Dynamique de la matière organique au sein dans les estuaires picards
La structuration du paysage estuarien
Caractéristiques générales des particules sédimentaires
Dans les estuaires, les particules sédimentaires, principalement de nature minérale, proviennent essentiellement de l’altération des roches même si une part non négligeable peut être d’origine biogène incluant des exosquelettes variés (tests, coquilles, frustules). Suivant la composition chimique de ces particules minérales, leur origine est très variée. Les particules sédimentaires de nature siliceuse sont principalement composées de minéraux provenant de l’altération des roches continentales des continents (quartz, feldspaths, argiles minéralogiques, …) ou des exosquelettes produits par divers organismes (p.ex. Radiolaire, Diatomées, spicules de Spongiaire). Les particules sédimentaires de nature carbonatée sont quant à elles surtout biogéniques, constituées par des exosquelettes entiers ou des fragments de ces derniers issus de nombreux organismes (p.ex. Coccolithophoridés, Foraminifères, coraux, Gastéropodes, Bryozoaires, etc.) ou parfois d’origine bio-induite comme pour les oolithes. De plus, des particules sédimentaires peuvent aussi être de nature organique, une partie de la matière organique particulaire (MOP) peut être absorbée à la surface de certains minéraux (Keil et al. 1997) en s’associant, à travers une diversité de mécanismes tels que les liaisons électrostatiques issues de l’électronégativité des argiles minéralogiques et le déficit en électrons de la MO ou sur les argiles granulométriques en raison de leur surface spécifique importante (Keil & Mayer 2014). La taille des particules sédimentaires est très diverse allant de quelques microns (argiles granulométriques) à plusieurs mètres (bloc de rochers). Leur classification en fonction de leur taille, appelée granulométrique, suit de nombreuses méthodes (Wenworth, Cailleux, Boucart, AFNOR). En particulier, la classification de Wentworth (1922), utilisée dans ce travail de thèse, s’appuie sur une échelle de tailles partagée en classes granulométriques dont la progression est géométrique (avec une raison de 2) qui impose donc une présentation graphique de type logarithmique. À partir de l’évolution du pourcentage volumique des particules pour chaque classe granulométrique, il est possible de déterminer des paramètres granulométriques comme la moyenne ou la médiane, le classement (ou ‘sorting’) indiquant la dispersion des tailles des particules/grains par rapport à la moyenne et l’asymétrie (ou ‘skewness’) indiquant la prépondérance de particules fines ou grossières par rapport à la moyenne. L’utilisation de ces paramètres permet ainsi de caractériser l’environnement sédimentaire. La moyenne ou la médiane granulométrique est l’expression de la force d’un courant. Le classement permet de quantifier l’importance des actions de tri au cours du transport et du dépôt. L’asymétrie exprime le type de milieu de dépôt. La taille, le tri, l’asymétrie et la nature des dépôts sédimentaires résultent principalement de l’intensité (vitesse du courant) des forçages hydrodynamiques mais aussi des caractéristiques des dépôts sédimentaires influençant les phénomènes d’érosion, de dépôt et de transport.
