Du territoire politique vers le territoire identitaire

Les bordures de notre objet

L’objet territorial communicant est au centre des interactions sociales sur le territoire ; il est en même temps un objet d’innovation porté par les réseaux réunissant dans «une méta organisation des humains et des non-humains mis en intermédiaires les uns avec les autres» (Callon et Latour, 1991). Cette organisation assure une sorte de traitement récurrent des problématiques qui lui sont soumises et permettent «la transformation d’un énoncé problématique particulier dans le langage d’un autre énoncé particulier» (Amblard et al, 1996, p.134). La formidable révolution de la décentralisation oblige à une prise en main des projets au sein du local et demande un traitement différent de l’information. Il ne s’agit pas tant d’informer la population des décisions prises que de l’associer plus étroitement aux décisions à prendre. La décentralisation porte les ferments d’une nouvelle pédagogique de la participation communale dans un cadre précis de l’agglomération et des pays. Dans cet enclos du territoire où l’accélération des informations et des menaces sape le projet partagé, le pays peut-il faire l’impasse d’un schéma de mutualisation de l’information pour servir le dessein qu’il prétend défendre ?
Nous rapportons ici les conclusions d’une enquête (en annexe) effectuée auprès d’habitants du local en amont d’une recherche action sur des logiques d’intelligence territoriale. Trois hypothèses de travail et une de synthèse avaient été soumises aux conclusions de cette enquête.
a) la perception des menaces et futures ruptures est effective par les acteurs et la population du territoire.
b) les techniques de l’information et de la communication (TIC) sont indissociables d’une démarche de mutualisation de l’information au sein du territoire.
c) le processus d’intelligence territoriale est dépendant d’un traitement prioritaire de l’information sur les champs économiques.
d) l’intelligence territoriale se situe, au sein du territoire, entre information et processus de communication
Les limites de cette contribution sont en rapport avec la nécessaire synthèse du propos qui en limite les développements méthodologiques et épistémologiques.

Innovation et local

Au Nord comme au Sud, il est maintenant admis que la mondialisation ne pourra se passer d’une certaine reconnaissance du «local» et des responsabilités qu’il prendra dans son propre développement. Cependant, même si les expériences des trente dernières années ont donné corps à des approches de problématiques de développement, ces expérimentations localisées peinent encore à se déployer en une dynamique régionale et durable. On sait concevoir des outils d’analyse pour une gestion des informations, on sait élaborer des cadres réglementaires et législatifs, mais on ne réussit guère que des expériences localisées dans le temps et l’espace. La difficulté est de parvenir à généraliser des dynamiques durables, à les ancrer dans les pratiques des habitants et des institutions.A l’instar de la grande entreprise, le territoire sera dans un proche avenir plus orienté dans un rapport de force concurrentiel où le traitement de l’information sera essentiel. Si les mutations culturelles liées au développement des TIC sont encore dans le domaine des études, les nouvelles formes d’affrontement indirect résultant de cette évolution technologique sont encore très mal identifiées par les acteurs du territoire. En exemple, la captation de l’installation d’une entreprise et des taxes locales associées avaient trouvé une solution prompte dans les contrats d’agglomération et de communautés de commune qui en mutualisaient les recettes ; ce faisant elle en limitait de fait un processus d’apprentissage dans la conquête de ressources. La montée en charge des délocalisations et de la mondialisation oblige les pays à puiser dans les projets à dominante culturelle et touristique pour espérer capter quelques revenus d’une population de nomades aisés. L’originalité des projets s’épuise dans la réplication de parcs d’attraction et de «route culturelle». Leur essoufflement ne résidera pas dans un aspect uniquement technique mais dans un empiètement funeste des projets qui deviendront concurrents.Le territoire doit évoluer dans sa culture et accéder à une véritable mutualisation de l’information au sein d’un processus d’intelligence territoriale dont Bertacchini propose la définition suivante :«On peut considérer l’intelligence territoriale comme un processus informationnel et anthropologique, régulier et continu, initié par des acteurs locaux physiquement présents et/ou distants qui s’approprient les ressources d’un espace en mobilisant puis en transformant l’énergie du système territorial en capacité de projet […] L’objectif de cette démarche, est de veiller, au sens propre comme au sens figuré, à doter l’échelon territorial à développer de ce que nous avons nommé le capital formel territorial» (Bertacchini, 2004).Le territoire ou pays est le lieu de la communication informelle par excellence combinée avec son projet de développement et sa communication formelle. Ses rites, ses héros, ses symboles et ses valeurs qui en constituent l’histoire, composent le théâtre d’un non-dit qui rythme les échanges entre les hommes. Il y a capitalisation d’une culture des signes et des postures (« l’habitus » de Bourdieu, 1994, p.24) qui établit une grammaire de communication et qui fonde l’identité du groupe local Ce constat se trouve au centre de la recherche sur les problématiques territoriales au Québec (André Joyal, 1999) et qui nous éloigne « des prophéties béates sur les rôle des TIC » dénoncées par Sfez (1999).

