La mise en place des nouveaux programmes de sciences physiques en terminale S en 2012 a fait apparaitre des éléments de savoir relevant de la théorie de la relativité restreinte. Les notions d’événement, d’invariance de la vitesse de la lumière dans un référentiel galiléen et de caractère relatif du temps (au travers de l’introduction de la durée propre et de la dilatation des durées) sont maintenant à traiter par les enseignants.
Le programme officiel de 2012 leur laisse une certaine latitude pour traiter cette partie du programme « La liberté didactique du professeur consiste à faire un choix, notamment entre une approche historique, pouvant d’emblée annoncer le postulat et le faire suivre par des tests expérimentaux, et une approche plus «pédagogique», partant des résultats expérimentaux pour rendre plus naturelle ensuite l’hypothèse d’Einstein. En ce sens, le programme se présente selon un ordre qui ne saurait être prescriptif, selon l’esprit général qui l’anime ». Cette petite partie « temps et relativité restreinte » est généralement traitée tout au plus en deux semaines par les enseignants.
Ce sont des notions qui n’ont jamais été vues auparavant par les élèves. Cette partie de programme nécessite une maîtrise de la notion de référentiel qui a été vue pour la première fois dans le programme de seconde en relation avec « la nature du mouvement observé » .
Les programmes ne proposent pas de définition précise pour la notion de « référentiel » et cela peut laisser le terme avec une signification flottante alors que l’on pourrait s’attendre à ce qu’il soit défini comme « un ensemble d’observateurs immobiles les uns par rapport aux autres et définissant les mêmes mesures de durées et de distance ».
Des études ont montré que dans le contexte de situations relativistes, la maîtrise de ce concept, qui s’avère déterminante n’est pas du tout effective même après un cursus universitaire de physique. Scherr et al. (2001) ont montré que les étudiants ont tendance à croire que deux observateurs, situés au même endroit, constituent un même référentiel même s’ils sont en mouvement les uns par rapport aux autres. De même, pour eux, deux observateurs immobiles l’un par rapport à l’autre à deux endroits différents constituent deux référentiels indépendants.
de Hosson et al. (2010, 2012) ont également montré le même type de difficultés auprès d’étudiants professeurs de sciences physiques cette fois-ci en étudiant comment la notion d’événement est mobilisée. Une des situations étudiées est décrite ci-après.
La situation « du pont » concerne quatre personnes immobiles sur un pont . A et B sont immobiles face à face chacun à une extrémité du pont et disposent d’un appareil photo avec flash. C est immobile au milieu du pont, et D est également immobile sur le pont, mais se trouve à égale distance entre A et C. À un instant donné, C émet un signal en direction de A et B afin que ceux-ci déclenchent leur appareil photo (on considère que les temps de réaction d’A et B sont identiques).
Deux autres personnes E et F traversent le pont sur deux scooters cosmiques à la vitesse constante v = 0,8.c par rapport au sol. F se dirige de A vers B et arrive à la hauteur de D à l’instant même où celui-ci reçoit la lumière émise par A. E, qui se trouve devant F à une vitesse semblable à celle de F dans le référentiel du pont, arrive à la hauteur de C au moment où celui-ci reçoit la lumière émise par les flashes A et B .
Un questionnaire demande quel est l’ordre selon lequel les flashes émis par A et B sont perçus par C, D, E et F ainsi que sur l’ordre selon lequel ces mêmes flashes ont été émis (pour C, D, E et F) afin de voir si les étudiants confondent les événements relatifs à l’émission et à la réception des flashes.
Les flashes sont émis au même instant dans le référentiel du pont et donc pour les points A, B, C et D car comme ils sont immobiles les uns par rapport aux autres, ils constituent un même référentiel. Les flashes sont reçus au même instant pour C car la lumière doit parcourir la même distance en venant de A ou de B (AC = CB). C’est le flash venant de A qui est perçu en premier par D car la distance à parcourir par la lumière est plus faible dans ce cas (AD < BD).
E et F forment un même référentiel, dit des scooters, car ils sont immobiles l’un par rapport à l’autre. E et C étant au même point de l’espace-temps à l’instant où la lumière des flashes y arrive, ils perçoivent tous les deux les flashes au même instant dans le référentiel du pont ou dans celui des scooters. De la même façon F étant au même point de l’espace-temps que D lorsque la lumière issue du flash de A y arrive, F reçoit la lumière de ce flash d’abord, et ceci dans les deux référentiels.
