DEVELOPPEMENT TOURISTIQUE DU LITTORAL & ORGANISATION ADMINISTRATIVE DU TOURISME : QUELS CONFLITS ?
L’ESPACE APPAREMMENT « PACIFIE » DES INSTITUTIONS PUBLIQUES ET PARAPUBLIQUES DU TOURISME
On a pu dire de « l’administration, qu’elle assure le règlement des litiges ou qu’elle instruise une décision, tente de se donner les moyens de rationaliser les intérêts en présence » . Une certaine rationalité peut dans ce sens être dégagée de l’agencement institutionnel dédié aux politiques touristiques (A) et du cadre général de son fonctionnement (B).
Le désamorçage des conflits par l’apparent équilibre des institutions touristiques
L’impression dominante à la lecture des textes est que l’appareillage institutionnel ménage un équilibre, tant dans les relations entre les autorités publiques que dans un encadrement de l’initiative privée ménageant une place aux associations traditionnellement très présentes dans le secteur du tourisme.
L’équilibre entre les institutions publiques
Les politiques touristiques se coulent dans un cadre législatif aménageant une coopération entre l’Etat et les collectivités territoriales. Le rôle conféré à l’Etat semble recueillir un assentiment consensuel. Un commentateur de la loi du 23 décembre 1992 souligne que, même s’agissant de la conduite des opérations de promotion touristique nationale, « les collectivités territoriales ne contestent nullement la compétence de l’Etat et lui demandent, au contraire, de développer des actions de ce type, car non seulement il a seul une vision globale de ce que peut être une promotion touristique de l’ensemble des richesses du territoire, mais il dispose seul également, des moyens financiers, humains et matériels indispensables » .Un mimétisme institutionnel se révèle présent du plus petit ressort local à l’échelon régional. D’un bout à l’autre de la chaîne sont clairement dissociés des instances délibératives (conseil municipal, général, régional) adoptant des choix stratégiques qui s’imposent grâce à la légitimité démocratique dont sont oints les élus locaux issus du suffrage universel direct, et des opérateurs, empruntant généralement un statut de droit privé (comités régionaux et départementaux du tourisme, offices de tourisme). Le législateur a paré à de possibles conflits d’intérêts nés d’une confusion des genres. Il est ainsi prévu que le directeur d’un office du tourisme « ne peut être conseiller municipal » (CGCT, art. L.2231-13).
La fluidité des formes de gestion : une place confortée donnée au secteur associatif
Si l’on poursuit un essai de systématisation, il apparaît à l’observation que certaines fonctions peuvent revenir plus naturellement aux associations, alors que d’autres seront plus aisément prises en charge par des sociétés d’économie mixte. Comme l’observe un auteur, « aux SEML le développement économique, certaines infrastructures, l’aménagement urbain, les zones d’activités, le logement social, etc. ». Unité de décision et capacité d’entreprendre des politiques d’investissement à moyen et long terme sont ici des atouts reconnus. Il reste alors « aux associations les actions de développement humain (loisirs, sports, culture, socio-éducatif…), de redistribution et d’action sociale (pauvreté, insertion) ou sanitaire (aide à domicile, soins aux personnes âgées, soins à certains malades, etc.) » . La souplesse de gestion est sans doute l’un des motifs de la vocation associative. Et la possibilité d’un traitement plus différencié de situations humaines très diverses. Si l’on retient cet idéaltype, on conviendra que le choix de la forme juridique empruntée par l’opérateur gestionnaire du service public touristique doit être laissé aux acteurs locaux. Cet idéaltype se trouve vérifié au travers des choix de gestion opérés tant à l’échelon national (dans la législation) que localement :
– Le législateur laisse aux autorités délibérantes locales l’option entre des formules de droit public ou de droit privé, pour créer les comités régionaux et départementaux du tourisme, de même que les offices de tourisme.
– Localement on relève le choix de la délégation par certaines régions à des observatoires régionaux du tourisme, à statut associatif, de la mission tenant dans « le recueil, le traitement et la diffusion des données relatives à l’activité touristique dans la région », que le législateur leur a confié (loi du 23 décembre 1992, art.4 modifié).
