Effets dynamiques des facteurs institutionnels et du Business Model sur les performances des sociétés non-financières
Dimension financière et comptable du Business Model
Une des dimensions du Business Model correspond à la valeur générée par les choix financiers (décision d’investissement, optimisation du cash-flow opérationnel, etc.). Le Business Model vise tout d’abord à analyser la génération de revenus, mais il ne se réduit pas à ce seul aspect (Afuah, 4; Afuah & Tucci, 3; Arlotto et al., ; Verstraete et al., , ). Selon ces auteurs, le modèle économique met en évidence la manière dont une entreprise génère de la trésorerie, en précisant sa localisation sur la chaîne de valeur. Le terme de « Modèle économique » a été donc introduit tardivement dans le vocabulaire comptable. Selon Sorrentino et Smarra ()4 , le terme est employé pour la première fois par l’IASB dans la norme IFRS : « […] l’entité doit classer les actifs financiers comme étant ultérieurement évalués soit au coût amorti, soit à la juste valeur, en fonction à la fois : a) du modèle économique que suit l’entité pour la gestion des actifs financiers […] ». L’approche retenue dans IAS 3, adoptée en , est également très proche de celle retenue dans IFRS puisqu’elle stipule que le mode de comptabilisation d’un actif financier doit différer selon qu’il est destiné à être conservé ou non. La logique du recours au BM semble donc être présente dès la fin des années même si le concept n’est pas encore explicitement cité. Ce constat a amené Disle, Périer, Bertrand, Gonthier-Besacier et Protin () à examiner dans quelle mesure ce concept n’était pas déjà présent sous d’autres formes, concepts ou approches tels que la comptabilité en partie multiple, la comptabilité multidimensionnelle, le 4 Cité par Disle et al., ()2 principe de prééminence de la réalité économique sur l’apparence juridique, la comptabilité d’intention ou encore la juste valeur ; cette démarche lui permet de préciser en quoi le concept de BM se différencie, remplace ou complète ces autres concepts. Cormier et al. () constatent que les normes IFRS se focalisent de plus en plus sur la substance des transactions et la mesure des coûts et avantages économiques futurs. Cette tendance s’illustre, selon ces auteurs, dans de nombreuses normes : crédit-bail (IAS ), engagement de retraite (IAS ), dépréciation d’actifs (IAS 3), instruments financiers (IAS 3), rémunération fondée sur des actions (IFRS 2), actifs incorporels (IAS 3), impôts différés (IAS ), regroupements d’entreprises (IFRS 3). Le principe de prééminence est défini dans le cadre conceptuel de l’IASB de : « si l’information doit présenter une image fidèle des transactions et autres événements qu’elle vise à présenter, il est nécessaire que transactions et événements soient comptabilisés et présentés conformément à leur substance et leur réalité économique et non pas seulement selon leur forme juridique. » Disle et al., () considèrent que les intentions de management peuvent varier selon les opportunités alors que le BM est stable et n’est susceptible d’être modifié que par des circonstances particulières ; il est observable et vérifiable au travers des flux générés par l’entreprise et des transactions passées et courantes alors que la comptabilité d’intention s’exerce sur des actions prévisionnelles. La réponse à cette question dépend avant tout du niveau auquel est appliqué le BM. Son application à des transactions isolées ouvrirait effectivement la voie à une comptabilité d’intention.
