Différence entre écriture et dessin
« Peu à peu, l’écriture, pour ne pas se confondre avec le dessin, tend à sortir des limites du dessin » (Ferreiro, 2000, p. 69). Dès la première récolte de données, les enfants font clairement la différence entre ce qu’ils ont dessiné et écrit. Sur les représentations de l’activité 1, tous les enfants ne mêlent pas l’écriture à leur dessin. Dans sa première représentation d’histoire, Joé ne mentionne ni écriture, ni dessin lorsqu’il raconte « Eh ben, en fait, j’ai mis un garçon qui va ramasser des…heu…des fruits. Il a une brouette et puis y a aussi là le soleil et puis l’arbre. Et puis, ben, heu après il les ramasse. » Pourtant à la fin il dit « Mais là, j’ai écrit mon nom », cela semble important à ses yeux puisqu’il précise qu’il a écrit son nom. Ce « mais » montre que c’est sérieux pour lui de signifier qu’il a écrit son prénom. Il en ressort qu’il réalise la différence entre dessiner et écrire. Sur le dessin 7, Joé dit qu’il a « dessiné » l’histoire mais après quand on lui demande de raconter, il dit « Ben j’ai écrit… ». Sur son premier dessin d’histoire, Kylian ne mentionne pas écriture ni dessin, il raconte juste ce qu’il a inventé comme histoire, il n’y a pas d’écriture mêlée à son dessin. Kylian sur sa représentation de l’activité 2, raconte ce qu’il a dessiné puis fait aussi la différence et disant « Oui c’est ça que j’ai dessiné et puis j’ai écrit aussi derrière mon nom et puis voilà ». Dans le dessin 3 d’Amélie, il y a son prénom écrit en grand en haut de la feuille, puis son 52 dessin qui représente l’histoire est statique. On voit qu’elle éloigne l’écriture du dessin, elle ne mêle pas les deux types d’expression. Sur le dessin 4, Arnaud fait aussi la différence entre écriture et dessin. Il dessine une bulle pour écrire un mot dedans. Il n’y a pas d’autre mot que « PAPA », mot simple, que les enfants apprennent par cœur et savent déjà écrire avant d’entrer en 3H. Sur le dessin 5, Simon fait aussi la différence entre dessin et écriture. Il va raconter son histoire mais il dit : « Ben j’ai dessiné là… » Louis lui, ne fait mention ni de dessin ni d’écriture, quand je lui demande si c’est son histoire il répond « oui » et la raconte. Il ressort, que dès le début de cette étude exploratoire, les enfants font une nette différence entre le dessin et l’écriture. En effet, ce stade est déjà acquis pour les enfants participants à cette recherche. Sur les représentations d’histoires de la première activité, on voit que comme le dit Ferreiro (2000), l’écriture sort du dessin, ne se mêle pas à celui-ci. De plus, l’écriture prendra de plus en plus de place dans les représentations d’histoires des enfants au fil de la récolte de données.
Apparition d’écrit
Il apparaît sur les dessins de Joé, une nette apparition d’écriture au fil des séquences. En effet, sur le dessin 1 et 7 il n’y a pas d’écriture, excepté son prénom sur le premier de ses dessins. Sur le dessin 13, on voit de l’écriture, cependant on ne peut lire qu’un seul mot « la ». Il est dans la phase d’apprentissage de la lecture logographique décrite par Egaud (2001). Il reconnaît certains mots et donc peut en écrire, ici on voit le mot « la » qui fait partie des premiers mots appris en classe. Les autres lettres ne forment pas de mots, il est évident qu’il s’agit d’écriture inventée, on remarque aussi qu’il ne fait pas de séparation entre les lettres, comme pour former des mots. Sur le dessin 25, Joé a écrit des lettres, on ne peut pas tout lire mais on voit qu’il est passé dans la phase de traitement alphabétique car on voit des lettres qui constituent le mot qu’il a voulu écrire. Joé dit qu’il ne sait pas écrire une histoire mais qu’il a écrit des mots de celle-ci. Dans la dernière case, il y a les lettres « R O E R LA », On peut donc deviner qu’il a voulu écrire « la » et « rivière ». Il dit « Pis là, j’ai écrit du blé », on peut effectivement lire le mot « DU » et « JOI BE » Il est à noter que sur le dessin 12, il n’y a pas d’écriture alors que sur le dessin précédant de Joé il y en avait. C’est sur les deux dessins sur feuilles standard que Joé n’a pas écrit, néanmoins la question du support viendra plus tard dans l’analyse. Sur les dessins de Kylian, on note aussi une apparition d’écriture, toutefois celle-ci n’est présente dans la production des deux premières activités. Il est aussi important de relever que dans le dessin 14, Kylian utilise des chiffres pour expliquer au lecteur de son histoire le déroulement temporel de celle-ci. Kylian utilise l’écriture de nombres pour expliquer son histoire « ça c’est en 2015 » et il montre le