Lorsque E est au niveau de C, il se trouve à égale distance de A et de B. Avant cet événement il était plus proche de A que de B. Cela veut donc dire que pour E la lumière du flash issu de A a parcouru une distance plus faible que celle issue de B. Dans le référentiel de E ou de F, le flash issu de A a donc été émis après le flash issu de B. 94 étudiants professeurs de sciences physiques ont répondu au questionnaire. Ils venaient de 5 instituts de formation (IUFM) différents et parmi eux 44 ont eu un enseignement sur la relativité restreinte. L’analyse des réponses montre, par exemple, que les étudiants ne répondent pas de la même manière lorsqu’on les questionne sur l’ordre d’émission des flashes émis par A et B pour les observateurs C et D ou pour les observateurs E et F. Ces deux paires d’observateurs définissent un référentiel identique, ils devraient donc conduire à une même mesure de l’espace et du temps. D’autre part, les étudiants trouvent que les deux événements « E reçoit les flashes A et B » et « C reçoit les flashes A et B » ne sont pas identiques alors qu’ils le sont puisqu’ils constituent un même point d’espace-temps.
A partir de ce constat, nous nous sommes dit qu’une manière de donner plus de sens aux concepts utilisés en relativité restreinte pourrait être de les mobiliser dans le cadre d’espaces graphiques et ceci pour plusieurs raisons : Tout d’abord, les travaux de Walter (1996) illustrent au travers de la description de la genèse de la théorie de la relativité restreinte, l’apport des mathématiciens sur cette théorie avec en particulier l’influence de Poincaré et de Minkowski. Ce dernier a contribué par sa vision plus mathématique de la relativité restreinte à de nouvelles pistes qui se sont avérées utiles pour le développement de la théorie de la relativité générale. L’étude historique de la genèse de la théorie de la relativité restreinte montre donc un lien important avec les mathématiques et en particulier les diagrammes d’espace-temps .
D’un point de vue à la fois cognitif et sémiotique, les travaux de Duval (1993) ont montré que la compréhension d’un concept est améliorée lorsqu’au moins deux registres de représentation sont mobilisés et lorsque les traductions entre registres sont favorisées. Ainsi un registre basé sur les diagrammes était mobilisable grâce à celui associé à la genèse de la théorie, celui de Minkowski (conférence de Cologne, 1908), et de deux diagrammes développés beaucoup plus tard dans le cadre de l’enseignement de cette théorie, les diagrammes de Brehme (1962, 1964) et de Loedel (1955, 1957).
Enfin, en parcourant les notions et les compétences exigibles du programme de terminale S, on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’allusion à l’aspect graphique néanmoins la présentation du programme parle de « constructions graphiques » comme un support d’informations possible. Nous nous proposons donc dans ce travail de thèse d’élaborer une séquence d’enseignement de la théorie de la relativité restreinte qui utilise des constructions graphiques et d’en évaluer l’impact auprès d’élèves de terminale S.
Pour cela nous nous intéresserons pour commencer dans une première partie aux éléments épistémologiques et didactiques de la théorie de la relativité restreinte et des diagrammes d’espace-temps . Nous allons voir plus particulièrement dans cette partie les difficultés que les graphiques d’espace-temps sont susceptibles de générer ainsi que leurs potentialités didactiques puis l’analyse épistémologique des diagrammes d’espace-temps. Puis nous décrirons la mise en place d’une séance pilote. Par la suite, dans une seconde partie, nous allons décrire l’élaboration d’outils théoriques nécessaires à la création d’une séquence d’enseignement en théorie de la relativité restreinte. Il s’agira d’adapter les espaces de travail mathématiques (ETM) utilisés en didactique des mathématiques pour utiliser ces outils afin de développer une nouvelle séquence utilisant plusieurs niveaux de progressivité. L’utilisation d’un logiciel de géométrie dynamique, GeoGebra sera envisagée (lieu d’expérimentation et de représentation des diagrammes). Enfin, cette nouvelle séquence sera mise à l’épreuve de la classe.
Une dernière partie nous permettra de nous interroger sur les perspectives de notre travail, en particulier en termes de formation des enseignants.
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