Diversité et rôle des champignons ectomycorhiziens dans la régénération naturelle des peuplements monospécifiques à Gilbertiodendron dewevrei
LA SYMBIOSE MYCORHIZIENNE
La symbiose mycorhizienne est l’association entre un champignon du sol et la racine fine d’une plante, à l’origine d’un nouvel organe nommé mycorhize, lieu des échanges entre les deux partenaires. Elle constitue la symbiose végétale la plus répandue dans les écosystèmes terrestres (Fortin et al., 2008 ; Smith et Read, 2008). On estime à 86% le nombre de plantes terrestres formant des mycorhizes (Brundrett, 2009). Les espèces de quelques familles de plantes en sont quelques fois dépourvues, à l’exemple des Crucifères et des Chénopodiacées. La symbiose mycorhizienne est un phénomène fondamental et universel chez les plantes vasculaires et les bryophytes, qui existe depuis plus de 450 millions d’années (Fortin et al., 2008).
Les différents types d’associations mycorhiziennes
Il existe sept types de symbioses mycorhiziennes classés selon leur écologie, leur morphologie et leur structure : les mycorhizes à arbuscules (MAs), les ectomycorhizes (ECMs), les mycorhizes arbutoïdes, les mycorhizes monotropoïdes, les mycorhizes éricoïdes, les mycorhizes orchidoïdes et les ectendomycorhizes (Figure 1 ; Tableau 1). De par leur intérêt agronomique et écologique, les MAs et ECMs sont les plus importants dans les écosystèmes terrestres.
Les mycorhizes à arbuscules
Les MAs sont les plus primitives (450 millions d’année) et les plus répandues dans les écosystèmes naturels ou cultivés (Tedersoo et al., 2010a). En zone tropicale humide, les MAs dominent en général les forêts secondaires et un grand nombre de forêts primaires (Janos, 1980, 1996). Les filaments mycéliens du champignon pénètrent les cellules du cortex racinaire en traversant la paroi des cellules et en repoussant le plasmalemme (Figure 1). Les hyphes intracellulaires peuvent se dilater en vésicules à rôle de réserve ou se ramifier en arbuscules à rôle d’échanges (Smith et Read, 2008). Les hyphes extra-racinaires assurent l’exploration du sol et augmentent ainsi le volume de sol accessible à la plante dans la recherche des nutriments. Les champignons mycorhiziens à arbuscules sont des symbiotes obligatoires qui ne peuvent se développer sans la plante hôte. Les champignons impliqués sont des Gloméromycètes et les plantes hôtes appartiennent à tous les taxons végétaux (ex. arbres, arbustes, plantes agricoles). 1.3.Les ectomycorhizes Les ECMs constituent le groupe de mycorhizes le plus rencontré après les MAs. Les espèces de plantes qui forment des ECMs sont majoritairement des angiospermes (Taylor et Alexander 2005; Tedersoo et al. 2010a). Ces espèces sont essentiellement des arbres appartenant aux familles et sousfamille des Betulaceae, Cesalpiniaceae, Dipterocarpaceae, Fagaceae, Myrtaceae, Papilionaceae, Polygonaceae, Pinaceae, Casuarinaceae, Cistaceae, Fabaceae, Ericaceae, Sarcolaenaceae, Phyllanthaceae, Tiliaceae, Sapindaceae, etc, bien qu’il existe quelques, herbacées et lianes qui possèdent aussi des ECMs (Selosse et al. 2006; Bâ et al. 2011). La majorité des arbres à ECMs, en particulier les Ericaceae, possèdent aussi des MAs et/ou plus rarement des ectendomycorhizes avec une dominance des MAs sur les jeunes plants et des ECMs sur les arbres adultes (Read, 1997; Egerton-Warburton et Allen, 2001;). Le nombre d’espèces de plantes et de champignons impliqués dans cette association est habituellement estimé respectivement à 6000 et 20000-25000 (Rinaldi et al., 2008 ; Tedersoo et al., 2010a). Les ECMs sont observées dans la plupart des régions tempérées et boréales et dans une moindre mesure dans les forêts tropicales et subtropicales (Verbeken et Buyck, 2001 ; Wang et Qiu, 2006 ; Smith et Read, 2008 ; Peay et al., 2010 ; Diédhiou et al., 2010a ; Bâ et al., 2012). Elles sont apparues plus récemment (50 millions d’années) que les mycorhizes à arbuscules. 9
LA SYMBIOSE ECTOMYCORHIZIENNE
La formation des ECMs entraîne des modifications importantes de la racine: disparition des poils absorbants, multiplication des racines latérales, allongement des cellules du cortex et formation d’un manteau d’hyphes, appelé « manteau fongique », visible à l’œil nu, entourant les racines nourricières (Martin et al., 2001; Marmeisse et al., 2004). Sur la face interne du manteau, les filaments s’insèrent entre les cellules du cortex racinaire pour former le réseau de Hartig au niveau duquel s’effectuent les échanges entre les deux partenaires (Smith et Read, 2008). Sur la face externe du manteau, les hyphes explorent un grand volume de sol pour mobiliser des nutriments pour la plante hôte (Figure 1). De ce manteau partent des hyphes qui s’insèrent entre les cellules corticales de la racine, sans jamais traverser la paroi, pour former le réseau de Hartig. Ce réseau qui peut se limiter à l’épiderme chez les feuillus ou s’étendre jusqu’à l’endoderme chez les résineux (Voiry, 1981), constitue le lieu d’échanges bidirectionnels entre les deux partenaires de la symbiose. Vers l’extérieur, des hyphes partent du manteau fongique et explore un grand volume de sol allant au-delà de la rhizosphère, formant ainsi un réseau extra-matriciel. Ce dernier détermine la mycorhizosphère et est relié aux fructifications des ECMs ou sporophores qui peuvent être épigés ou hypogés sous le houppier des plantes hôtes (Bâ et al., 2011). Cette symbiose implique des champignons appartenant principalement aux Ascomycètes et Basidiomycètes (Rinaldi et al., 2008 ). Parmi les Ascomycètes, on trouve par exemple des Truffes, comestibles et à forte valeur ajoutée, et l’espèce Cenococcum geophilum très répandue dans les écosystèmes forestiers. Parmi les Basidiomycètes, des Russules, Lactaires, Amanites, Bolets, Chanterelles, Sclerodermes sont les plus communément rencontrés et certains sont comestibles (Russules, Lactaires, Bolets, Chanterelles).