nombre qu’il a écrit. Sur le dessin 26, Kylian a 53 écrit des mots que l’on peut déchiffrer. De même que Joé, dans l’activité trois, sur la feuille A3, Kylian n’a pas écrit du tout. Amélie va aussi progressivement écrire des mots sur ses représentations d’histoires. Sur les deux premières, (dessins 3 et 9), il n’y en a pas puis dans le dessin 15, on voit des mots qui ne sont pas tous lisibles cependant, il est évident qu’elle est dans la phase alphabétique et qu’elle sait que des lettres forment des mots, on en distingue 7 et on peut en lire 3 « de », « la » et « loup ». Elle raconte son histoire et dit « … je sais pas écrire toute l’histoire mais des bouts », donc elle sait qu’elle n’a pas tout écrit, elle n’est pas dans une écriture inventée mais elle utilise certains mots qu’elle sait écrire pour aider à la compréhension de son histoire. Dans la dernière activité, sur les dessins 16 et 17, elle procède de la même manière, elle ne note que certains mots des différents moments de l’histoire, on peut pratiquement tous les lire. Arnaud ne produit pas d’écrit sur les dessins 4 et 10, puis sur le dessin 22, il écrit juste un mot « catau » et sur le dessin 28 de la dernière expérimentation, il écrit tous les dialogues. Il a compris la stratégie d’alphabétisation et il a automatisé les processus de la lecture et de l’écriture, décrites dans la phase de traitement orthographique expliquée par Egaud (2001). Simon n’écrit pas non plus dans les deux premières activités, dessins 5 et 11. Sur le dessin 17, il écrit en haut de sa feuille, sa représentation va de droite à gauche, les lettres qu’il utilise sont pour la plupart les lettres de son prénom. Il en écrit certaines dans le bon sens et d’autres en miroir. Il utilise aussi des notes de musique dans des bulles pour faire chanter ses personnages. Sur le support A3, dessin 23, Simon n’écrit pas de lettres. Lors de la dernière activité, sur le dessin 29, il dessine de droite à gauche, et toutes ses lettres sont dans le mauvais sens. Cependant, il écrit son prénom dans le bon sens. On voit que contrairement au dessin 17, sur le 29 il y a des séparations entre les lettres pour former des mots. On peut même deviner un « il » sur la case cinq. Sur les représentations de Louis apparaissent aussi, au fil des activités, des lettres. Seul le dessin 6 n’a aucune écriture excepté son prénom. Sur les dessins 18 et 30, il y a de l’écriture néanmoins, Louis ne forme pas de mots que l’on peut lire. Il passe de l’écriture inventée, à l’écriture syllabique en effet sur le dessin 31, on peut déchiffrer des mots dans les bulles au-dessus de son personnage. Ce sont des mots courts, et pour certain des mots connus « non », « maman » qui font partie de la liste de mots à apprendre à reconnaître visuellement et non pas à déchiffrer. Chaque semaine, les enfants de ma classe reçoivent deux étiquettes avec des mots à apprendre par cœur. Il écrit aussi des mots comme « PETI DONOM » et « CAOULe ». Il en découle que plus l’activité est reproduite plus les enfants auront tendance à écrire sur leurs représentations d’histoire. 54 Comme remarqué dans le chapitre précédant, l’écriture se fait de plus en plus présente dans les productions des élèves. Les enfants vont aussi de plus en plus structurer leurs histoires et cela leur permet d’acquérir les notions de temps qui vont permettre aussi d’entrer dans l’écriture. Nous avons en effet vu, dans la théorie de Venot (2007), que les enfants doivent avoir compris et intériorisé les notions spatio-temporelles afin de rentrer dans l’apprentissage de l’écrit. Cette démarche, montre que plus les enfants créent des histoires, plus la notion du temps et la structure des histoires sont élaborées. Plus l’activité est reproduite, plus les histoires sont compréhensibles et complètes. En effet, dans les premières représentations, la narration qu’en font les enfants est peu recherchée. Joé, lorsqu’il raconte sa première histoire, décrit plus une représentation graphique statique, qu’un dessin narratif. Il n’y a pas de mouvement visible dans son dessin. « Eh ben, en fait, j’ai mis un garçon qui va ramasser des…heu…des fruits. Il a une brouette et puis y a aussi là le soleil et puis l’arbre. Et puis, ben, heu après il les ramasse. Mais là, j’ai écrit mon nom. » L’enfant me dit ce qu’il a dessiné, il y a une succession d’objet que l’enfant nomme. Il dit « et puis » plusieurs fois comme on pourrait réciter une liste d’objets. Pourtant l’enfant dit « après » qui est un terme que l’on utilise dans une narration et non pas dans une description. Il est évident que dans sa première représentation