Division du travail et développement agro-industriel
Depuis le début du boom bananier le marché du travail dans les zones productrices connut une forte expansion, mais comme nous l’avons dit antérieurement, la crise et les processus de changement de variété provoquèrent une diminution de l’emploi, ainsi qu’une spécialisation et une nouvelle division du travail dans les zones qui continuèrent à produire de la banane. Il convient de souligner que ces processus d’amélioration technologique de la production bananière impliquaient les deux scénarios suivants : 1) un besoin en main d’œuvre apparemment moins important, 2) une augmentation des rendements (plus de production pour une superficie plus petite) avec par conséquent une libération de surface pour d’autres activités d’agriculture et d’élevage avec une moindre demande de main d’œuvre, ce qui provoquait une plus grande offre de main d’œuvre (actuellement abondante) par rapport à la demande ; à souligner également la migration continuelle de la région andine vers la côte qui aggrave encore plus l’équilibre entre offre et demande provoquant du sous-emploi et des diminutions considérables dans les salaires.
Le besoin d’une main d’œuvre spécialisée et itinérante
La demande de main d’œuvre
Au début de l’activité bananière on estimait que la population économiquement active dépendant de l’exploitation de la banane se chiffrait aux alentours de 60 000 personnes (Banque Centrale de l’Equateur, 1965). Au cours du boom de la banane, une bonne partie des demandes de main d’œuvre était causée par le transport et la commercialisation en raison d’un manque de voies terrestres, de quais appropriés et du système rudimentaire d’emballage. Le développement de l’infrastructure maritime et terrestre favorisa le transport rapide et sûr du fruit et supprima l’ancien système de déplacement par la voie fluviale, où intervenait une grande quantité de petits conducteurs d’embarcations et de dockers. Au cours de la crise, avec le changement de variété, l’expulsion des petits producteurs et la consolidation d’un secteur hautement technologique, 30 000 postes de travail furent éliminés entre ceux des ouvriers journaliers, des transporteurs et des dockers. La demande de main d’œuvre est liée à l’exportation de la banane et elle connait d’importantes variations tout au cours de l’année. Les volumes exportés sont plus importants entre octobre et mai, alors qu’entre juin et septembre d’un côté il y a une moindre demande des marchés et d’autre part les entreprises bananières en Amérique Centrale sont au plus fort de leur production, ce qui implique une réduction considérable des quantités exportées par l’Equateur. Cependant, il y a parfois des irrégularités dans cette baisse de l’exportation puisque parfois les plantations d’Amérique Centrale sont exposées à des destructions dues à des conditions météorologiques. Ces variations entrainent une hausse de la demande de main d’œuvre durant l’époque des pluies (de décembre à mai), non seulement parce qu’il y a plus d’embarquements mais aussi parce que, avec des précipitations plus importantes, le rythme de croissance des mauvaises herbes augmente ce qui implique un besoin plus important de main d’œuvre pour le désherbage.Même si la production bananière est continue et emploie plus de main d’œuvre que la production et la récolte du cacao61, cette dernière offre d’une certaine manière une petite compensation à la baisse des exportations de ces mois creux, bien que cela soit à un niveau peu significatif. Il existe donc une proportion prépondérante d’ouvriers journaliers itinérants, c’est-à-dire sans aucune garantie quant à leur travail, et qui sont les premiers à souffrir les conséquences d’une crise bananière, puisqu’en premier lieu cette crise se traduira par une réduction du travail ou même dans certains cas extrêmes par une diminution du salaire quotidien. La main d’œuvre varie également en raison de la migration saisonnière, selon les époques des semailles et des récoltes de la région andine62 et selon les récoltes industrielles de la canne à sucre sur la côte. Même s’il existe ces déséquilibres entre l’offre et la demande de main d’œuvre, cela n’exerce pas une grosse influence au niveau des salaires, mais ce que l’on peut remarquer c’est l’augmentation du sous-emploi dans les villages. Le besoin d’une main d’œuvre spécialisée de la part des producteurs bananiers vient du système de culture et des travaux spécifiques surtout lors des processus de récolte et d’emballage. Comme cela est décrit dans le chapitre correspondant (voir la culture de la banane, ch. III), ces tâches impliquent de recourir à différents types de travailleurs, à des formes et à des conditions de contrats et de salaires différents selon le travail réalisé.
Embauche
Lieux d’embauche
Les travailleurs peuvent être recrutés sur les marchés du travail ou directement dans les exploitations. Les marchés du travail étant définis dans chacun des villages ou villes où vivent les employés journaliers. Il s’agit en général des places centrales, des croisements des routes principales. On trouve dans les marchés du travail de 4h00 à 7h00 du matin des groupes de travailleurs en attente de quelqu’un qui les embauche pour effectuer une des activités. La spécialisation est déterminée pour les travaux agricoles ou pour les tâches de traitement, et dans ce cas on forme des équipes (entre 7 et 10 personnes) avec un chef connu comme chef d’équipe qui connait les capacités ou talents de chaque travailleur. C’est lui qui forme les équipes et parfois c’est lui qui négocie les salaires. Les travailleurs qui ne trouvent pas de travail se déplacent immédiatement vers les centres de travail pour leur compte ou dans le véhicule d’un rabatteur, à qui il paye le prix du déplacement ou bien ce déplacement sera décompté du salaire. Certains travailleurs obtiennent un travail directement dans les exploitations agricoles, soit parce qu’ils sont connus dans certains lieux ou soit parce que le travailleur connait à l’avance le besoin de main d’œuvre dans une exploitation.