Information comptable et intégration du Business Model
La dimension financière du Business Model se retrouve dans le référentiel IFRS à travers le concept de performance. La version , le cadre conceptuel de l’IASB précise que l’information financière a un usage général (general purpose financial reporting). Elle a pour but de fournir une information utile à la prise de décisions économiques. Les agents susceptibles de prendre des décisions économiques sont variés : les apporteurs de capitaux, les salariés, les fournisseurs, les clients, les gouvernements et leurs administrations et le public (Raffournier, ). Il fait remarquer que “l’IASB considère que les investisseurs, prêteurs et autres créanciers constituent les utilisateurs principaux des rapports financiers et que c’est cette catégorie que l’information financière doit servir en priorité” (Raffournier, , p. ). Cette version du cadre conceptuel définit des caractéristiques qualitatives principales 53 (pertinence, fidélité) et des caractéristiques qualitatives auxiliaires (comparabilité, vérifiabilité, rapidité, intelligibilité) de l’information financière. L’utilité de l’information financière est très présente, à travers les caractéristiques qualitatives des informations contenues dans les états financiers (Obert, ). Dans ce cadre, une information considérée comme pertinente est « une information financière capable de faciliter la prise de décisions des utilisateurs. Pour cela, elle doit avoir une valeur prédictive, de confirmation ou les deux ». Cette information doit permettre de modifier le jugement et d’influencer les décisions des utilisateurs. La publication d’un Business Model entre dans cette catégorie. Le recours au concept de BM serait alors un moyen de justifier et d’objectiver le choix entre différentes méthodes de reconnaissance et d’évaluation des transactions et, comme le soulignent Arbogast et Thornton () et l’ICAEW (, p), de relier les théories de la firme et l’information comptable. Considéré verticalement, il existe au moins trois niveaux de compréhension du Business Model ; il s’agit du niveau général, du niveau conceptuel et du Business Model en tant que construit (A. B. Jensen, ) . Le tableau suivant présente les trois niveaux de compréhension du Business Model. Tableau 1 : Les niveaux et les propriétés du concept de Business Model Définition Application, nature et champs. Type de définition Cohérence et relation sémantique (Niveau 1) « Business Model » Compréhension générale Orienté sur un domaine donné Construction bidimensionnelle Liens avec la pratique – simple Littéral, polysémique Non expliqué Ambiguë – mot clé avec des significations globales et locales (Niveau 2) « La logique principale d’une entreprise focale pour la création, la fourniture et la saisie de la valeur dans un réseau de parties prenante » Modèle d’opérationnalisation Construit multidimensionnel indiquant un domaine tel que le contenu / les caractéristiques, la structure systémique et les liens Liens avancés avec la pratique Lexical, Large appel public Définition conceptuelle et / ou théorique avec des bases scientifiques Intuitivement connecté, indication de spécificités Options de transition avec une littérature établie, discours Combler avec la pratique (Niveau 3) « S’accommode avec le niveau 2 et / ou dépend de l’objectif de recherche » Construction opérationnelle pour la recherche spécifique Construction multidimensionnelle avec focalisation explicite et délimitation du domaine Théorique Stipulée Expliqué Comble la littérature existante, les discours (lacunes dans la recherche) Source : (A. B. Jensen, )
Business Model et qualité de l’information comptable
Tant dans leurs structures internes que sur leurs marchés, la situation économique et financière des entreprises est en perpétuelle évolution. Dans un tel contexte, les décisions peuvent être remises en cause à chaque instant et il faut sans cesse arbitrer entre les choix du court terme, du long terme et du très long terme. L’époque où il suffisait de changer les caractéristiques d’un produit ou de changer de gamme est révolue. Le succès, pour être durable et les performances, pour être constantes, sont souvent conditionnés par la révision drastique de modèles économiques qui ont eu du succès, mais qui doivent être remis en cause. Le changement de modèle économique peut avoir un rôle moteur et une influence déterminante sur le nouveau design des états financiers, en contradiction avec le principe, parfois mal interprété, de permanence des méthodes. Il semble difficile de changer de Business Model, tant que rien ne change dans la publication de l’information financière (Barneto et al., ). Toutes ces approches se basent sur l’utilité informationnelle des nombres comptables et donc très largement sur les caractéristiques qualitatives énoncées par le cadre conceptuel de l’IASB. Elles reposent sur l’hypothèse qu’une information, pour être utile, doit être pertinente, refléter fidèlement ce qu’elle est censée représenter et, si possible, être