d’histoire Joé a de la difficulté à représenter une histoire non seulement graphiquement mais aussi oralement. Lors de la deuxième activité, Joé utilise des cases pour représenter son histoire, mais il ne veut pas raconter, il n’y a pas d’écriture. Sur le dessin 13, Joé entre dans une représentation de type successif. Par contre, il ne raconte pas une histoire beaucoup plus sophistiquée que la première. Il raconte son histoire en une seule phrase, il utilise cependant « puis après » ce qui démontre qu’il y a une notion de temps qui est clairement exprimée, bien que celle-ci se passe en seulement deux temps ; premier temps : « Ben j’ai écrit qu’y avait un garçon qui est chez un copain », ensuite la transition : « puis après » et le deuxième temps : « il invite son copain dans sa maison à lui ». Dans la troisième représentation, Joé structure son histoire en mettant quatre cases. Joé ne met pas d’écriture sur ses représentations, il dessine seulement et quand on lui pose la question sur ce qu’il a fait, il répond qu’il a « dessiné ». Il ne parle pas d’écriture. Il y a les séquences qui montrent que c’est une histoire et non pas une simple illustration statique dans le temps. Pour les autres enfants, on remarque au fur et à mesure que l’activité est répétée, une nette amélioration de la structure des histoires et une complexification de celles-ci. En effet, on remarque dans les deux premières représentations d’histoire de Kylian qu’il prononce pour chacune deux fois « et après » pour montrer que le temps passe, que son histoire se déroule dans le temps. Pour la troisième, il y a de plus en plus de notion de temps qui interviennent « en 2014 », « Ensuite », « tellement longtemps », « en 2015 », « Ensuite la sœur elle grandit de plus en plus », « la maman elle vieillit de plus en plus », « le frère aussi il grandit de plus en 6.4. Structuration du temps 55 plus », « Ensuite en 2017 » et « les années elles avancent ». On voit que l’histoire est plus construite que les deux premières et que la structure du temps est explicitée avec les nombres qui représentent les années qui passent. Sur la quatrième représentation, Kylian n’a mis aucune case, on se retrouve sur une illustration statique, ce que Luquet et Depouilly (1991) nomment dessin narratif de type symbolique ; le personnage est représenté deux fois sur le même dessin. Lors de la narration de l’histoire Kylian utilise seulement deux marqueurs temporels « au début » et « là c’est ben à la fin ». Sur la dernière représentation, Kylian ordonne son histoire en écrivant des chiffres pour suivre le déroulement des évènements. Amélie aussi va de plus en plus agencer ses histoires dans le temps. Sur les trois premières histoires, qui sont courtes et peu élaborées, elle utilise seulement le marqueur temporel suivant : « après ». C’est une suite d’évènements reliés entre eux par ce terme-là. Sur la quatrième représentation, elle n’utilise plus que les mots « là c’est quand… », elle ne narre plus une histoire qui se déroule temporellement mais elle indique les différents moments en les récitant comme si elle énonçait les objets qui se trouvent sur sa feuille. Lors de la dernière activité, Amélie va utiliser plus de marqueurs temporels. Elle utilise « au début », « d’abord », « ensuite », « après » et « à la fin ». De plus, elle utilise des flèches pour signifier le déroulement de son histoire. Entre la première et la dernière représentation, on voit une nette complexification de la notion temporelle dans ses histoires. Prenons maintenant les représentations d’Arnaud, dès le début ses histoires sont structurées. Dans la première qui est très courte, on trouve trois marqueurs temporels ; « Il était une fois », « Et après » et « Soudain », on voit aussi qu’il a séparé sa feuille en trois cases qui définissent les trois moments de l’histoire. Dans la deuxième histoire, un peu plus longue que la précédente, on trouve ; « chaque fois », « En premier », « et puis après », « et ensuite », « encore » et « Et à la fin ». Il y a aussi plus de cases que sur la précédente. Sur la troisième représentation, Arnaud n’a dessiné que deux cases et son histoire est très courte ; elle se résume en trois parties « Il était une fois le père Noël. Et tous ses lutins. », « Et une fois, ils ont vu un dinosaure » et « mais après le père Noël et ses lutins sont allés très très haut avec le traîneau et ils ont semé le dinosaure » avec les trois marqueurs temporels mis en évidence. Dans la quatrième représentation, Arnaud ne relate pas l’histoire mais décrit un moment de celle-ci ; « J’ai dessiné le moment où la dame… ».