Le tolérancement dimensionnel et géométrique
Le tolérancement dimensionnel et géométrique (GD&T: Geometric Dimensioning and Tolerancing) est un langage graphique qui définit, à travers des symboles et des règles, les limites d’acceptation des variations dimensionnelles et géométriques d’un élément géométrique (ex. une ligne d’axe, un plan, un plan médian, une surface libre, etc.). Le tolérancement est géré par deux grandes familles de normes, les normes ISO-GPS (ex. ISO 8015-2011 (ISO, 2011), ISO 1101-2017 (ISO, 2017) etc…) et la norme ASME Y14.5-2018 (ASME, 2018). Ces normes sont des outils de communication qui établissent des requis et qui imposent un symbolisme pour définir et interpréter les variations permises et qui recommandent aussi des pratiques pour les requis sur les dessins de définition. En bref, le tolérancement dimensionnel contrôle la variation linéaire ou angulaire d’un élément géométrique simple en définissant une limite inférieure et une limite supérieure. Le tolérancement géométrique quant à lui, permet de contrôler les variations géométriques d’un élément tolérancé par rapport à sa géométrie nominale. L’élément tolérancé peut être unique ou un groupe d’éléments.
La norme ASME Y14.5-2018 (ASME, 2018) définit cinq (5) familles de tolérances géométriques. Ces tolérances doivent être utilisées par rapport à une ou plusieurs références (Datums) (sauf pour les tolérances de forme) et peuvent être jumelées ou pas avec des modificateurs dépendamment de leur nature (élément de taille ou pas). Le Tableau 1-1 récapitule les notions de base reliées à ce type de tolérancement. Les concepteurs se trouvent plus fréquemment face à un problème d’une allocation des tolérances plus qu’un problème d’analyse des tolérances. En effet, la différence entre ces deux problèmes est que: dans l’analyse de tolérances, les tolérances des composants sont connues ou spécifiées et la déviation (variation) sur la résultante de l’assemblage est calculée (Chase, 1999). Cependant, pour l’allocation des tolérances, le requis final est déjà connu et imposé depuis la phase de conception alors que les tolérances sur les composants qui vont respecter ce requis ne le sont pas et doivent être spécifiées (Figure 1.1). Notons que pour le sens #1, il existe une infinité de solutions possibles et que pour le sens #2, la solution est univoque.
La conception des gabarits d’usinage
La conception d’un gabarit d’usinage est une phase majeure dans l’élaboration de la planification d’un processus d’usinage qui est définie comme étant : ‘les phases préparatoires advenant la fabrication d’un composant et déterminant toutes les instructions nécessaires pour sa production.’ (Swamidass, 2000) Cette tâche de conception repose principalement sur l’expertise du concepteur et du programmeur de la machine-outil (département des méthodes). Plusieurs défis entrent en jeu lors de son exécution, ce qui la rend parfois une activité très complexe mais toujours cruciale pour assurer la bonne productivité, surtout avec les exigences croissantes des clients et la compétitivité sur le marché. L’interprétation du design du composant à produire, la sélection des étapes d’usinage et des procédés, la définition des opérations, le séquencement des opérations à chaque étape, la définition des référentiels (Datums) d’usinage, l’interprétation et la conversion des tolérances dimensionnelles et géométriques en des dimensions de travail, sont toutes, des tâches à prendre en considération lors de la planification du processus de fabrication d’un composant. Le concepteur et le programmeur se basent généralement sur les années d’expérience cumulées dans le domaine pour bien achever cette tâche. Ils sont parfois amenés à faire des choix heuristiques surtout lorsque les composants à produire sont morphologiquement complexes. Ce choix affecte directement le coût, la qualité et le temps de production. ).