comparable, intelligible, vérifiable et opportune sous réserve que son coût de production n’excède pas les bénéfices attendus. L’analyse qui suit présente comment le concept de BM peut influer sur chacune de ces caractéristiques qualitatives. L’information possède la qualité de pertinence lorsqu’elle influence les décisions économiques des utilisateurs en les aidant à évaluer des événements passés, présents ou futurs ou en confirmant ou corrigeant leurs évaluations. La prise en compte du BM, quelle que soit l’approche retenue, ne peut que favoriser le rôle prédictif ou confirmatoire de l’information comptable en améliorant la présentation ou la comptabilisation des opérations. Cependant, en raison de leur caractère sensible et stratégique, les entreprises peuvent être tentées de communiquer ces informations d’une manière très générale, creuse ou descriptive sans véritable contenu informationnel (Page, ). La comparabilité impose que l’évaluation et la présentation de l’impact financier de transactions et d’événements semblables soient effectuées de façon cohérente et permanente pour une même entreprise et entre entreprises. Par nature, la communication d’information additionnelle sur le BM ne devrait pas affecter la comparabilité5 En revanche, alors que la recherche de comparabilité a conduit les normalisateurs à réduire le nombre d’options permettant de traduire une même opération, introduire une comptabilisation basée sur le BM apparaît contradictoire. D’une part, des modifications dans la traduction comptable du BM, opportunistes ou dictées par les conditions économiques, peuvent altérer la comparabilité des périodes pour une même entité. D’autre part, une approche orientée BM peut affecter la comparabilité entre entreprises dans la mesure où elle ouvre la voie à différents modes de comptabilisation des profits pour un même actif. Trois arguments permettent de relativiser ces contraintes. Premièrement, les modifications substantielles du BM d’une entité ne peuvent être qu’exceptionnelles et doivent donner lieu, le cas échéant, à une information rétrospective destinée à atténuer ce biais. Deuxièmement, la comparabilité n’est de toute façon que relative en ce qui concerne les indicateurs de performance établis par des entreprises développant des BM différents ; la mise en évidence de différences générées entre les entreprises par des natures de BM distinctes peut, en ce sens, permettre au contraire de mieux comprendre et comparer les performances financières. Enfin, comme le souligne le cadre conceptuel, le besoin de comparabilité ne doit pas être confondu avec l’uniformité pure. Finalement, les régulateurs s’inquiètent particulièrement du risque que peut faire porter l’introduction du BM sur la comparabilité des états financiers (EFRAG et al., ).
Les risques liés à la comptabilité d’intention
La présentation du Business Model à travers le reporting financier d’une entité fit-elle courir les risques liés aux intentions de la direction ? Cette question renvoie à la comptabilité d’intention, mise par exemple en œuvre dans le cadre de la classification des instruments financiers définis dans la norme IAS 3 et dont Terry Smith avait souligné les dangers (Osterwalder et al., ). Les défenseurs de la nouvelle norme IFRS considèrent que la notion de modèle économique permettra de mieux traduire l’intention de la direction, mais également de mettre à jour les moyens utilisés pour atteindre ces objectifs. Les opposants à cette comptabilité d’intention considèrent, au contraire, que les utilisateurs des états financiers doivent, eux-mêmes, à travers l’analyse des transactions passées, se forger une idée sur la création de valeur de l’entité. Selon eux, l’intention des dirigeants est orientée vers le futur mais ne concerne pas les actions passées. La question soulevée par ces différents courants est celle de la distinction entre modèle économique et intention de la direction Selon l’étude réalisée en , en commun par l’EFRAG, l’ANC et le FRC5 , “dans ce bulletin, nous considérons qu’il existe une différence entre le modèle économique et l’intention des dirigeants. Les deux notions fournissent une information pertinente, mais les modèles économiques ont tendance à se focaliser sur une dimension plus large, sont généralement plus stables et nécessitent habituellement beaucoup moins de documentation pour être vérifiés”. Les auteurs de ce rapport considèrent également que le “reporting financier devrait présenter le modèle économique afin de traduire fidèlement la réalité économique de l’entité en se concentrant sur les transactions et évènements actuels et passés. Par conséquent, l’identification et l’observation du modèle économique devraientt faciliter le traitement comptable y afférent”. Intrinsèquement, le modèle économique repose sur les intentions des dirigeants. Celles-ci pouvant évoluer dans le temps, cela peut également poser des problèmes de comparabilité. Dans ce cadre, les défenseurs du modèle économique considèrent qu’il ne faut pas confondre comparabilité et uniformité- Business