Dynamique de la succession naturelle en forêt boréale mixte

Définitions et caractéristiques

La forêt boréale canadienne (Figure 2.1) s’étend sur un très vaste territoire où les variations latitudinales et longitudinales des conditions climatiques et édaphiques combinées au régime des perturbations naturelles, lesquelles sont également influencées par le climat, favorisent la formation d’une mosaïque complexe de peuplements de composition et structure variées (Bergeron et al., 2014). Plus spécifiquement, la forêt boréale mixte de l’est du Canada est le territoire forestier où les conditions climato-topo-édaphiques permettent le développement de peuplements fermés et dominés par le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides Michx.) ou le bouleau blanc (Betula papyrifera Marsh.) en début de succession, par l’épinette noire (Picea mariana [Mill.] B.S.P.) ou l’épinette blanche (Picea glauca [Moench] Voss) dans les stades intermédiaires, et par le sapin baumier (Abies balsamea [Linn.] Miller) et le thuya de l’est (Thuja occidentalis Linn.) dans les stades tardifs (MacDonald, 1995). Les principales espèces en forêt boréale mixte, telles que le peuplier faux-tremble, le bouleau blanc, le sapin baumier, l’épinette blanche, l’épinette noire, le pin gris (Pinus banksiana Lamb.) et le thuya occidental, ont une importance écologique et économique considérable. Ces essences forestières possèdent des caractéristiques autoécologiques pouvant favoriser leur développement et leur persistance sous certaines conditions (Tableau 1). L’épinette noire, l’épinette blanche, le sapin baumier et le thuya occidental sont des espèces tolérantes à l’ombre à différents degrés et peuvent se développer lentement sous couvert forestier (i.e. là où la luminosité est généralement faible) avant que leur vitesse de croissance ne s’accroisse avec l’ouverture de la canopée et l’augmentation de la disponibilité de la lumière. À contrario, le peuplier faux-tremble, le bouleau blanc et le pin gris sont des espèces intolérantes à l’ombre, ainsi leur développement nécessite un seuil minimal de luminosité et sont incapables de persister sous un couvert forestier (Kneeshaw et al., 2011).

Les stratégies de régénération après perturbation de certaines essences leurs permettent de rapidement recoloniser les milieux où les lits de germination sont favorables et en 6 abondance suffisante (Chen et Popadiouk, 2002). D’un côté, les cônes sérotineux du pin gris et semi-sérotineux de l’épinette noire s’ouvrent avec la chaleur intense du feu et libèrent des graines qui, dans les sites exposés avec un sol minéral (pin gris) ou un substrat humique (épinette noire), germent et permettent le retour de ces essences dans un peuplement incendié (Kneeshaw et al., 2011). De l’autre côté, la suppression de la dominance apicale des arbres morts et la hausse de la température du sol favorisent le drageonnement du peuplier faux-tremble qui recolonise rapidement les sites brûlés (Harvey et al., 2002 ; Frey et al., 2003). Le drageonnement est un phénomène provoqué par la stimulation des bourgeons racinaires à la suite de la modification du rapport auxine-cytokinine (entre les tiges et les racines) favorisée par la suppression de la partie apicale (Shepperd, 2001). L’auxine et la cytokinine sont respectivement des hormones responsables de la croissance et la différenciation cellulaire chez les plantes. Quant au bouleau blanc, il a la capacité de se régénérer par des rejets de souche après que la partie apicale soit consumée par un feu (Weir et Johnson, 1998). L’épinette blanche, le sapin baumier et le thuya occidental ne se régénèrent que par graine et ont une vitesse de croissance relativement lente. Par conséquent, ces espèces sont absentes dans les stades précoces de développement post-feu.

