Diffusion et séparation de phases dans des couches minces de silicates

Diffusion et séparation de phases dans des couches minces de silicates

Diffusion de la matière et activités thermodynamiques

 La diffusion est définie d’une manière générale comme une somme de sauts aléatoires d’unités de matière (ions, atomes, molécules) d’un emplacement à un autre dans un milieu. Cette définition particulièrement adaptée pour les solides, puisqu’elle sous-entend l’existence d’emplacements de basse énergie potentielle dans lesquels les atomes résident et entre lesquels ils se déplacent, l’est donc en revanche beaucoup moins pour les liquides… Afin de s’affranchir des problèmes liés à cette définition dans le cas des liquides, Onsager (Onsager, 1945) a finalement donné une version beaucoup plus descriptive en 1945, définissant la diffusion uniquement comme le mouvement relatif des différents constituants d’un liquide.

Première loi de Fick

En 1855 Fick décrit la diffusion de la matière en reliant le flux de matière au gradient de concentration de manière analogue à l’équation de la chaleur introduite par Fourier en 1822. Ainsi, dans un milieu défini, l’inhomogénéité d’un paramètre intensif, la concentration, provoque un phénomène de transport, le flux de matière, tendant à combler le déséquilibre. La première loi de Fick stipule donc que le flux Ji de l’élément i est proportionnel à l’opposé du gradient local de concentration ∇Ci de l’élément i, à une constante près, D, appelée coefficient de diffusion : 𝐽𝑖 = −𝐷 ∇𝐶𝑖 En d’autres termes, le coefficient de diffusion étant généralement positif, cela indique qu’une variation de concentration en un endroit engendre un flux de matière allant du côté le plus concentré vers le côté le moins concentré. La diffusion s’arrête donc quand le flux de matière a équilibré les concentrations et fait disparaître le gradient. Cette équation ne permet toutefois pas de décrire correctement deux phénomènes diffusifs pouvant se dérouler dans le système que nous souhaitons étudier, à savoir de l’autodiffusion et l’existence de couplages entre plusieurs éléments simultanément : – En effet, la première loi de Fick permet de décrire le flux d’un élément provoqué par un gradient de concentration. Cependant elle ne permet pas d’expliquer les mouvements d’atomes dans une solution homogène, comme observé pour la première fois par Brown, résultant des impulsions transmises à la particule par les molécules du milieu sous l’agitation thermique. Dans les verres, ces mouvements aléatoires peuvent par exemple être suivis grâce à l’emploi de marqueurs isotopiques (Jambon & Carron, 1976), ou bien directement si les atomes sont présents en toute petite quantité dans un milieu différent. On peut citer par exemple l’étude du déplacement d’impuretés de sodium dans de la silice (Frischat, 1968). Ce phénomène appelé autodiffusion, ou diffusion de traceurs, dépend principalement de la composition du milieu. Différentes études ont d’ailleurs pu montrer que les coefficients de diffusion de traceurs peuvent être très différents de ceux du même élément soumis à un gradient de concentration (Liang et al., 1997; Mungall, 2002). – De plus, dans les systèmes complexes tels que les verres il existe souvent non pas un seul gradient de concentration mais plusieurs gradients de concentrations. Cela implique donc des flux de différentes espèces simultanément dans le même sens ou dans des sens opposés. La première loi de Fick ne permet donc pas de décrire, en l’état, des phénomènes diffusifs si des couplages ont lieu entre les différentes espèces. On parle alors de diffusion couplée. 

