 1998). Les ardoises des talibés sont des tablettes en bois de Balanites aegyptiaca. L’encre qu’ils utilisent pour calligraphier les sourates est un mélange de poudre de charbon de Balanites aegyptiaca, de gomme et d’eau (Clavreul, 2003)
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