Diversité phénotypique et moléculaire d’isolats urinaires de Pseudomonas aeruginosa

Diversité phénotypique et moléculaire d’isolats urinaires de Pseudomonas aeruginosa

Principales caractéristiques de Pseudomonas aeruginosa 

 Données générales 

Pseudomonas aeruginosa, appelé également bacille pyocyanique, appartient à la famille des Pseudomonadaceae au sein de la classe des Gammaproteobacteria. Cette espèce a été décrite pour la première fois dans un article scientifique en 1882, par Carle Gessard, comme l’agent responsable du pus de coloration bleue-verte dans le cadre d’infections cutanées (Pachori et al., 2019). A l’examen direct, P. aeruginosa se présente sous la forme de bacilles à Gram négatif, isolés ou en diplobacilles. Il est très mobile grâce à une ciliature polaire. P. aeruginosa possède trois types de motilité, en milieu liquide, semi-solide (motilités de type swimming et swarming, médiées par le flagelle), ou solide (motilité de type twitching, médiée par les pili de type IV) (Kilmury and Burrows, 2018). Cette bactérie non fermentaire est aérobie stricte et non exigeante, pouvant se développer à des températures variant de 30 °C à plus de 40°C (LaBauve and Wargo, 2012). Elle cultive facilement en 24h sur des milieux de culture ordinaires (Trypticase Soja) ou sélectifs (géloses contenant du Cétrimide). Les colonies, possédant une odeur de seringa (également appelé jasmin des poètes), peuvent présenter différentes morphologies (D’Argenio et al., 2002; Hansen et al., 2012) (Figure 1). Figure 1 : Morphotypes des colonies de Pseudomonas aeruginosa L : colonies larges ; SCV : small colony variants ; M : colonies mucoïdes. D’après des données personnelles Les colonies larges, extensives à contour irrégulier et d’aspect métallisé, sont fréquemment observées (Meybeck and Fantin, 2004). Elles caractérisent le morphotype sauvage, en opposition aux variants morphologiques identifiés au cours d’infections chroniques (Malhotra et al., 2019). Principales caractéristiques de Pseudomonas aeruginosa 16 Les « small colony variant » (SCV) (Häußler, 2004; Malone, 2015) ou «rugose small colony variant » (RSCV) (Harrison et al., 2020) sont de petites colonies à bords réguliers, largement décrites durant les infections pulmonaires à P. aeruginosa chez les patients atteints de mucoviscidose (cystic fibrosis, CF). Il a été suggéré, au vu de leurs fortes prévalences au cours d’infections chroniques, que les RSCV puissent présenter un fitness ralenti et une virulence atténuée (Malone, 2015; Pestrak et al., 2018). Par ailleurs, les RSCV possèdent une forte capacité à former du biofilm et sont plus résistants aux antibiotiques ou aux effecteurs du système immunitaire de l’hôte (Pestrak et al., 2018; Malhotra et al., 2019). Les colonies mucoïdes, d’aspect muqueux, lisse et bombé, présentent des caractéristiques proches de celles des RSCV (Malhotra et al., 2019). La conversion vers un morphotype mucoïde survient majoritairement au cours d’infections chroniques diverses (telles que les infections respiratoires), en lien avec une surproduction d’alginate (Malhotra et al., 2019). La conversion vers un phénotype mucoïde confère à la souche un avantage sélectif en termes de formation de biofilm et d’échappement au système immunitaire de l’hôte, bien que les avantages de cette conversion restent à ce jour controversés et partiellement compris (Malhotra et al., 2019). Cependant, au vu du coût énergétique d’une surproduction d’alginate, une réversion vers un phénotype non-mucoïde a été identifiée. De plus, de récentes études évoquent l’avantage d’une culture de colonies mucoïdes et non-mucoïdes face aux stress environnementaux (Malhotra et al., 2019). P. aeruginosa est capable de produire plusieurs pigments, la pyocyanine (pigment bleuvert spécifique de l’espèce), la pyoverdine (pigment jaune-vert fluorescent) (Pachori et al., 2019), à l’origine du nom d’espèce aeruginosa signifiant vert-de-gris en latin, ou encore la pyorubine (pigment rouge) et la pyomélanine (pigment brun-noir) (Yabuuchi and Ohyama, 1972; Ogunnariwo and Hamilton-Miller, 1975; Rau et al., 2012).