Compensation des erreurs géométriques et thermiques de la machine-outil
Pour les erreurs géométriques de l’outil, deux approches peuvent être identifiées pour leurs compensations : La première est une méthode directe basée sur une mesure périodique de l’erreur par des instruments de mesure (Laser de poursuite ou bras de mesure 3D). La réalisation des mesures périodiques nécessite cependant des arrêts des opérations d’usinage ce qui réduit l’efficacité de cette méthode. La seconde méthode consiste à modéliser mathématiquement ces erreurs, de les simuler et compenser les programmes d’usinage. Plusieurs modèles ont été proposés et améliorés au fil du temps. Dans (B. Wu, Yin, Zhang, & Luo, 2018), et en se basant sur les matrices de transformation homogènes, des algorithmes de compensation ont été développés et simulés sur un cas réel pour une machine à trois axes en utilisant le logiciel VERICUT®. La précision d’usinage est donc améliorée. Aussi, dans (Xiang, Deng, Li, Du, & Yang, 2019), un modèle volumétrique de compensation de ces erreurs pour des machines à 5 axes a été établi, toujours en se basant sur la notion de transformation homogène des matrices inspirée de la robotique.
Pour les erreurs thermiques de l’outil, elles se présentent comme des déformations de l’outil dues à la chaleur générée par des sources internes (rotation de broche, friction des paliers, etc.) et externes (variation cyclique de la température ambiante, inertie thermique de la machine, etc.). Selon (Mayr et al., 2012), les erreurs thermiques peuvent être à l’origine de 75% des défauts engendrés sur les composants usinés. Ce problème s’avère très important à ce que des normes internationales ont apparues pour l’évaluation et la détermination de ces erreurs telles que les normes : ISO 10791-10 (ISO, 2007b) , ISO 13041-8 (ISO, 2004) et ISO 230-3 (ISO, 2007a). Pour les techniques de compensation de ces erreurs, des méthodes directes et indirectes sont d’usage. Les techniques directes se basent sur une mesure des déplacements entre l’outil 29 et le composant à l’aide d’une inspection. Ceci n’est pas toujours efficace à cause de la rapidité des changements thermiques qui peuvent avoir lieu. Le suivi et la correction de ces erreurs nécessitent des mesures fréquentes qui vont nécessiter un arrêt de l’opération d’usinage. Pour les techniques de compensation indirectes, plusieurs approches ont été étudiées dans la littérature et elles peuvent être classifiées en trois familles: (i) méthodes numériques basées sur des simulations à éléments finis, (ii) des méthodes expérimentales servant à élaborer un modèle empirique (en utilisait des régressions) et, (iii) des méthodes basées sur l’intelligence artificielle dont l’efficacité est de plus en plus démontrée par les récentes études (Abdulshahed, Longstaff, & Fletcher, 2015). Aussi, on réfère le lecteur à (Yang Li et al., 2015) où une revue critique de toutes ces techniques a été réalisée.
Tolérancement des gabarits d’usinage
Les déviations permises d’un point de contact entre un localisateur et le composant de sa position nominale sont à l’origine des erreurs géométriques des éléments (Features) qui seront usinés. Ceci justifie l’utilisation des tolérances très réduites pour les éléments de localisation du gabarit. Historiquement, la règle du 10 à 20% de la tolérance permise de l’élément du composant est employée. Ces règles ad hoc ont montré leur efficacité mais elles ne se basent pas sur une approche scientifique et systémique. On peut leur reprocher une sur-qualité qui occasionne des coûts. Le problème d’analyse des tolérances est bien étudié dans la littérature. (Choudhuri & De Meter, 1999) ont étudié l’effet de la variation de la géométrie des localisateurs sphériques sur l’erreur de localisation engendrée et par la suite sur les défauts géométriques des éléments plans qui seront usinés. (Yu Wang, 2002) a étudié l’effet de la disposition nominale optimale et des tolérances assignées aux localisateurs sur la conformité des éléments à usiner sur le composant. Ce modèle a été ensuite appliqué sur un cas d’étude en 2D. (Moroni, Petrò, & Polini, 2014) ont ajouté l’effet des défauts de forme de la surface du composant qui est en contact avec le localisateur et qui sont eux aussi source de l’erreur de localisation. Un modèle stochastique ARMA (modèle autorégressif de moyenne mobile) a été utilisé pour modéliser les défauts de forme. La précision de perçage d’un trou dans le cas 2D a été étudiée par le modèle proposé pour évaluer la performance de la disposition nominale à choisir pour positionner les éléments de localisation du gabarit. Quant au problème d’allocation des tolérances pour les éléments de localisation d’un gabarit d’usinage, il a été traité, au mieux de notre connaissance, seulement par (Kang, Rong, & Yang, 2002). L’idée consiste à donner une sensibilité, à chaque localisateur du gabarit dans le cas de localisation isostatique 3-2-1, reliée à l’erreur que sa variation engendre sur l’erreur géométrique de l’élément à usiner. Les détails derrière cette méthode seront repris dans le chapitre suivant.