La TBE et la livrée des forêts

Les épidémies d’insectes jouent un rôle important dans la dynamique des peuplements forestiers. Les épidémies d’insectes créent des trouées qui assurent le rajeunissement des peuplements en permettant la régénération d’une nouvelle cohorte d’arbres en sous-couvert mais également le maintien des espèces intolérantes à l’ombre dans les vieux peuplements fermés (Kneeshaw et Bergeron, 1998). En forêt boréale mixte, la tordeuse des bourgeons d’épinette (Choristoneura fumifenera ; TBE) et la livrée des forêts (Malacosoma disstria) sont les principaux insectes défoliateurs car elles peuvent infester d’importantes superficies forestières. La TBE est un ravageur des essences conifériennes de la forêt boréale mixte. Le sapin baumier est son principal hôte (i.e. l’espèce la plus vulnérable) car le débourrement des bourgeons de cette essence coïncide avec la fin de l’hibernation des chenilles de la TBE (Morin et al., 2008). Les épinettes noire et blanche sont les hôtes secondaires de la TBE. Ainsi les impacts d’une épidémie de la TBE sont davantage importants dans les peuplements matures dominés le sapin baumier ou les épinettes par rapport aux jeunes peuplements dominés par les essences feuillues ou non hôtes de la TBE (e.g. pin gris) (Kneeshaw et Bergeron, 1998).

Chen et Popadiouk (2002) précisent que la mortalité des individus affectés est induite par un affaiblissement de la capacité photosynthétique à la suite de la perte de leurs aiguilles. La mortalité intervient en moyenne après quatre années successives de défoliation par la TBE alors qu’une épidémie peut durer jusqu’à une dizaine d’années. Par ailleurs, les impacts de la TBE sur la dynamique des peuplements sont traduits par une modification de composition et structure à la suite de la mortalité et la chute des individus affectés créant ainsi des trouées. Sánchez-Pinillos et al. (2019) ont montré que les peuplements dominés par les épinettes noires sont très résistants aux épidémies de la TBE relativement à ceux dominés par le sapin baumier qui changement facilement de composition. Cependant, une très longue épidémie pourrait sensiblement modifier l’état (la composition) de n’importe quel peuplement. Les espèces intolérantes à l’ombre (e.g. peuplier faux-tremble et bouleau blanc) ayant une vitesse de croissance relativement rapide, profitent de ces trouées pour se regénérer et se rétablir dans ces peuplements jadis fermés grâce à la disponibilité de la luminosité (Bouchard et al., 2006 ; Kneeshaw et al., 2011). Actuellement et depuis une dizaine d’années déjà, une épidémie de la TBE sévit au Québec avec une sévérité spatiale variée ; la Gaspésie, la Côte-nord et le Témiscamingue sont notamment affectés par cette épidémie (MFFP, 2018). En Abitibi, la dernière épidémie (1972-1987) fût particulièrement sévère, causant la mortalité de 56% des sapins dans le paysage de la Forêt d’enseignement de recherche du lac Duparquet (Bergeron et al., 1995).

Par ailleurs, une étude de Morin et al., 1993 portant sur l’étude de la chronologie des épidémies de la TBE passées sur une période de 200 ans dans la région d’Abitibi a montré que l’intervalle moyen entre deux épidémies successives est d’environ 30 ans. La livrée des forêts est un insecte défoliateur des forêts nord-américaines (Sutton et Tardif, 2008). Les principales essences hôtes de cet insecte sont le peuplier faux-tremble, le bouleau blanc et l’érable à sucre (Acer saccharum Marsh.) (Étilé, 2010). La livrée des forêts se nourrit des fleurs/feuilles de ses hôtes dès leur apparition durant la saison printanière. Selon Cooke et Lorenzetti (2006), une épidémie de cet insecte peut induire un ralentissement de la croissance diamétrale des individus infestés, cependant, la mortalité due à cet insecte est faible. Si la mortalité due à la défoliation par la livrée des forêts reste faible, une épidémie de moins d’une année peut néanmoins éliminer les arbres de petits diamètres tandis qu’une épidémie de deux années ou plus peut éliminer même les arbres ayant de grandes dimensions (Moulinier et al., 2011). En forêt boréale, la périodicité moyenne des épidémies de la livrée des forêts est une dizaine d’années d’après Cooke et Lorenzetti (2006).

