Dispositif PSE dans un contexte de pauvreté
Discussions et recommandations
Etant donné les liens palpables qui existent entre la pauvreté et l’état des ressources environnementales, toute intervention en matière de conservation dans un contexte de pauvreté devrait confronter principalement les facteurs de dégradation, incluant la pauvreté pour aboutir. On a pu relever à travers nos analyses qu’il existe une dépendance mutuelle entre l’état de pauvreté et la dégradation de l’environnement, mais aussi que divers facteurs externes renforcent cette dépendance. En particulier, on a mis en lumière les connections qui pourraient exister entre les risques (particulièrement les chocs environnementaux), les actifs des ménages, les stratégies de subsistance, la trappe à la pauvreté et la dégradation de l’environnement. Si diverses situations peuvent émerger de la combinaison de ces différents facteurs, on a proposé la mise en œuvre des dispositifs de paiements comme alternative à la dégradation de l’environnement et la pauvreté. Nos analyses ont ainsi suggéré qu’une conception appropriée devrait inclure les investissements d’actifs nécessaires pour concrétiser l’implication des fournisseurs pauvres, non seulement pour sécuriser la provision des SE mais aussi pour qu’ils en bénéficient. Toutefois, deux éléments de conception doivent être priorisés afin d’améliorer les chances de réussite du dispositif concernant ses contributions à la réduction de la pauvreté et la provision du SE.
La participation des pauvres en tant que composante centrale de conception
Juger de la pertinence d’un investissement particulier d’actif dans un contexte donné dépendra essentiellement de la manière dont les décideurs ou exécutants des projets de conservation évaluent le contexte qui prévaut. Rappelons que les actifs peuvent être à la fois personnels (terres, éducation et compétences, financiers, …) et détenus en commun (institutions communautaires, infrastructures physiques, services écosystémiques, …). Une évaluation compréhensive du contexte local et la définition des variables d’approche correspondantes requièrent l’implication des fournisseurs potentiels de SE, particulièrement des pauvres dès le début de la conception du dispositif. En effet, il existe un lien étroit entre le processus gouvernant la conception et les conséquences qui vont émerger de ce qui a été conçu. Un processus perçu localement comme juste et équitable a davantage de chances de produire des résultats légitimes (Holcombe, 1983), surtout en termes de distribution des bénéfices et des coûts. A cet effet, un exemple qu’il convient de mentionner porte sur le cas examiné par Petheram et Campbell (2010), concernant la participation des fournisseurs potentiels de SE pauvres dans la conception du dispositif. La conception comprenait notamment d’une part l’évaluation des perceptions et des aspirations des participants des conditions et de l’usage des forêts, les problèmes relatifs aux moyens de subsistance, les relations avec les autorités publiques, la culture, ainsi que les restrictions d’usage des terres. D’autre part, par rapport à cela, les spécificités des dispositifs de paiements comme le type de paiement (cash ou en nature) et la fréquence ont été débattus (Petheram et Campbell, 2010). Bien que les auteurs aient relevé une volonté des participants à s’engager dans le dispositif, leur implication dans un tel forum de délibération avait permis d’identifier les facteurs inhibitifs qui auraient pu les empêcher de s’engager de manière effective, tels que la déficience en actifs (humain, social, financier) qu’on a soulignée tout au long des analyses. Les auteurs ont ainsi recommandé le besoin de combiner des éléments de projets de développement et projets de paiements pour offrir une alternative effective dans un contexte de pauvreté (Petheram et Campbell, 2010). Ainsi, conforter les différents facteurs (comme l’inégalité de pouvoirs par exemple) qui pourraient empêcher la participation des fournisseurs potentiels pauvres à travers une plateforme de délibération est une étape nécessaire (Wegner, 2015). Bien que mettre en place une telle plateforme puisse s’avérer être coûteux, cela procure quelques avantages. Selon Jacobs, (1997), une plateforme de délibération dans un contexte de conservation permettrait 1) d’avancer les arguments sans perdre de vue la préoccupation principale d’achever les objectifs appropriés (i.e. comment le dispositif va m’impacter personnellement et les autres ainsi que la conservation), 2) de fournir des possibilités plus larges pour les participants surtout l’atteinte d’un consensus concernant les changements d’usage des terres, les spécificités des paiements, … et 3) de créer un sentiment de communauté, ce qui pourrait réduire considérablement les risques d’éviction de motivation (motivation crowding-out). Comme Jacobs l’avait conclu, l’objectif est d’atteindre une entente sur ce qui doit être réalisé conjointement.