 Données génomiques

 Du fait de son implication en clinique, le génome de P. aeruginosa fut parmi les premiers génomes complets séquencés (Marvig et al., 2015a). En effet, le premier génome complet de la souche PAO1 de P. aeruginosa, isolée dans un contexte d’infection cutanée, fut séquencé dans les années 2000. La taille importante (6,3Mpb) et la complexité de son génome (5.651 gènes), conférée notamment par la part importante de gènes régulateurs (8% du génome) (Oliveira et al., 2020), suggère une capacité d’adaptation évolutive de la souche, lui permettant de se développer dans divers environnements et de résister aux effets de Principales caractéristiques de Pseudomonas aeruginosa 17 nombreuses molécules antibactériennes (Stover et al., 2000). En septembre 2020, 6.523 génomes assemblés de P. aeruginosa étaient disponibles sur la banque de données PATRIC . aeruginosa possède un grand génome (5-7 Mpb, médiane 6,6 Mpb), riche en GC (médiane 66,2%) (Moradali et al., 2017). Les génomes codent près de 6.101 protéines (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/). Le pan-genome de P. aeruginosa (ensemble des gènes décrits chez l’espèce) varie selon les études entre 10.000 et 40.000 gènes (Mielko et al., 2019; Ozer et al., 2019). Une étude récente réalisée à plus grande échelle sur 1.930 génomes séquencés a mis en évidence un pan-genome de 54.272 gènes et un core-genome (gènes communs à toutes les souches) de 665 gènes (Freschi et al., 2019) (Figure 2). L’identité nucléotidique moyenne au sein du core-genome de P. aeruginosa est supérieure à 98,5%, à l’exception de la souche PA7 qui présente une identité nucléotidique de 93,5% avec les souches PAO1, PA14 et LESB58 (Marvig et al., 2015a). Figure 2: Pan-genome de P. aeruginosa déterminé par l’analyse de 1930 génomes Le pan-genome est constitué du core-genome et du génome accessoire. Le génome accessoire est constitué des gènes « uniques » (présents chez une seule souche) et des gènes « flexibles » (présents chez plusieurs souches). D’après (Freschi et al., 2019) Le génome accessoire (gènes retrouvés uniquement chez quelques souches de l’espèce) est localisé au sein de 79 régions de plasticité génomique (Klockgether and Tümmler, 2017) et peut se composer d’éléments génétiques mobiles tels que les îlots génomiques (sur lesquels ont été identifiés phages, transposons et séquences d’insertions) (Marvig et al., 2015a). Freschi et son équipe ont identifié l’importance du transfert horizontal de gènes dans la diversité génomique de l’espèce. En effet, 18% des gènes du pan-genome étaient acquis par transfert horizontal de gènes ; 5% et 12% des plasmides contenaient des gènes de résistance aux antibiotiques et de virulence, respectivement (Freschi et al., 2019). Principales caractéristiques de Pseudomonas aeruginosa 

Habitat et mode de vie 

aeruginosa est une bactérie ubiquitaire de l’environnement (Magalhães et al., 2020), pouvant se développer chez l’Homme, les animaux, les végétaux ainsi que dans divers environnements, notamment aquatiques (Coggan and Wolfgang, 2012). L’hôpital constitue ainsi une niche favorable à son développement où différents réservoirs ont été identifiés, tels que les réseaux d’eaux (Abdouchakour et al., 2015) et les siphons des éviers (Varin et al., 2017; Magalhães et al., 2020). Il peut survivre de 6h à 6 mois sur des surfaces inertes (Pachori et al., 2019). Ces réservoirs ont été identifiés comme pouvant être à l’origine d’infections associées aux soins (IAS) (Magalhães et al., 2020). P. aeruginosa est une bactérie versatile, possédant des propriétés d’adaptation à de nombreuses conditions physico-chimiques, lui permettant de survivre ou de s’adapter dans ces différents environnements (Kidd et al., 2012; Martins et al., 2014). Des souches environnementales isolées au sein de siphons et très proches phylogénétiquement (différant par moins de 14 mutations) ont ainsi pu être mises en évidence à près de 10 années d’intervalle (Magalhães et al., 2020). P. aeruginosa possède plusieurs modes de vie, qui diffèrent entre eux par la morphologie et le métabolisme des bactéries (Olivares et al., 2019). Pour disséminer au sein de l’environnement, les bactéries peuvent adopter un mode de vie libre, dit planctonique. Chez l’Homme, ce mode de vie est préférentiellement exprimé lors des infections aiguës. Dès lors, la bactérie sera invasive pour disséminer rapidement, causant des lésions tissulaires à l’origine d’une réponse inflammatoire (Coggan and Wolfgang, 2012; Valentini et al., 2018). A l’inverse, les bactéries adoptant un mode de vie sessile se regroupent sous forme de communautés microbiennes, favorisant la formation de biofilm. Lors de la chronicisation des infections, la bactérie s’adapte à son environnement et se protège des systèmes de défense de l’hôte ou des traitements antibiotiques par formation de biofilm (Lebeaux et al., 2014; Gloag et al., 2019; Malhotra et al., 2019; Harrison et al., 2020). Différents facteurs de virulence sont préférentiellement exprimés à chaque phase de l’infection ; ils seront décrits dans le chapitre 