La diffusion couplée

 Dans les verres industriels ou géologiques souvent plus d’une dizaine d’oxydes ou de composants sont retrouvés et peuvent influer les uns sur les autres lors des phénomènes diffusifs. La mobilité d’un composant ne peut donc pas être traitée de manière classique en considérant seulement l’influence de son propre gradient. Pour se rendre compte de ces phénomènes coopératifs, il est intéressant de tracer l’ensemble des compositions obtenues le long d’un profil de diffusion dans l’espace des  compositions. Cette représentation permet d’avoir une vision graphique de l’évolution des compositions pendant le processus de diffusion comme présenté sur la Figure 5. Dans un système ternaire par exemple, la diffusion peut se dérouler entre un milieu riche en composant 1 et pauvre en composant 2 (C1 + ; C2 -) et un milieu riche en composant 2 et pauvre en composant 1 (C2 + ; C1 -). Lorsque les échanges se mettent en place entre ces deux milieux, représentés par les ronds blancs sur la Figure 5, les compositions obtenues le long du profil de diffusion peuvent être représentées par les courbes reliant ces points. S’il s’agit d’un échange binaire sans diffusion couplée, les compositions suivront la droite pointillée étant donné la conservation de la masse. Si des phénomènes coopératifs ont lieu en revanche, les compositions suivront une courbe ayant l’allure de celle en représentée avec un trait continu. La forme du tracé permet alors de juger de la complexité des échanges en jeu : lorsque la forme du chemin dévie de la ligne droite, la diffusion résulte en réalité de la combinaison de plusieurs réactions d’échanges (Claireaux, 2014). On retrouve dans la littérature différentes études qui utilisent cette représentation des profils de diffusion dans l’espace des compositions pour décrire qualitativement la complexité des phénomènes coopératifs. Cette méthode est notamment appliquée dans le cas de matériaux amorphes comme des verres de silicates (S. Chakraborty et al., 1995b) mais également pour des échanges diffusifs entre des alliages métalliques comme par exemple de Al-Fe-Ni (Helander & Ågren, 1999) ou Ni-Cr-Al (Engström et al., 1997). Un bel exemple de ces phénomènes de couplage lors de la diffusion est le phénomène de diffusion contre le gradient de concentration généralement appelé « uphill diffusion ». Si le couplage est suffisamment fort, un composant peut être entrainé par le gradient de concentration d’un autre élément au lieu de diffuser en fonction de son propre gradient de concentration (Zhang, 1993). Ainsi un élément peut réussir à se déplacer macroscopiquement indépendamment de son propre gradient de concentration. Une illustration de ce phénomène est donnée sur la Figure 6, sur laquelle on peut voir qu’une diffusion de sodium entre deux verres peut-être observée alors même que la concentration en sodium initialement dans chaque verre est identique (Trial & Spera, 1994). Ce phénomène de « uphill diffusion » est observé expérimentalement dans de nombreuses études sur les silicates, pour des alcalins en particulier dans des verres géologiques (Sato, 1975; Watson, 1982; Fisk, 1986) et pour la quasi-totalité des éléments ou traces lors de la dissolution de cristaux dans des silicates fondus (Donaldson, 1985; Zhang et al., 1989) ou lors d’expériences de diffusion entre deux verres (Lesher, 1990; Trial & Spera, 1994; Claireaux et al., 2016). Figure 5 : chemins de diffusion entre deux milieux représentés par les points blancs. La ligne pointillée correspond au chemin de diffusion dans le cas d’un échange binaire entre C1 et C2. La courbe en trait continu correspond à un chemin de diffusion lorsque l’échange met en jeu plus que ces deux composants. Tiré de (Claireaux, 2014). – 18 – Afin de traiter rigoureusement ces phénomènes multi-diffusifs, l’utilisation d’une matrice de diffusion est nécessaire. Il s’agit en fait d’une généralisation de la loi de Fick mais en considérant que la diffusion d’un composant dépend linéairement non seulement de son propre gradient de concentration mais également des gradients de concentration des autres composants (Trial & Spera, 1994). Le flux de matière J1 du composant 1 dans un sytème quaternaire par exemple s’écrira alors : 𝐽1 = −(𝐷11 ∇𝐶1 + 𝐷12 ∇𝐶2 + 𝐷13 ∇𝐶3 + 𝐷14 ∇𝐶4) Les différents coefficients de diffusion Dij permettent donc de prendre en compte les effets coopératifs et formeront la matrice de diffusion obtenue en écrivant l’équation de conservation de la masse pour chaque composant. Les vecteurs propres de cette matrice permettront d’obtenir les réactions d’échanges traduisant les effets coopératifs entre les composants et les valeurs propres donneront une information concernant la fréquence de ces échanges (Trial & Spera, 1994). L’obtention d’une matrice de diffusion pour interpréter les phénomènes multi-diffusifs nécessite cependant un nombre de données expérimentales conséquent car des profils de diffusion doivent être obtenus pour plusieurs directions d’échanges possibles dans le système. Plus le système est complexe plus le nombre d’expériences nécessaires sera donc important. De plus, ce formalisme ne peut être appliqué que si les variations de compositions sont relativement faibles. L’utilisation d’une matrice de diffusion dans le cas des échanges diffusifs entre des couches minces et un verre commercial semble donc difficilement concevable étant donné que les variations de compositions seront très fortes au niveau de l’interface d’une part et qu’il ne sera pas possible d’autre part de faire varier la composition du verre pour réaliser les différents échanges nécessaires à l’obtention de la matrice complète. En revanche, même s’il n’est pas possible d’obtenir la stoechiométrie exacte des échanges aussi précisément qu’avec les Figure 6 : Profils de diffusion entre deux verres obtenus après traitement thermique, montrant la diffusion de silice et de calcium le long de leurs gradients et une « uphill diffusion » marquée du sodium alors même que les concentrations initiales en sodium étaient identiques dans les deux verres. (Trial & Spera, 1994) – 19 – vecteurs propres de la matrice de diffusion, il semble que représenter au moins les profils de diffusion dans l’espace des compositions puisse permettre de tirer des informations intéressantes si des phénomènes coopératifs ont lieu dans ces systèmes verre / couche-mince. 