La préservation d’un cadre de coopération administrative hors commerce concourt aussi à rapprocher la réalité de la mise en œuvre des politiques touristiques avec cet idéaltype. L’outil contractuel est encore utilisé, non seulement pour satisfaire la commande publique tournée vers des opérateurs économiques, mais aussi pour soutenir sur fonds publics certaines initiatives privées se situant en dehors du champ concurrentiel ou à sa marge. Il en va ainsi :
– des conventions d’objectifs liant l’Etat aux associations du tourisme social ;
– de la convention-cadre liant l’Etat et la fédération nationale des comités départementaux du tourisme ;
– des conventions particulières conclues par des collectivités territoriales avec des associations de tourisme. Ainsi « l’association VVF Villages gère les 67 villages dont les collectivités locales sont propriétaires, sur la base d’un projet d’aménagement du territoire et de brassage social »
L’organisation administrative normée : un assemblage de structures et d’outils de régulation préventive des conflits
Au plan général, des modes possibles de régulation des conflits peuvent être esquissés ; ils s’appuient sur deux types d’instruments :-l’accès à une représentation d’intérêts locaux ou sectoriels au sein d’instances désignées par les autorités locales / régionales ;-des dispositifs de coordination entre acteurs ;
La régulation par la représentation des intérêts locaux ou sectoriels dans les instances collégiales
Cette voie de régulation se rencontre à l’échelle du département. Le législateur laisse au Conseil général une grande latitude pour « fixer le statut, les principes d’organisation et la composition du comité départemental du tourisme », cette composition n’étant encadrée qu’a minima par la norme nationale au travers d’une représentation garantie à différents acteurs publics (telles les chambres consulaires et les communes touristiques ou leurs groupement) et privés (telles les professions et associations de tourisme) (C. tourisme, art.L.132-3). Des dispositions similaires se retrouvent pour ce qui est de l’institution dans chaque région d’un comité régional du tourisme (C. tourisme, art.L.131-4). En laissant une large marge d’appréciation aux conseils généraux et aux conseils régionaux pour doser la composition des comités départementaux et régionaux du tourisme, l’Etat confère aux assemblées délibérantes des collectivités territoriales concernées un réel pouvoir de « régulation », les mettant en mesure de doser la représentation des intérêts socio-professionnels en tenant compte des particularités locales.
Dans les faits, les modes de représentation adoptés révèlent le souci de garantir un équilibre entre les acteurs publics et para-publics d’un côté, et les acteurs privés de l’autre, au travers d’une représentation ménageant une quasi-parité. Ainsi une enquête spécifique menée auprès de ces institutions révèle qu’à côté des élus de la collectivité de rattachement :
-le comité départemental du tourisme des Côtes d’Armor est composé de 8 représentants liés au « public » (2 des chambres consulaires, 4 des offices de tourisme et syndicats d’initiative, 2 des communes et EPCI touristiques) et de 7 représentants du « privé » (6 pour les professionnels du tourisme et 1 pour ce qui est des associations de tourisme et de loisirs) ;
-le comité régional du tourisme des Pays de la Loire est composé de 8 représentants liés au « public » (1 pour les chambres consulaires, 3 pour les offices de tourisme et syndicats d’initiative, 4 des communes et EPCI touristiques) et de 7 représentants du « privé » (5 pour les professionnels du tourisme et 2 pour ce qui est des associations de tourisme et de loisirs).
La régulation par la coordination entre acteurs
La loi prévoit essentiellement une coordination des initiatives publiques ou privées. On relève une compétence spéciale conférée dans la loi au Conseil régional, chargé de « coordonner, dans la région, les initiatives publiques et privées, dans les domaines du développement, de la promotion et de l’information touristiques » (C. tourisme, art.L.131-2 6).Néanmoins on pressent ici que l’on ne s’approchera de l’harmonie souhaitée par le législateur que si le jeu d’acteurs est vertueux.
L’APPORT DE L’ANALYSE INSTITUTIONNELLE : LA DETECTION DES CONFLITS POTENTIELS
Plusieurs facteurs de conflits potentiels sont perceptibles à l’examen des normes en vigueur rassemblées dans le code du tourisme, si l’on s’en tient à une approche organique (A). D’autres sont aussi décelables si l’on se place sous un angle de vue plus fonctionnel.
Les enseignements de l’approche organique
Des conflits potentiels sont repérables à deux stades :Une pluralité d’organes compétents engendrant des risques de concurrence entre acteurs publics :L’organisation touristique laisse entrevoir une large panoplie d’acteurs publics. Que l’on se place au plan de la stratégie d’ensemble tout comme à celui de la gestion opérationnelle, on rencontre :- une multiplicité des acteurs détenteurs de la compétence générale placés sur un même plan « en 1ère ligne ». Malgré un appel à la « coordination » en forme de vœu pieux, une extrême souplesse des relations entre institutions prédomine, matérialisée par l’usage des expressions « associés à », ou encore « en liaison avec » (C. tourisme, art.L.111-1 & 2, L.121-1).