Reconsidérer les priorités pour l’allocation des paiements
Etablir un dispositif de paiements pour confronter la dégradation de l’environnement et la pauvreté peut être perçu comme une conception à deux étapes, où les infrastructures nécessaires pour sécuriser les SE et sécuriser les moyens de subsistance des fournisseurs de SE sont établis en premier lieu. La deuxième étape se focaliserait sur la reconsidération des questions d’allocation des paiements, étant donnés particulièrement 1) les coûts engendrés par la mise en œuvre et 2) les risques qui ne vont pas être seulement de nature environnementale. Pour les coûts de mise en œuvre, une alternative pourrait se focaliser sur l’évaluation succincte des compromis potentiels entre le besoin de sécuriser/ fournir les SE et les problèmes de pauvreté. Dans un contexte de pauvreté, il existe deux possibilités pour confronter ces compromis : augmenter le fonds pour financer les paiements, ou augmenter les parts des fournisseurs pauvres, qui pourrait cependant se faire au détriment de l’efficience. Dans de telles circonstances, évaluer les préférences des acheteurs potentiels de SE concernant l’inclusion explicite d’objectifs sociaux (comme la réduction de la pauvreté) dans la conception du dispositif, et comment cela influencerait-il leurs consentements à soutenir un dispositif ‘propauvre’ peut s’avérer payant. Quelques études ont déjà exploré cette voie, mais avec des résultats contrastés. Par exemple, Zander et Garnett (2011) avaient trouvé que les acheteurs de SE fournis par des terres indigènes situées en Australie sont davantage plus enclins à supporter des dispositifs de paiements qui procuraient les bénéfices les plus élevés en termes de biodiversité et de séquestration de carbone, contrairement à ceux qui fournissaient des bénéfices sociaux additionnels aux fournisseurs de SE pauvres. Dans un contexte à peu près similaire, Markova-Nenova et Wätzold (2017) avaient observé que les citoyens d’une ville en Allemagne consentaient à dépenser un montant substantiel d’argent pour supporter un dispositif de paiements ‘pro-pauvres’ (i.e. la distribution des paiements favorise largement les pauvres) visant à préserver les forêts épineuses dans le sud-ouest de Madagascar, comparés à des dispositifs qui proposaient un partage égalitaire des paiements. En outre, leurs études avaient révélé l’importance des informations sur la distribution des paiements parmi les fournisseurs potentiels. Bien que les impacts sociaux des paiements commencent peu à peu à émerger dans les débats (voir par exemple Pascual et al., 2014), de plus amples recherches sur les analyses des compromis pourraient aider à prioriser les objectifs. Finalement, considérons un dernier aspect concernant l’allocation des paiements. Dans les sections précédentes, on a examiné la possibilité que les chocs environnementaux influençaient les stratégies de subsistance des ménages et que ces dernières impacteraient négativement l’environnement. Toutefois, ces stratégies n’étaient pas seulement influencées par des risques environnementaux, mais aussi par les circonstances économiques comme les pics des prix des denrées alimentaires. Zabel et Engel (2010) proposaient à cet égard de considérer le timing des paiements, qui pouvaient être offerts dans une période spécifique de l’année, de sorte que les participants pouvaient surmonter les périodes difficiles grâce à des paiements adaptés selon leurs préférences concernant le temps où ils les recevraient. De telles considérations ont en effet leurs mérites si les paiements peuvent agir comme des dispositifs d’assurance contre les risques et prévenir des stratégies d’adaptation nocives à l’environnement (voir par exemple le cas investigué par Goodman (2006) dans le sud-ouest de Madagascar, ou le cas du projet REDD+ pour les forêts de Makira étudié par Brimont et al. (2015)). Encore une fois, d’autres recherches peuvent être conduites pour évaluer la valeur des paiements en tant que filet de sécurité pour les fournisseurs de SE pauvres.
Conclusion
Ce chapitre a permis de mettre en exergue les différentes manifestations de la relation pauvretédégradation de l’environnement. En explorant l’évolution de la conceptualisation de la pauvreté, on a pu soulever que la notion de pauvreté va au-delà des considérations économiques et de la satisfaction des besoins, pour s’étendre aux notions de SE et de capabilité, c’est-à-dire la possession de capacité à réaliser le niveau de bien-être désiré. Cette réalisation passe par un accès aux différents SE qui contribuent au bien-être humain. La mise en œuvre d’un dispositif de paiements selon une approche constructive et participative permet en principe d’impacter positivement sur la pauvreté tout en préservant les SE tant que l’accès par les fournisseurs potentiels de SE aux différents SE est amélioré au moyen d’investissements en actifs (droits de propriété, capital naturel, capital humain, …). Les dispositifs de paiements représentent un outil innovant et prometteur pour confronter la dégradation de l’environnement, mais à condition que les facteurs déterminant de la pauvreté dans lequel ils sont conçus soient soigneusement considérés. En effet, si le rôle primaire des paiements est de fournir ‘un signal de prix’ pour aligner les intérêts des fournisseurs de SE à ceux des bénéficiaires, les ajustements ne sont pas toujours automatiques, particulièrement pour les fournisseurs de SE déficients en actifs. A cet égard, on a proposé deux alternatives qui peuvent être décrites de manière générale comme les étapes à franchir pour concevoir convenablement les dispositifs de paiements. D’une part, l’idée de bâtir ‘les infrastructures’ qui permettraient de diminuer les facteurs inhibitifs qui empêcheraient la participation des fournisseurs de SE pauvres, aux moyens de divers investissements en actifs. D’autre part, la nécessité de reconsidérer les priorités pour ce qui concerne l’allocation des paiements. En effet, bien que les études sur le sujet soient encore très rares, il existe une possibilité que les perceptions des impacts sociaux des paiements sur les fournisseurs pauvres soient importantes pour les bénéficiaires (et payeurs) de ces SE, tout comme le timing des paiements qui peut être décisif dans la provision des SE dans des contextes environnementaux particuliers qui peuvent affecter les fournisseurs de SE pauvres. Orienter les futures recherches dans ces perspectives peut contribuer aux recherches en matière de conception des dispositifs de paiements dans un contexte de pauvreté. C’est dans cette perspective que les deux prochains chapitres (chapitres 3 & 4) vont discuter de l’opérationnalisation d’un dispositif de paiements dans le contexte spécifique du plateau Mahafaly, dans le Sud-Ouest de Madagascar