Le terme de « communauté » se définit comme « un groupe de solidarité liée par une identité commune, héritée et non choisie, à la différence des identités politiques, territoriales ou sociales ». L’échelle de la communauté varie donc selon les interactions qui entrent en jeu, ainsi sera-t-elle internationale, transnationale, multinationale, supranationale, ou bien encore micronationale au sens culturel, infranationale au sens politique.
Il existerait, d’après Lévy et Lussault cinq principes capables d’engendrer des communautés : biologique (famille, ethnie, race, sang) ; territorial (sol, pays, terre) ; religieux ; économique ; étatique. Les uns et les autres pouvant se combiner, voire s’articuler, ce qui permet d’infinies ramifications, si bien qu’une seule communauté ne serait pas suffisante pour englober le spectre de toutes les formes de solidarité possibles. Un individu est susceptible d’appartenir à plusieurs communautés en même temps, à charge pour lui de choisir laquelle, en cas de confrontation idéologique, il préfèrera suivre. Autrement dit, un Libanais sera membre de la communauté étatique et territoriale (le Liban) et de la communauté religieuse (sunnite), cette superposition n’entraîne aucune difficulté dès lors que les deux entités entretiennent de bonnes relations.
Toujours selon les auteurs du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, un modèle de l’évolution des groupes humains appelé « communauté/société » (de l’allemand Gemeinschaft und Gesellschaft, 1887) comprend deux éléments qui ne peuvent avoir de sens que relativement l’un à l’autre. Sur le versant « communauté » les codes biologiques, historiques et sociaux sur-déterminent l’identité des membres du groupe ; sur le versant « société », l’individu, s’il possède bien sûr des caractères biologiques, historiques et sociaux, peut néanmoins s’en arracher, accéder à l’autonomie et être, en fin de compte, responsable de sa propre définition .
L’intérêt de ce modèle est double en ce qui concerne l’étude du conflit à Tripoli. Premièrement il démontre qu’une communauté ne saurait rester figée et inaliénable, il n’y a d’inné dans cette idée que son passé et son histoire mais l’être humain par nature ne naît pas membre d’un groupe déterminé, c’est son développement et ses choix postérieurs qui assoiront une appartenance préalablement forcée en fonction de son lieu de naissance, de sa famille, ou d’une multiplicité de facteurs.
De plus, le terme de « société » pose un premier doigt sur ce qui a été présenté sous le nom de « société civile » dans le titre de ce travail. Ainsi si la communauté porte le poids d’une hérédité partagée, la société telle que définie par ce modèle réussit à s’extraire d’une pensée unique pour apporter une vision plus personnelle. C’est par ce biais déviant, puisqu’il ne correspond pas à la masse, que les associations tentent d’ouvrir une porte dans un milieu sclérosé par la prédominance d’un seul discours et déchiré par l’intrusion d’un groupe ennemi dans leurs œillères.
Le communautarisme quant à lui désigne « tout mouvement de revendication sociale et politique qui, dans un contexte très inégalitaire, mobilise des identités communautaires (surtout religieuses, ethniques ou régionales, éventuellement claniques) dans des rivalités ou des luttes ouvertes pour le pouvoir et pour l’accès aux ressources. » Ce concept « transcende » donc les « communautés de base (groupe de parenté et groupes de résidence) » par une volonté forte de s’affirmer membre de ce groupe, ce qui passe bien souvent par le dénigrement des autres.
Ou encore, le concept peut se définir, « comme un processus de désunion ou de dissociation de la communauté nationale, rendu possible à la fois par l’affaiblissement de la puissance intégratrice du modèle [en place] et par l’irruption de nouveaux entrepreneurs idéologiques d’identité ethnique, ethno-religieuse ou politico-religieuse, s’appliquant à réaliser […] leurs projets respectifs de ‘communautarisation’ de tel ou tel secteur de la population ». La montée d’idéologies communautaristes n’est donc rendue possible que par l’éviction lente et mûrie du représentant de la communauté référente qui se doit de rassembler l’ensemble de la population pour éviter que celle-ci ne soit justement happée par d’autres plus convaincantes. Pour reprendre l’exemple du Libanais sunnite, il a été dit que sa double appartenance ne gênait en rien son épanouissement tant qu’aucune discorde n’intervenait entre son pays et sa religion. En revanche, si les relations se détériorent, voire mènent à un conflit, il pourra choisir d’en privilégier une et même de s’investir pour défendre cette cause au point de la revendiquer comme sa seule véritable identité. Il tombera alors dans une démarche communautariste.
Mais comme le fait remarquer F. Balanche, « le communautarisme n’explique pas tout, et il serait une erreur d’analyser le Proche-Orient à travers ce prisme unique. Pour saisir la complexité de la société proche-orientale, il convient de croiser différentes approches. Lorsque j’ai tenté une analyse des causes de la révolte syrienne dans Géographie de la révolte syrienne (2011), j’ai utilisé trois composantes principales : le communautarisme, les classes sociales et la territorialité ». Dans le même ordre d’idées, il sera ici question de ces trois facteurs. Le premier fera référence aux deux communautés fratricides de Tripoli, alors la pauvreté marque la classe sociale concernée sur un territoire réduit à deux quartiers limitrophes.
Première partie : CADRE CONCEPTUEL |