LIRE AUSSI :  Cycle biologique des plasmodies humaines

Principales caractéristiques de Pseudomonas aeruginosa

Sensibilité aux antibiotiques 

 Mécanismes de résistance P. aeruginosa est naturellement résistant à de nombreux antibiotiques par le biais de mécanismes intrinsèques. A ces mécanismes s’ajoutent des mécanismes de résistance acquise et adaptative (mécanismes transitoires induits par l’exposition aux antibiotiques), qui le rendent résistant à de nombreux antibiotiques naturellement actifs et restreignent ainsi les options thérapeutiques (Venier et al., 2012; World Health Organization, 2018) (Figure 3). Figure 3 : Mécanismes conférant à P. aeruginosa une résistance aux antibiotiques Pour chaque mécanisme, différentes stratégies moléculaires confèrent une résistance à différentes classes d’antibiotiques anti-Pseudomonas (Car., Carbapénèmes ; Ceph., Céphalosporines ; Pen., Pénicillines ; Ami., Aminosides ; Flu., Fluoroquinolones ; Mac, Macrolides et Pol, Polymyxines), sont présentées en haut de la figure (soulignées). Les étoiles représentent les antibiotiques. CM : membrane cytoplasmique ; OM : membrane externe. Les mécanismes intrinsèques, tels que les barrières structurelles (par exemple l’EPS, substances polymères extracellulaires), la baisse de production d’OprD et la production basale de la βlactamase AmpC et de pompes d’efflux MexAB/XY-OprM, confèrent une résistance à certaines familles d’antibiotiques. La résistance acquise est liée à des mutations au sein du gène oprD ou de répresseurs transcriptionnels de gènes de résistance, de gènes cibles ou de gènes codant le lipopolysaccharide (LPS). Ces mutations confèrent une résistance à un grand nombre de familles d’antibiotiques. Lors de résistance à médiation plasmidique, une variété de gènes de résistance peut être transférée entre bactéries. La résistance aux polymyxines, due à des mutations génomiques ou des plasmides, est liée à la modification du LPS. La résistance adaptative se produit en présence d’antibiotiques. Il s’agit d’un phénomène épigénétique transitoire et réversible, qui disparaîtra lorsque les antibiotiques seront éliminés. D’après (Moradali et al., 2017) Principales caractéristiques de Pseudomonas aeruginosa 