Cycle de vie des champignons ectomycorhiziens
Le cycle de vie des champignons EM varie selon le groupe de champignons étudiés. Nous prendrons comme exemple le cycle typique d’un champignon du groupe des Agaricales appartenant au phylum des Basidiomycètes (Figure 2). Le cycle de vie commence par la germination d’une spore en un mycélium primaire (haploïde) qui va se développer et coloniser le milieu au cours de sa croissance végétative. Lorsqu’un mycélium primaire rencontre un autre avec lequel il est sexuellement compatible, les deux vont s’associer et fusionner leur cytoplasme (plasmogamie) pour former un mycélium secondaire à 2 noyaux haploïdes. Ce dernier peut se maintenir au stade dicaryotique pendant très longtemps. Le mycélium secondaire formera ensuite un primordium qui 10 évoluera en un sporophore. À son tour, le sporophore produira des cellules fertiles appelées basides dont les 2 noyaux haploïdes vont fusionner (caryogamie) pour donner une baside à un noyau diploïde. Après la caryogamie, le noyau de la baside va subir la méiose et former 4 basidiospores haploïdes. Les basidiospores, qui vont être disséminé par le vent, germeront dans des conditions de milieu propices pour former un mycélium primaire, et le cycle recommence.
Diversité des champignons EM et des ECMs
Il existe une grande diversité de champignons EM et d’ECMs impliquant majoritairement des Basidiomycètes et Ascomycètes. La diversité des champignons EM (Tableau 2) est estimée entre 20 000 et 25 000 espèces (Rinaldi et al., 2008 ; Tedersoo et al., 2010a, Bâ et al., 2011) et 343 genres sur la base d’études morphologiques, moléculaires et isotopiques (Rinaldi et al., 2008). Les ECM apparaissent sur la plupart des arbres des forêts tempérées et boréales, et aussi sur de large étendues forestières tropicales et subtropicales (Rinaldi et al., 2008). Les ECMs ont été décrites sur un nombre varié d’arbres EM et certaines sont facilement reconnaissables à l’observation. C’est le cas des 11 ECMs noires du genre Cenococcum très présentes en région tempérée, des ECMs blanches de Scleroderma bermudense spécifique à Coccoloba uvifera au Sénégal (Séne et al., 2015), des ECMs jaunes vifs de Austrogautiera sp. sur Uapaca guineensis (Thoen et Bâ, 1989), des ECMs jaunes de Scleroderma sinnamariense sur Gnetum spp. (Bechem et Alexander 2009) ou encore des ECMs jaunâtres à surface laineuse de Sebacinales BM03M3 sur Pakaraimaea dipterocarpacea ssp. nitida (Moyersoen, 2012). Certaines études ont suggéré que les forêts tropicales arborent une diversité fongique EM limitée comparativement aux forêts tempérées et boréales (Tedersoo et Nara, 2010). Il existe en effet une diversité EM à l’échelle mondiale qui diminue des régions tempérées vers les régions tropicales (Tedersoo et al., 2010a). Cette idée ne semble pas être liée par le faible nombre d’espèces d’arbres à ECMs dans les régions tropicales. Elle pourrait être due à une colonisation secondaire des régions tropicales par les champignons EM ou à une plus faible diversité des sols qui limiterait la diversification fongique EM (Tedersoo et al., 2010a). Malgré tout, de nombreux travaux en régions tropicales ont révélé une diversité fongique relativement élevée au niveau des ECMs et des sporophores, généralement dominée par des espèces appartenant aux Russulaceae, Boletaceae, Thelephoraceae, Clavulinaceae, Amanitaceae, Cantharellaceae et Sclerodermataceae (Rivière et al 2007 ; Diédhiou et al., 2010a ; Peay et al., 2010 ; Smith et al., 2011 ; Tedersoo et al., 2011 ; Henkel et al., 2012 ; Smith et al., 2013 ; Henry et al., 2015). Toutefois, l’abondance et la diversité de ces champignons peuvent varier d’une région à l’autre. C’est le cas de la lignée fongique /clavulina qui a été la plus diversifiée (21 OTUs) et abondante au Guyana (Smith et al., 2011) comparé aux 6 espèces documentées sur le continent européen (Olariaga et al,. 2009). C’est aussi le cas des espèces de Sclerodermataceae très présentes en Afrique de l’Ouest .
INTRODUCTION GENERALE |