Manière d’obtenir un travail et de travailler
Les journaliers peuvent obtenir un travail comme travailleurs individuels sous les ordres d’un chef d’équipe ou contremaître qui les embauche pour une activité spécifique, pour un administrateur ou pour une personne chargée de l’exploitation 150 ou directement avec le propriétaire de l’exploitation (surtout dans les petites exploitations et parfois dans les exploitations moyennes). De même, il peut avoir du travail comme membre d’une équipe63 qui aura peut être une durée de travail plus grande et un niveau de spécialisation. A la tête de chaque groupe de travail on trouve toujours un chef d’équipe ou un contremaître, qui sert d’intermédiaire entre les ouvriers journaliers et les administrateurs, les régisseurs ou les propriétaires d’exploitation. Les travailleurs construisent des contacts à travers lesquels ils connaissent les possibilités de travail. Parfois, et selon leur degré de relation, ils informent d’autres personnes sur ces possibilités et les emmènent travailler, parfois même dans les mêmes propriétés où ils l’ont fait, en créant de cette manière ce qui pourrait être qualifié comme un rabattage spontané. Les rabatteurs et les contremaîtres constituent un groupe hétérogène qui peut englober aussi bien le rabatteur que celui qui travaille également avec les ouvriers journaliers embauchés (puisque sa situation est assez semblable) que celui qui commande plusieurs équipes (et les contrôle avec des sous-rabatteurs), cela fait partie intégrale du processus d’intermédiation professionnelle et de l’exploitation de la force de travail extérieure. En ce qui concerne l’équipe, même s’il s’agit d’une forme d’organisation de petits groupes de travailleurs, cela empêche cependant que l’organisation de ces travailleurs soit sous la forme d’un groupe plus important, puisque sur le marché du travail de la force de travail ils sont confrontés au capital non en groupe, mais comme des petits groupes séparés.
Types et conditions de travail
Dans la plupart des cas, les relations de travail ne s’établissent pas directement entre les journaliers et les propriétaires des exploitations, mais à travers d’intermédiaires (qu’il s’agisse de contremaîtres, de chefs, de régisseurs, d’administrateurs, etc.). Les contrats, qui généralement de type verbal, peuvent être de deux sortes : 1) à la journée et 2) basés sur la progression du travail, il convient de distinguer dans ce type de contrat ceux qui sont faits pour un travail spécifique, à la tâche ou au forfait. La définition du type de contrat dépend à la fois du type d’activité qui va être réalisée et du propriétaire qui s’exprime à travers ses salariés. A la journée : le travailleur est obligé de travailler toute la journée (au moins 8 heures), avec une pause pour se reposer à l’heure du déjeuner. Contrat pour un travail précis: on réalise un contrat pour effectuer un travail déterminé qui peut durer plusieurs jours ou semaines. A la tâche: la personne chargée des travailleurs signale aux ouvriers ce qu’ils doivent faire au cours de la journée ou de la semaine. Au forfait: les travailleurs réalisent des travaux selon le temps dont ils disposent et sont payés selon le nombre d’unités correspondantes au type de travail qu’ils sont en train de réaliser. Par exemple, le nettoyage d’un terrain est payé pour une certaine superficie, s’il s’agit de l’arrachage de rejetons, ils sont payés à la plante, au bloc ou à l’hectare, s’il s’agit du traitement de la récolte on les paye à la caisse. Dans certaines propriétés on utilise encore celui qu’on appelle le guide, qui est la personne ayant le plus d’expérience pour un certain type de travail : il va prendre de l’avance sur le reste des travailleurs et il sert de référence pour leurs payes. La relation entre classe d’activité et type de contrat est principalement basée sur le critère d’une meilleure utilisation (efficacité) de la main d’œuvre pour une certaine activité, c’est-à-dire la recherche d’une meilleure rentabilité du capital variable qui est investi par les propriétaires (pour les exploitations à logiques capitalistes). C’est précisément pour cela qu’il existe une préférence pour les contrats basés sur la progression du travail, puisque ces derniers rendent possible une intensification de la journée de travail et par conséquent la surexploitation des travailleurs. Cependant, dans certaines occasions, le type de contrat peut entrainer une contradiction qui va apparaitre entre l’intérêt de travailler plus pour les ouvriers journaliers et le soin requis pour le travail. C’est pour cela que, par exemple, il y a des propriétaires qui payent à la journée les récoltes, l’arrimage et le transport pour que les travailleurs n’abiment pas les fruits.