 Résistance intrinsèque

 Trois principaux mécanismes confèrent à P. aeruginosa une résistance naturelle aux antibiotiques en restreignant l’accès à leur cible thérapeutique (López-Causapé et al., 2018) : la faible perméabilité naturelle de sa membrane externe, la production de pompes d’efflux et la production d’une céphalosporinase chromosomique inductible AmpC. Pour atteindre leur cible, les antibiotiques doivent pénétrer au sein de la cellule bactérienne. La membrane externe de P. aeruginosa représente une barrière sélective formée par une bicouche de phospholipides, de lipopolysaccharide (LPS) et de porines. La porine OprF est une porine non-spécifique, présente en conformation fermée chez plus de 95% de la population bactérienne. Cette porine confère à la membrane externe sa faible perméabilité (10 à 100 fois plus faible que celle d’Escherichia coli), limitant la pénétration d’antibiotiques hydrophobes au sein de la cellule bactérienne (Fito-Boncompte et al., 2011; Pachori et al., 2019; Pang et al., 2019). Des systèmes d’efflux peuvent conférer à P. aeruginosa une résistance vis-à-vis de certains antibiotiques en facilitant l’export de ces molécules hors de la cellule bactérienne. P. aeruginosa produit près d’une douzaine de systèmes d’efflux distincts, bien que seuls deux participent activement à la résistance naturelle. Cette résistance est liée à la production constitutive de la pompe d’efflux MexAB-OprM et à la production inductible de MexXY-OprM (Poole, 2011; Oliver et al., 2015). Enfin, P. aeruginosa produit une β-lactamase inductible à large spectre AmpC, dont l’expression est induite par certaines β-lactamines. La production de cette enzyme à un état basal confère une résistance vis-à-vis des aminopénicillines et de la majorité des céphalosporines (à l’exception de la ceftazidime, du céfépime et du ceftolozane) (Oliver et al., 2015). Ainsi, P. aeruginosa est naturellement résistant à plusieurs familles de β-lactamines, telles que les aminopénicillines (comme l’amoxicilline, associée ou non à l’acide clavulanique), les céphalosporines de première et seconde génération, ainsi que certaines de troisième génération (cefotaxime, ceftriaxone) ou encore certains carbapénèmes (ertapénème) (Moradali et al., 2017). Les souches de P. aeruginosa sont également naturellement résistantes à certains aminosides (kanamycine, néomycine) en raison de la production d’une enzyme chromosomique modificatrice APH(3’)-IIb, ainsi qu’aux quinolones de première génération, grâce à des systèmes d’efflux (Poole, 2005).  

Table des matières

Remerciements
Liste des figures
Liste des tableaux
Liste des abréviations
Introduction générale
Revue de la littérature
I. Principales caractéristiques de Pseudomonas aeruginosa
I.1. Données générale
I.2. Données génomiques
I.3. Habitat et mode de vie
I.4. Sensibilité aux antibiotiques
I.4.1. Mécanismes de résistance
I.4.2. Epidémiologie de la résistance
II. Infections à Pseudomonas aeruginosa
II.1. Généralités
II.2. Infections urinaires à P. aeruginosa
III. Virulence et adaptation à l’hôte
III.1. Généralités
III.2. Particularités du milieu urinaire
III.3. Le biofilm : un des principaux éléments de survie
III.3.1. Formation du biofilm
III.3.2. Composition du biofilm
III.3.3. Core-proteome et core-transcriptome du biofilm
III.4. Principaux facteurs de virulence
III.5. Régulation de la virulence et de la formation de biofilm
III.5.1. Quorum Sensing
III.5.2. Seconds messagers
III.5.3. Petits ARNs
III.5.4. Systèmes à deux composants et facteurs sigma
III.5.5. CRISPR
IV. Diversité génétique et adaptation à l’hôte
IV.1. Méthodes d’études
IV.1.1. Typage moléculaire par multilocus sequence typing
IV.1.2. Séquençage de génome complet
IV.2. Epidémiologie moléculaire des infections à P. aeruginosa
IV.2.1. Données générales
IV.2.2. Epidémiologie moléculaire des IU
IV.3. Etudes longitudinales, évolution au cours du temps
IV.3.1. Evolution par mutations
IV.3.2. Evolution par insertions ou délétions
Travaux personnels
I. Introduction générale des travaux personnels
II. Premier travail personnel
II.1. Publication n°1
II.2. Principaux résultats
II.2.1. Caractéristiques démographiques et cliniques des patients inclus dans la cohorte
II.2.1. Sensibilité des isolats aux antibiotiques
II.2.2. Typage par MLST
III. Second travail personnel
III.1. Publication n° 2
III.2. Principaux résultats
III.2.1. Données cliniques des patients
III.2.2. Profils de résistance aux antibiotiques
III.2.3. Adaptation moléculaire de P. aeruginosa au tractus urinaire
III.2.4. Impact des délétions génomiques sur le fitness et la formation de biofilm
Discussion générale
I. Diversité moléculaire et phénotypique des isolats urinaires de P. aeruginosa
II. Diversité moléculaire et phénotypique au sein d’un prélèvement
III. Diversité au cours du temps et adaptation à l’hôte
III.1. Principaux mécanismes moléculaires d’adaptation
III.2. Principales voies d’adaptation phénotypique de P. aeruginosa au tractus urinaire
III.3. Associations génotypes-phénotypes
Conclusion générale
Références bibliographiques
Résumé / Abstract

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