Du territoire politique vers le territoire identitaire

L’innovation concrétisée par une mutualisation généralisée des informations au sein du territoire est une nécessité préalable à la démarche. La création d’un environnement favorable est un pré requis de toute innovation émergente au sein de la société ; c’est ce que Pélissier (2001) évoque dans la «supériorité des structures» et Gourou (1973, p. 26) dans les «techniques d’encadrement». Un premier objectif est de créer localement un terrain institutionnel, informationnel et comportemental où les acteurs puissent exprimer leurs perceptions, enrichir leurs savoirs, affirmer leurs compétences et peser sur le processus de développement ; il porte sur l’environnement politique (la reconnaissance d’un pouvoir local), l’instrumentation technique et administrative (la mise en retrait de ce pouvoir dans le processus local de décision) et la (re)mobilisation sociale des acteurs locaux. Les modalités d’échange des informations sont au centre de ces rapports. Cette approche du territoire relève d’une problématique spécifique consistant à définir le cadre conceptuel de l’accompagnement d’un processus démocratique ascendant. C’est la proximité spatiale qui est au coeur de cette spécificité territoriale. Elle n’est pas forcément impliquante de proximité sociale et identitaire, mais relève d’une première étape de construction d’un «nouveau» territoire, à travers un processus graduel d’émergence d’une identité territoriale (l’appropriation territoriale), qu’il s’agit d’accompagner et de favoriser. Cette appropriation, pur phénomène de représentation symbolique par lequel les groupes humains pensent leur rapport à un espace matériel, ne peut se construire que par l’intégration progressive d’un sentiment local, au travers d’un processus mental collectif (Poche, 1983). Brunet nous a instruit que la prise en considération du seul espace vécu a montré ses limites (Brunet, 1990) et que l’émergence d’une identité territoriale ne peut pas davantage se résumer à une activité économique, sociale ou culturelle commune dépourvue d’existence politique ou administrative reconnue. La seule facette du vécu au sein du local, n’est ni génitrice, ni constitutive du territoire. En témoignage, l’habitat de résidence secondaire n’est pas obligatoirement concourant à un engagement dans le projet local. Enfin, l’identité territoriale ne se réduit pas davantage à une identité politico-juridique ou à l’enracinement dans un lieu ; il y faut un peu de tout cela, et quelque chose de plus : une conscience (Brunet 1990). Il s’agit ainsi de faire émerger un véritable espace politique local (Lévy, 1994), dont les acteurs se sentent responsables et où se jouent des relations de pouvoir (Bourdieu, 1980) en vue de son appropriation (Raffestin, 1981).«Pour que les suffrages expriment autre chose que les individus, pour qu’ils soient animés dès le principe d’un esprit collectif, il faut que le collège électoral élémentaire ne soit pas formé d’individus rapprochés seulement pour cette circonstance exceptionnelle, qui ne se connaissent pas, qui n’ont pas contribué à se former mutuellement leurs opinions […]. Il faut au contraire que ce soit un groupe constitué, cohérent permanent […]. Alors chaque opinion individuelle, parce qu’elle s’est formée au sein d’une collectivité, a quelque chose de collectif » (Durkheim, 1977, p. 138).

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