Discours de Paul Collier

Discours de Paul Collier

Je voudrais d’abord rendre hommage à Andrew Crockett et au travail qu’il a accompli lorsqu’il était Directeur Général de la BRI. J’ai assisté à la réunion organisée à sa mémoire, où a été rappelé le rôle déterminant que fut le sien, lui, qui a ouvert la porte de cette institution aux économies émergentes. Je sais que cet objectif lui tenait profondément à cœur. Parmi ses innombrables réalisations, il faut d’ailleurs citer cette table ronde, qui se réunit chaque année pour traiter des questions intéressant plus particulièrement les économies africaines. L’Afrique a des caractéristiques spécifiques et des défis qui lui sont propres : ces différences appellent des solutions distinctes. Il ne faudrait pas que les décideurs africains se contentent de suivre sans discernement les approches préconisées, au plan mondial, en matière monétaire. Elles ne sont pas toujours adaptées. De toute évidence, avant 2007, elles ne convenaient pas aux pays qui ont été frappés par la crise financière ; aujourd’hui, elles sont reprises dans des pays africains qui n’ont pas eu à subir la même crise. Les banques centrales africaines devront donc entreprendre un important travail de mise au point. Autre particularité : les banques centrales africaines sont une source d’information économique bien plus importante que leurs homologues sur d’autres continents. Au Royaume-Uni, par exemple, la Banque d’Angleterre n’est que l’une des sources d’information économique, parmi d’autres, qui font également autorité. À cet égard, la place relativement plus éminente des banques centrales en Afrique confère à leur communication un poids d’autant plus important. Renforcer les capacités dans ce domaine est donc crucial. Dans une démocratie, en effet, la banque centrale doit constituer une masse critique de citoyens informés. Ainsi, la Banque d’Angleterre publie-t-elle régulièrement un rapport sur l’inflation et le procès-verbal de ses réunions de politique monétaire. Ce n’est qu’un exemple des multiples actions qu’elle mène pour mieux informer la population et le gouvernement. J’invite donc instamment les banques centrales d’Afrique à reconnaître cette responsabilité particulière qui est la leur.

Je voudrais maintenant dire quelques mots de ce que nous réserve la prochaine décennie. Je sais bien qu’il ne faut jamais écouter les prévisions des économistes, mais je vais pourtant faire deux prévisions. La première est que les années 2010 seront des années de croissance pour l’Afrique. Les ressources découvertes au cours des dix dernières années vont être mises en exploitation – le gaz, au Mozambique et en Tanzanie, et le pétrole, au Kenya et en Ouganda. La croissance va connaître une accélération sur tout le continent et cela aura d’importantes implications pour le secteur financier. En effet, une économie qui stagne n’a pas besoin de secteur financier, car les entreprises peuvent s’autofinancer sur leurs bénéfices non distribués, mais dès que l’économie croît, elles ont besoin de financements. Elles ont besoin d’un fonds de roulement plus conséquent, parce que le chiffre d’affaires de l’année précédente ne paiera pas les intrants de l’année qui suit, et elles ont besoin d’investir. Ce sont donc des pans entiers de l’activité financière qui manquent dans une économie qui sort d’une longue stagnation. Le secteur financier doit se développer bien plus vite que l’économie, car il doit y tenir une plus grande place. Il faut donc préparer ce développement.

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Les entreprises et les ménages voudront investir davantage. Le logement est l’investissement privilégié des ménages. Or le crédit immobilier est encore embryonnaire en Afrique, il ne concerne que 3 % de la population environ. Ce faible taux tient, en partie, au fait que les banques centrales n’ont pas parfaitement maîtrisé l’inflation. Il faudra donc, sans doute, que l’Afrique apprenne à vivre avec 8 à 12 % d’inflation. De tels taux ne posent aucun problème pour une économie, mais ils sont désastreux pour le marché du crédit immobilier, car ils obligent à raccourcir la durée d’amortissement des prêts. Les banques centrales pourraient donc réfléchir aux moyens de composer avec ce problème. Si l’inflation doit fluctuer autour de 10 % pendant un certain temps, pourquoi ne pas instituer des prêts immobiliers indexés ? À ma connaissance, le Ghana est le seul pays d’Afrique qui pratique ce système. Quatre-vingts pour cent des prêts immobiliers octroyés par les sociétés de crédit immobilier ghanéennes avec lesquelles je me suis entretenu sont indexés ; c’est ce système d’indexation qui a permis le développement du crédit immobilier au Ghana. Ce n’est qu’un des moyens que l’Afrique pourrait envisager pour composer avec une inflation modérée, de préférence à la fixation d’un objectif d’inflation de 2 %, qui est une norme dans les économies avancées.

 

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