– une multiplicité des opérateurs ayant une compétence horizontale « en 2ème ligne » : comités régionaux et départementaux du tourisme ; offices de tourisme (C. tourisme, art.L.131-8, L.132-2 & L.133-1). De surcroît, ces opérateurs ne sont pas hiérarchisés entre eux du fait de l’absence de tutelle possible d’un niveau de collectivité territoriale sur un autre (Constit., art.72, al.5). Si les textes laissent entrevoir une cohérence possible, le comité régional du tourisme étant une institution obligatoire alors que la création du comité départemental du tourisme est facultative, la réalité révèle partout une pluralité de ces instances.
Aucun niveau de collectivité territoriale ne disposant d’une compétence exclusive en matière de développement touristique, l’on pourrait s’attendre à ce que le législateur ait mis en œuvre le dispositif virtuellement prévu à l’article 72 al.5 de la Constitution. Ce texte, tout en affirmant le principe de l’absence de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre, dispose que « cependant, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou l’un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». Mais l’on serait en peine de trouver dans le code du tourisme une disposition qui s’inspirerait de l’article 1er de la loi LRL du 13 août 2004, selon laquelle « la région coordonne sur son territoire les actions de développement économique des collectivités territoriales et de leurs groupements ». Au contraire la double présence d’un « schéma régional de développement du tourisme et des loisirs » (C. tourisme, art.L.131-1) et d’un « schéma d’aménagement touristique départemental » (C. tourisme, art.L.132-1) incline à penser que le législateur a écarté la désignation d’une collectivité chef de file. Or il serait béotien de croire qu’une articulation harmonieuse des interventions de l’ensemble de ces acteurs publics puisse se produire naturellement. Des conflits sont en germe du fait de l’absence de partage des compétences par le législateur. D’autres zones de conflictualité possible résultent de la place prise par l’intercommunalité dans la mise en œuvre des politiques touristiques. Désormais celles-ci peuvent résulter d’interventions provenant à la fois des communes et d’intercommunalités qui ont pu acquérir une parcelle de compétence « en matière d’aménagement, gestion et entretien des zones d’activité touristique », dans les limites de ce qui entre dans les « actions d’intérêt communautaire » (C. tourisme, art.L.134-1). Ce mouvement d’ « intercommunalisation » est encouragé par le législateur, qui a rendu les groupements de communes d’un seul tenant éligibles à la procédure de classement comme stations touristiques (C. tourisme, art. L.134-3, issu de la loi n°2006-437 du 14 avril 2006, art.7), tandis que des formes spécifiques de coopération locale peuvent aussi être employées. Il est en effet prévu que « plusieurs groupements de communes désirant s’associer pour la promotion du tourisme peuvent créer un syndicat mixte en vue d’instituer un office de tourisme sous forme d’un établissement public industriel et commercial » (C. tourisme, art.L.134-5). En outre, depuis la loi n°92-645 du 13 juillet 1992 (art.30) des groupements d’intérêt public peuvent avoir pour objet des « activités de développement ou d’intérêt commun dans le domaine du tourisme ».
Un brouillage des frontières entre catégories d’institutions
La dichotomie que nous avions précédemment établie entre instances parapubliques de nature associative et de nature sociétale doit être partiellement corrigée. Déjà ce « jardin à la Française » ne tient pas compte de la présence d’associations (souvent à l’échelle supra-communale) investies de missions de développement économique local, dont certaines vouées au tourisme. Des risques juridiques sont présents lorsque la nature juridique de tel ou tel opérateur se révèle fictive. Ainsi la CRC de Corse pointe des défaillances dans l’exercice effectif de la tutelle exercée par l’Assemblée de Corse sur l’Agence du tourisme de la Corse, contrastant avec le statut de cet organisme qui est un établissement public à caractère industriel et commercial, dans l’instance délibérante duquel cette assemblée est majoritairement représentée .Parfois la dimension économique croissante traversant les politiques locales du tourisme conduit certaines collectivités publiques à se doter d’opérateurs constitués en forme de sociétés d’économie mixte, en renonçant à des formules plus classiques d’association ou d’établissement public local. Ainsi la commune de Saint-Jean de Monts (Vendée) a fait ce choix. On relève cependant que la juridiction financière émet aussi de fortes réserves lorsqu’un comité départemental de tourisme délègue à un opérateur l’exercice d’une part substantielle de ses missions. Dans ses observations précitées, la CRC de Corse déplore qu’à la suite d’une « délégation de la promotion touristique à un organisme spécialisé », il résulte une amputation des missions assumées en propre par l’agence régionale, dont « le service de la promotion voit son activité réduite de plus de moitié ». Le caractère répandu de ce type de démembrement de l’action publique, laisse planer un conflit latent entre les régions concernées et les magistrats financiers. Ainsi la Région des Pays de la Loire a-t-elle fait le choix de se doter d’une structure opérationnelle dédiée à l’action touristique, en créant une société d’économie mixte dont elle est actionnaire à 85%.