Les perturbations anthropiques

L’exploitation forestière est la perturbation majeure liée aux activités humaines en forêt boréale, et dépasse même le feu en termes de superficie affectée annuellement (MFFP, 2017). Par ailleurs, d’autres perturbations liées aux activités humaines, e.g. exploitation minière et urbanisation, ont aussi des conséquences considérables en forêt boréale. L’exploitation forestière est pratiquée soit en coupe totale ou coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS) soit en coupe partielle. La coupe totale et la CPRS suppriment la quasi-totalité des individus (dhp > 9,1cm) alors que la coupe partielle conserve des arbres résiduels groupés ou en bandes en fonction des objectifs de gestion forestière mais aussi de la composition et la structure du peuplement (Bose et al., 2013). La CPRS peut être aussi pratiquée avec une rétention d’arbres en bouquet (Leblanc et Pouliot, 2011). Après une coupe forestière, les arbres résiduels servent ainsi à maintenir et/ou à reproduire les attributs d’avant perturbation du peuplement naturel (exemple : la composition, la structure, etc.), à fournir des semences pour la régénération, à réduire les impacts visuels des coupes et d’habitat faunique (Bergeron et Harvey, 1997). Ainsi, afin de favoriser le maintien des attributs des peuplements avec une structure irrégulière (e.g. la composition et la structure), Bergeron et al. (2006) préconisent l’utilisation des techniques telles que les coupes partielles.

Ces dernières peuvent aussi être utilisées afin d’accélérer la transition des peuplements d’un stade de développement à un autre (exemple : feuillu vers mixte ou mixte vers résineux) (Bourgeois et al., 2004). Par ailleurs, contrairement aux feux naturels et semblablement aux épidémies d’insectes, les coupes sont sélectives et elles s’opèrent avec une sévérité prédéterminée. Par exemple, les coupes forestières ciblent uniquement les arbres ayant un dhp supérieur à 9,1 cm (diamètre commercial) (Claveau et al., 2007). La dispersion et l’abondance des arbres résiduels sont ainsi dépendantes du type de perturbation, i.e., anthropique (e.g. une coupe) ou naturelle (e.g. un feu) (Hansen et al., 1991 ; Mladenoff et al., 1993). Par conséquent, la coupe totale est utilisée pour reproduire les impacts sur la composition du feu alors que la coupe partielle est utilisée pour reproduire ceux des épidémies d’insectes.

Table des matières

AVANT-PROPOS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
RÉSUMÉ
CHAPITRE I INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE II ÉTAT DES CONNAISSANCES
2.1 La forêt boréale mixte
2.1.1 Définitions et caractéristiques
2.1.2 Les perturbations en forêt boréale mixte
2.2 Dynamique de la succession naturelle en forêt boréale mixte
2.3 Les modèles forestiers
2.3.1 Définition et classification des modèles forestiers
2.3.2 Avantages et limites des modèles
2.3.3 Principe de fonctionnement de Sortie-ND
CHAPITRE III OBJECTIFS, MATÉRIELS ET MÉTHODES
3.1 Objectifs, questions de recherche et hypothèses
3.1.1 Objectifs général et spécifiques
3.1.2 Questions de recherche et Hypothèses
3.2 Matériels et méthodes
3.2.1 Présentation du site et description des données d’étude
3.2.2 Simulations à court-terme (18 ans) : paramétrage de Sortie-ND
3.2.3 Simulations à long-terme (100 ans) : impacts l’épidémie de la TBE
CHAPITRE IV RÉSULTATS ET DISCUSSION
4.1 Résultats
4.1.1 Simulations à court terme (18 ans)
4.1.2 Simulations à long terme (100 ans)
4.2 Discussion
4.2.1 Sortie-ND : un outil fiable pour simuler la dynamique naturelle 4.2.2 Impacts de la TBE sur la composition et la dynamique des peuplements
4.2.3 Critique du simulateur Sortie-ND
CHAPITRE V CONCLUSION GÉNÉRALE
ANNEXES
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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