Model et théorie des parties prenantes La proposition de valeur d’une entreprise dans son Business Model est éclairée par des éléments de: création de valeur, capture de valeur et manipulation de valeurs (Haslam et al., ). La première, la création de valeur, consiste à comprendre comment les relations d’une entreprise avec les parties prenantes contribuent au renouvellement des produits et des processus afin de générer des produits et des services innovants qui correspondent à la demande des consommateurs. La capture de valeur concerne la capacité des entreprises, dans leur Business Model, de modifier leur part de la chaîne de valeur et d’extraire une marge bénéficiaire plus élevée sur le revenu total. Le troisième élément, la manipulation de la valeur, permet à l’entreprise de reconnaître que dans un système financier basé sur le crédit, l’inflation et la négociation d’actifs financiers et tangibles peuvent générer des gains exceptionnels. Ainsi, ces éléments de la proposition de valeur du Business Model d’une entreprise influent collectivement sur la liquidité et la solvabilité de cette dernière. Les parties prenantes sont l’élément central de toute approche en termes de Business Model (Coissard et al., ). Ces dernières ne peuvent se limiter à une analyse client ou consommateur (Osterwalder et al., ). Les organisations adressent des propositions de valeurs, pouvant être positives, nulles ou négatives, à l’ensemble de leurs parties prenantes. Ces dernières interagissent avec 5 EFRAG, ANC, FRC, The role of the business model in financial statements, research paper, December 5 l’ensemble des variables caractéristiques du Business Model. En conséquence, il est primordial de commencer par une identification puis un classement des parties prenantes, ainsi que de leurs attentes, pour comprendre un Business Model. La contribution des parties prenantes au processus de création de valeur est consignée dans le tableau ci-après. Tableau 2 : Contributions des parties prenantes au processus de création de valeur Parties prenantes Contributions à la création de valeur Clients Loyauté à la marque, réputation, fréquence d’achats… Fournisseurs, Sous-traitants Partenaires, Distributeurs… Efficience, réduction des coûts, innovation technologique, ressources stratégiques, conquêtes de marché, option de développement futur… Salariés Développement d’un capital humain spécifique, innovation, collaboration, engagement, travail en équipe, attitudes… Actionnaires, Investisseurs Propriétaires… Capitaux, endettement, réduction du risque, du coût de financement ou d’emprunt… Dirigeants Compétence pour la gestion de l’organisation… Pouvoirs publics nationaux Support macroéconomique et politique, accréditation, licence… Pouvoirs publics locaux Licence de travailler, une légitimité… Organisations sociétales Stabilité de l’emploi, résolution de conflits, licence de travailler, une légitimité… Source : construit à partir de G. Jones (1) et J. Post et al. (2) Si les parties prenantes sont créatrices de valeur, elles sont également et surtout demandeuses de valeur. En d’autres termes, une organisation ne peut se contenter de ne faire une proposition de valeur qu’au client et son Business Model ne peut se comprendre que comme une composition de propositions de valeur cohérente à l’ensemble des parties prenantes faisant le lien entre stratégie globale et stratégies opérationnelles. Le Business Model emprunte les choix stratégiques globaux de la stratégie corporate et les modes de fonctionnement (interne/externe) et l’aspect économique (la formule de profit) de la stratégie opérationnelle. Mathématiquement, le Business Model peut se modéliser par une fonction : BM = SVP = f (S1VP, S2VP…, SnVP), Où SnVP correspond aux propositions de valeur associées à la nième partie prenante. Tiré de Steven Coissard et al., « (Re)penser le business model au prisme de la théorie des parties prenantes », La Revue des Sciences de Gestion /2 (N° -), p. – Pour chacune des parties prenantes, une proposition de valeur peut être associée. Cette dernière peut être positive, négative ou nulle. En explorant les (nouvelles) propositions de valeurs qu’une école de commerce privée peut adresser à ses parties prenantes, il s’avère que certaines peuvent être en contradiction entre elles, c’est-à-dire être positives pour une ou plusieurs parties prenantes et négatives pour une autre. La construction d’un Business Model doit s’appuyer sur une identification et une hiérarchisation des attentes des parties prenantes, en tenant en compte de plusieurs contraintes ou critères : • L’environnement socio-économique (par exemple, période de crise ou de prospérité), • L’apport des parties prenantes (financier…), • Le degré de pouvoir, légitimité et urgence, • L’éventuelle évolution du comportement des parties prenantes (risques de regroupement ou collision inter-parties prenantes et intra-parties prenantes), • L’ordre d’importance dans chaque catégorie de parties prenantes.
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