Les forçages hydrodynamiques
La dynamique morphosédimentaire des estuaires est contrôlée selon trois grands forçages hydrodynamiques incluant le régime fluvial, la marée et les vagues : Le régime fluvial est dépendant du débit du fleuve qui varie selon des épisodes de crues et d’étiage. Selon une chronique de débit annuel, un régime hydrologique est défini selon la moyenne mensuelle du débit (Haines et al. 1988). D’après Beckinsale (1969), le régime hydrologique des fleuves dépend majoritairement de l’interaction du climat, de la végétation, du sol, de la structure géologique ainsi que de la taille et de la forme du bassin versant. Dans les estuaires, l’influence du forçage hydrodynamique fluvial diminue progressivement vers l’embouchure de l’estuaire en raison de la méandrisation du chenal, qui est alors sujet à des migrations fréquentes entre les deux rives de l’estuaire, et à la forte intensité des forçages hydrodynamiques antagonistes que sont les vagues et la marée (courant de flot). La marée est une force engendrée par le système Soleil-Terre-Lune qui interagit à différentes intensités sur les masses d’eaux (océans, mers, grands lacs). Les marées imposent aux environnements estuariens, dans le cas d’un régime tidal semi-diurne, une périodicité quotidienne d’immersion et d’émersion impliquant deux basses mers et deux pleines mers par jour. Les courant tidaux sont alors différenciés en un courant de flot (courant lié à la phase montante de la marée) et un courant de jusant (courant lié à la phase descendante de la marée). Dans les estuaires macrotidaux (marnage > 4 m), ces courants sont asymétriques, induisant alors un courant de flot d’une durée plus courte mais d’une intensité plus importante et a contrario un courant de jusant plus long avec une intensité plus faible. Dans les estuaires dominés par la marée, cette asymétrie a pour principale conséquence une accumulation de particules dans la zone intertidale et donc une tendance au comblement à long terme. L’amplitude des marées se développe selon les cycles semi-lunaires, soit d’une durée de 28 jours durant lesquels le cycle de morte-eau et de vive-eau s’effectue pendant 14 jours environ, mais aussi les cycles lunaires, d’une durée de 28 jours environ, qui conditionnent les cycles de grande vive-eau et de petite vive-eau. Les vagues se créent par la friction du vent sur une étendue d’eau (fetch) et se propagent à l’interface atmosphère-eau sous forme d’ondes orbitales, définissant un train de vagues. Les vagues sont alors caractérisées par une période (T), une vitesse et une hauteur significative (Hs). À l’approche de la côte, en interaction avec le fond, la vitesse et la période diminuent et la hauteur significative augmente (phénomène de ‘shaoling’) jusqu’à un seuil critique où le déferlement s’effectue. En fonction de la hauteur de la colonne d’eau, le fond est alors soumis à la contrainte de cisaillement générée par l’interaction de l’énergie de la vague avec le substrat sédimentaire. Malgré une dissipation des vagues importante avant leur arrivée dans les estuaires (zone peu profonde), ces dernières restent un forçage hydrodynamique significatif dans la dynamique sédimentaire estuarienne (Le Hir et al. 2000) surtout lors des évènements tempétueux (Yang et al. 2015). Dalrymple & Choi (2007) déterminent trois sections longitudinales (marine, mixte et fluviale) dans lesquelles l’hydrodynamisme estuarien est influencé à différentes intensités par ces trois sources d’énergie présentées Figure 3.
La section marine située à l’embouchure est dominée par les courants tidaux et la houle
Dans cette section, la mosaïque de faciès sédimentaires est la plus grande, composée de corps sédimentaires sableux (bancs, plateforme), de vasières et de prés-salés en climats tempérés ou de mangroves en climats tropicaux. L’hydrodynamisme est bidirectionnel car dominé par les courants tidaux mais aussi les vagues et finalement la source de sédiment est majoritairement Chapitre 1 – Aspects généraux et objectifs d’étude 10 marine. Au contraire, dans la section fluviale, l’origine sédimentaire est dominée par la source fluviatile et la présence de sédiments grossiers est réduite au chenal, là où la force de courant est la plus grande. Dans cette section, l’hydrodynamisme est dominé par un courant unidirectionnel qui est dépendant du débit du fleuve jusqu’à la section mixte. Cette section mixte est sous la dominante à la fois marine et fluviale mais les vagues n’ont plus d’effets significatifs en raison de leur dissipation dans la section marine. Cette version simplifiée ne prend pas en compte d’une part la variation le long des différents étages tidaux, dépendant de l’altitude du sédiment, de la présence de végétation limitant l’énergie du courant et d’autre part la variation temporelle des forçages comme les crues, les cycles de mortes eaux et de vives eaux. Finalement l’ensemble de ces processus spatio-temporels résultent en une diversité d’environnements hydrodynamiques dans lesquels la vitesse de courant et les caractéristiques des particules vont modeler le paysage estuarien selon les processus d’érosion de dépôt et de transport sédimentaire.
