Domaine fonCier et exploitation des ressources au 19e siècle
En nous questionnant sur la contribution de la famille Bertrand au développement de la région du Bas-Saint-Laurent, il s’agissait à l’origine de mieux comprendre un ensemble de dynamiques qui ont évolué dans le temps et qui ont mené aux actuels modes d’exploitation des ressources ainsi qu’aux façons de penser et d’utiliser le territoire. Par l’étude de ces modes d’exploitation, certains éléments fondamentaux de la mise en place d’une organisation sociale fondée sur la valorisation des ressources naturelles apparaissent. Encore aujourd’hui, l’exploitation des ressources et leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux constituent des enjeux majeurs pour les régions rurales.
Mais qu’entendons-nous exactement par exploitation des ressources? Et de quelles ressources s’agit-il? La question, dans le contexte du 19e siècle, évoque principalement l’agriculture, l’exploitation forestière et la maîtrise de la force hydraulique. Ces trois types de ressources, alors les principaux piliers d’une économie en émergence, sont intimement rattachés au sol et, conséquemment, au domaine foncier.
Afin de répondre à la demande des marchés et de s’imposer au sem des réseaux commerciaux internes de la colonie, un marchand en milieu rural devait être en mesure de posséder en propre les ressources ou de les contrôler par d’autres moyens que la propriété privée . Comme l’a si bien souligné Dominique Julia à propos du 19e siècle, Les clivages sociaux s’opèrent d’autant plus que le statut économique de la nouvelle bourgeoisie rurale [ … ] se manifeste au plan symbolique par une idéalisation de la propriété foncière : La terre n’est plus seulement valeur refuge et support spéculatif, elle devient objet de prestige, façade aristocratique [ … ].
Dans la première moitié du 19e siècle, l’accession à la propriété seigneuriale constitue encore la voie privilégiée afin d’acquérir ce statut socio-économique tant convoité.
Ce brassage s’effectue tout juste à la veille de l’abolition du régime seigneurial, en pleine période d’essor de l’industrialisation et d’une économie capitaliste de plus en plus orientée vers les marchés. Suivant le modèle proposé par Serge Courville, comme de nombreux noyaux paroissiaux issus d’une colonisation seigneuriale timide, L’Isle-Verte prend véritablement son élan dans le deuxième quart du 19e siècle . Louis Bertrand figure parmi les acteurs de cette construction de l’extension du territoire, puisque l’effervescence de la deuxième moitié du siècle trouvera ses fondements dans les années qui précèdent.
Nos connaIssances sur L’Isle-Verte pour toute la période précédent le 20e siècle demeurent fragmentaires. Elles proviennent principalement de monographies d’histoire locale, ou encore on les retrouve éparpillées dans les synthèses d’histoire régionale . Il existe en fait peu de connaissances sur le niveau de développement du Bas-Saint-Laurent en général durant cette période. Cela dit, le volume des actes notariés passés au cours du 19e siècle et leur nature nous pennettent de croire que la région foisonnait d’activité. Le rythme des opérations devait certes être influencé par l’éloignement et les conditions géographiques, mais l’activité était néanmoins bien présente.
Les recherches menées sur le régime seigneurial ont démontré que le Bas SaintLaurent n’appartenait pas au noyau central de la colonie sous l’Ancien régime, soit la vallée du Saint-Laurent entre Montréal et Québec . Certains parallèles peuvent être observés, mais les comparaisons doivent être faites avec prudence. Le Bas-Saint-Laurent ne peut non plus être associé sans précautions à ce vaste ensemble du «Québec des régions» que décrit Gérard Bouchard , un ensemble qui n’a pas connu le régime seigneurial et qui ne s’est ouvert à la colonisation qu’à partir de la deuxième moitié du 19e siècle .
Le développement de L’Isle-Verte a par conséquent été marqué d’un côté par le régime de propriété seigneurial, et d’un autre côté par la marginalité qui résultait de son éloignement. Yvan Morin, dans Histoire du Bas-Saint-Laurent, qualifie même la région «d’appendice extrême de l’aire seigneuriale », soulignant qu’elle «n’est pas encore intégrée à l’espace laurentien ». Ainsi, la faible densité de population jusqu’au milieu du 19e siècle n’aurait pas engendré les mêmes problèmes de saturation des terres et de spéculation foncière qu’a connus l’axe situé entre Québec et Montréal. De fait, l’appropriation des ressources et les rapports sociaux sont le résultat de ce mariage entre le régime seigneurial et l’ouverture des territoires périphériques.
Le lien entre l’abolition du régime seigneurial, l’industrialisation et le passage au capitalisme des économies régionales au Québec a été abordé par plusieurs chercheurs. Cette transition économique a affecté toutes les sphères de la société et son organisation.
Non seulement elle a influencé le développement de l’exploitation des ressources naturelles , mais elle a modifié la dynamique des relations sociales à l’intérieur des communautés villageoises , de même que le rapport entre la ville et la campagne .
Le rôle joué par les notables comme Louis Bertrand est encore méconnu. Leur présence généralisée dans les régions périphériques est incontestable. Il n’y a qu’à lire les monographies d’histoire locale ou les publications du Chantier des histoires régionales de l’Institut québécois de recherche sur la société et la culture pour constater combien ils ont marqué le développement des régions. Petits seigneurs parmi les grands spéculateurs, modestes marchands ruraux parmi les grands négociants de Québec, Montréal ou TroisRivières, leur importance sur l’organisation foncière et l’exploitation des ressources en région n ‘est pas à négliger. Leurs activités dépassaient largement la tenue d’un magasin général. À leur échelle, ils ont emboîté le pas aux nouvelles circonstances de l’ économie.
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