Les gabarits intelligents
Pour les erreurs qui sont dues au stress interne du composant et qui se manifestent par des déformations lors du démontage du composant du gabarit, le problème est plus complexe surtout lorsque les composants à produire seront d’une rigidité réduite. La déformation engendrée augmente avec la quantité de matière enlevée qui, pour des composants de grande taille ou des composants à parois minces, peut aller jusqu’à 90% du brut. Une recherche effectuée à l’université de Nanjing (Chine) en collaboration avec les universités de Bath et Greenwich (Royaume Uni) a démontré que le taux de réussite du premier coup lors de la fabrication des composants d’aéronautique de grande taille ne dépasse pas 50% à cause de ces erreurs (Li, Liu, Hao, Gao, & Maropoulos, 2015). Récemment, la notion des gabarits intelligents est apparue. Ces derniers permettent un certain contrôle de ces déformations. Ce sont des gabarits asservis, mieux connus sous le nom de, en anglais: Intelligent Fixtures, Responsive Fixtures, Actuated Fixtures ou aussi Adaptive Fixtures. Afin d’usiner un composant à parois minces, (Möhring & Wiederkehr, 2016) ont proposé l’emploi des pinces flottantes pour adapter la position de chaque point de serrage à la déformation du composant et ce, en utilisant des pistons hydrauliques qui agissent afin d’augmenter l’amortissement du gabarit. Dans (Yingguang Li et al., 2015), une solution qui se base sur la surveillance et l’inspection de la déformation au cours de l’usinage du composant a été proposée.
Le composant est fixé par des outils asservis qui ajustent la position du composant selon ses forces de réaction dues au relâchement de son stress résiduel interne. Des capteurs de pression piézoélectriques servent à calculer ses forces de pression et des capteurs de déplacements à courant de Foucault sont intégrés dans le gabarit. Une chaîne de régulation PID (Proportionnel, Intégrateur, Dérivateur) contrôle les mouvements de ces outils asservis tels que dans la Figure 1.11. Figure 1.11 Instrument prototype utilisé dans un gabarit asservi, tirée de (Yingguang Li et al., 2015) Une étude de cas d’un composant de dimensions 1205 × 306 × 52 𝑚𝑚 avec des parois minces de 2 𝑚𝑚 a démontré l’efficacité de cette méthode. Les déformations finales ont été de 0,04 𝑚𝑚 alors qu’avec une méthode de fixation ordinaire, cela aurait pu dépasser 1,08 𝑚𝑚. Finalement, dans l’étude de (Hao, Li, Chen, & Liu, 2018), une nouvelle technique de fixation appelée 6 + 𝑥 a été introduite dans ce même cadre. Le composant est divisé en deux parties, une partie fixe dont les degrés de liberté sont restreints par six points non colinéaires (pour les 6 degrés de liberté) et une partie flottante supportée par 𝑥 autres points ajustables pour maintenir la stabilité du composant et pour relaxer la déformation du composant due à son stress interne. Une étude de cas a été réalisée pour comparer la déformation finale du composant après avoir été usiné. Avec cette technique, la déformation finale était de 0,04 mm alors qu’avec une technique de fixation traditionnelle 3-2-1, elle était de 0,21 mm.
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