Les différents processus sédimentaires
Le phénomène d’érosion
L’érosion est le processus durant lequel la vitesse de courant induit la mobilité de particules sédimentaires déposées sur un substrat. Ce phénomène se déclenche lorsque la vitesse de courant au voisinage du fond, considérée comme une contrainte de cisaillement, est suffisamment importante pour dépasser la gravitation, la friction et les forces de cohésion qui maintiennent les grains en contact avec le substrat (Partheniades, 1965). D’après les travaux Hjulstrom (1955), la vitesse du courant (cm/s) doit dépasser un seuil qui varie en fonction de la taille (µm) des particules (Figure 4A). Les travaux de Hjulström sont indicatifs, car les conditions d’expérimentation retranscrivaient exclusivement un courant laminaire, or dans l’environnement, les courants répondent à un régime turbulent. Cependant, les résultats montrent que les sédiments grossiers sont transportés sous la contrainte d’une vitesse de courant plus importante que les particules plus petites. Paradoxalement, dans le domaine des particules les plus fines, du au phénomène de cohésion, la vitesse de courant doit dépasser un seuil plus haut qu’en présence de particules fines isolées. En effet la cohésion des particules sédimentaires modifie les propriétés physico-chimiques du sédiment (Grabowski et al. 2011) et finalement . Ainsi, l’érodabilité diminue lorsque la cohésion du sédiment augmente. De plus, l’état de consolidation du dépôt de sédiments fins cohésifs, dépendant du contenu en eau, influence l’érodabilité du sédiment (Mehta & Partheniades 1982, McCave 1984, Dade et al. 1992). Un sédiment fortement consolidé (contenu en eau faible) a alors un potentiel d’érosion moins important (Figure 4B).
Le transport sédimentaire
D’après les travaux de Hjulström (Figure 4A), lorsque le courant est suffisamment fort pour éroder le dépôt sédimentaire, après que le seuil de mobilité soit atteint, les particules peuvent présenter différents modes de transports en fonction de la concentration en particules mais aussi de leur densité Dans le cas de faible concentration en particules : Si la densité des particules est inférieure à celle du fluide, alors ces dernières se déplacent par flottaison à la surface du fluide porteur, Si la densité des particules est supérieure à celle du fluide, ces dernières se déplacent par charriage, saltation et suspension. Le transport par charriage, saltation et suspension peut être continu, sous entendant l’absence de collision avec d’autre particules, ou discontinu, résultant de l’entravement des particules entres elles. Dans le cas de forte concentration de particules (pas le cas dans les estuaires) les particules se déplacent selon le phénomène de mass flow engendrant des courants de turbidité au fond de la colonne d’eau comme observé par exemple au large du Congo formant des lobes terminaux. Il est à noter que lorsque le courant est suffisamment fort pour dépasser le seuil d’érodabilité des dépôts fins (p.ex. argiles granulométriques), les particules cohésives sont détachées en paquet ou en paillette plutôt qu’en particules isolées. Il est important de souligner dans le cas des estuaires macrotidaux dominés par la marée que le transport net sédimentaire est dirigé vers le continent et a pour conséquence le comblement à long terme de l’estuaire. Ce phénomène est basé sur le modèle proposé par Postma (1967) et est présenté Figure 5. Une particule sédimentaire déposée au point 1 est remise en suspension durant la marée montante aussi longtemps que la vitesse du courant de flot est au-dessus du seuil de la vitesse de remobilisation. Cette particule sédimentaire se dépose ensuite au point 2, à l’étale de haute mer (vitesse des courants tidaux faible), après un temps de latence dépendant de sa vitesse de chute. La particule est alors remise en suspension et transportée jusqu’au point 3 lors de la marée descendante par le courant de jusant. Elle se dépose une nouvelle fois après un temps latence, durant l’étale de basse mer. La distance entre les points 1 et 3 représente le transport sédimentaire net vers le continent au cours d’un cycle de marée confirmant qu’à long terme, les estuaires macrotidaux dominés par la marée, caractérisés par une asymétrie de marée, se comblent significativement par l’apport de sables marins
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