 Activités thermodynamiques 

Les considérations évoquées jusqu’alors donnent pour moteur des phénomènes diffusifs un (ou des) gradient(s) de concentration(s). Néanmoins le vrai moteur de la diffusion n’est pas le gradient de concentration mais plus exactement le gradient de potentiel chimique. Les espèces vont donc en réalité diffuser vers les zones où leurs potentiels chimiques seront le plus bas, afin de minimiser l’enthalpie libre du système conformément au second principe de la thermodynamique. L’espèce A va donc diffuser jusqu’à ce que son potentiel chimique μA soit équilibré entre les zones 1 et 2 : μA 1 = μA 2 Avec R la constante des gaz parfait, T la température et 𝑎𝐴 1 l’activité chimique de l’espèce A dans la zone 1 (ou 2), cela revient à équilibrer l’équation suivante : RT ln aA 1 = RT ln aA 2 Dans le cas de traitements thermiques isothermes, l’espèce A diffusera donc jusqu’à ce que les activités chimiques soient équilibrées dans les zones 1 et 2 : aA 1 = aA 2 Dans un milieu inhomogène, l’activité chimique d’une espèce qui dépend de la concentration de toutes les autres espèces présentes, variera donc en fonction de son potentiel chimique. Etant donné ces relations entre les grandeurs thermodynamiques et la diffusion, il peut donc être intéressant de calculer théoriquement les activités chimiques des espèces mises en jeu lors d’échanges diffusifs pour tenter d’interpréter ces phénomènes.

Table des matières

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Liste des abréviations
Introduction
Chapitre 1
1.1 Etat de l’art
1.1.1 Diffusion de la matière et activités thermodynamiques
1.1.2 Structure des silicates
1.1.3 Propriétés dynamiques des silicates
1.1.4 Diffusion dans des empilements de couches minces déposés sur verre
1.1.5 Diffusion dans des silicates vitreux massifs
1.2 Méthodes expérimentales
1.2.1 Choix du substrat de verre
1.2.2 Dépôts de couches minces de silice par pulvérisation cathodique
1.2.3 Analyses des couches après dépôts et traitements thermiques
1.2.4 Suivi des phénomènes de diffusion par mesures ToF-SIMS
1.2.5 Profils SIMS du proton et dosage de l’hydrogène dans les couches minces de silice par analyses ERDA
1.2.6 Calculs théoriques des activités chimiques
1.3 Diffusion des alcalins du verre vers les couches de silice
1.3.1 Diffusion et stabilisation rapide des alcalins
1.3.2 Diffusion des alcalins dans la silice, comparaisons entre mesures expérimentales et prédictions thermodynamiques
1.3.3 Influence de l’eau adsorbée dans la silice sur la diffusion des alcalins
1.3.4 Tests pour des compositions plus riches en alumine
1.4 Diffusion des alcalins dans la silice : mécanisme et influence sur la structure de la couche
1.4.1 Mécanisme de diffusion des alcalins dans les couches de silice
1.4.2 Influence des alcalins sur la Tg de la silice
1.5 Homogénéisation des couches de silice avec le substrat de verre
1.5.1 Décalage de l’interface silice/verre pendant le recuit à 650°C
1.5.2 Mécanismes diffusifs conduisant à l’homogénéisation entre les couches de silice et le substrat de verre
1.5.3 Diffusion couplée entre une couche de silice dopée alumine et le substrat
de verre lors des recuits à 650°C
1.6 Conclusion et perspectives
Chapitre 2
2.1 Etat de l’art
2.1.1 Séparation de phases dans les liquides
2.1.2 Séparation de phases dans les verres de silicates massifs
2.1.3 Séparation de phases et géométrie couches minces
2.2 Méthodes expérimentale
2.2.1 Systèmes ternaires étudiés
2.2.2 Elaboration des cibles de verre pour dépôts PVD
2.2.3 Dépôts de couches minces de verre par pulvérisation cathodique 
2.2.4 Traitements thermiques et visualisation de la séparation de phases
dans les couches minces de silicates
2.2.5 Traitements d’images et statistiques
2.3 Séparation de phases dans des couches minces de silice
2.3.1 Influence des paramètres de l’attaque acide sélective sur la visualisation de la séparation de phases
2.3.2 Influence des paramètres de la couche mince sur la séparation de phases
2.3.3 Interprétations et perspectives
2.4 Nucléation et croissance de gouttes dans le système SiO2-BaO-B2O3
2.4.1 De la séparation de phases pilotée par des paramètres également à l’œuvre dans les verres massifs
2.4.2 Influence des énergies de surface sur la séparation de phases
2.5 Influence de la composition dans le système SiO2 BaO-B2O3 sur le mécanisme de séparation de phases
2.5.1 Des morphologies similaires mais des mécanismes différents
2.5.2 Influence de l’épaisseur de la couche sur la fragmentation
2.5.3 Influence du mécanisme de démixtion sur la rugosité desurface
2.6 Conclusion et perspectives
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes
Annexe A : Table des figures
Annexe B : Table des Tableaux
Annexe C : Script Python utilisé pour le traitement d’images
Annexe D : Communications

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