Développement professionnel dans le contexte de la communauté virtuelle des Moodleurs
Le cas de la communauté Moodle
Le terrain de recherche auquel nous nous intéressons est à la fois défini et en même temps complexifié par le réseau Internet qui, même s’il peut apparaitre « comme un terrain semblable aux autres en même temps qu’il s’en différencie, au premier abord, par son caractère insaisissable » (Héas & Poutrain, 2003), donne toutefois la possibilité d’atteindre différentes populations en permettant d’isoler à des fins d’analyse les formes de pratiques participatives et interactionnelles dans des communautés en ligne.
Pourquoi la communauté « Moodle » ?
Dans le cas qui nous intéresse, si le « terrain » de recherche est constitué par les activités humaines présentes sur le réseau Internet, il faut préciser que le choix de celui-ci Méthodologie d’étude du développement professionnel dans le contexte de la communauté virtuelle des Moodleurs Chapitre 6 : Méthodologie d’étude du développement professionnel dans le contexte de la communauté virtuelle Moodle Page 150 sur 311 s’inscrit dans prolongement d’un premier travail de recherche mené dans le cadre d’un Master Recherche (Garcin, 2009 ; Garcin & Audran, 2010) en Sciences de l’Éducation portant les activités de téléchargement illégal de contenus136 . Nous nous sommes donc trouvés confrontés au problème qui consiste à trouver un nouveau terrain d’étude pour aller au-delà des premiers résultats obtenus et repérer les phénomènes communs. Une première démarche a consisté en la recherche d’espaces communautaires susceptibles de capter notre intérêt tant au niveau de nos aspirations personnelles, qu’à celui de nos questions de recherche. Cet espace devait répondre aux contraintes suivantes : permettre d’entrer en contact avec différents acteurs ; proposer une communauté constituée d’experts et de novices ; faciliter l’observation des échanges qui se déroulent entre les individus ; présenter les traces d’un apprentissage situé (de fait, ne pas proposer (ou peu) de formations institutionnalisées ; fournir un répertoire de ressources partagées ; sous-tendre a priori une philosophie du don et du partage ; … Une veille prolongée sur la toile et de multiples prospections, nous ont amenés à choisir de nous intéresser aux applications Open Source et plus particulièrement à la communauté qui s’occupe de l’application « Moodle », car elle présente a priori tous les critères énoncés cidessus.
Intérêt méthodologique
Nous avons choisi de nous intéresser à l’activité de la communauté Moodle, car bien qu’elle se situe dans un environnement virtuel, elle présente selon nous une richesse de relations et d’échanges culturels qui façonnent les activités sociales de ses membres. Autant de caractéristiques intéressantes pour analyser la dynamique du développement professionnel. Son intérêt réside également dans le fait qu’elle peut se prêter à différentes méthodes de recueil de données ainsi qu’à une double analyse (quantitative et qualitative) dont les résultats pourront être triangulés. 136 A l’époque, nous nous intéressions à l’étude des acteurs en situation d’apprentissage au travers de leurs pratiques en ligne et plus particulièrement celles concernées par le téléchargement illégal. Pour poursuivre ces travaux, nous avions envisagé d’intégrer une communauté de hackers spécialisés dans l’intrusion de réseaux informatiques. Il nous a malheureusement été impossible, d’entrer en contact de manière significative avec ces derniers dans le temps imparti par ce travail de thèse. Troisième partie : Le développement professionnel des Moodleurs. Une configuration sociale interconnectée Page 151 sur 311 Ainsi, la communauté Moodle : autorise d’une part, un accès libre au profil des utilisateurs qui favorisera entre autres les rapprochements dans le cadre de l’enquête par questionnaire ; d’autre part, elle permet le recueil et l’analyse des traces d’interactions sociales issues de l’activité des individus dans un contexte situé permettant une analyse structurelle, mais également une analyse de contenu et une catégorisation des échanges qui les composent. De ce fait, étudier le cas de la communauté Moodle facilitera l’accès à l’observation et favorisera la compréhension de phénomènes de construction de connaissances en ligne et à distance, dans un environnement non institutionnel, aux processus qui les composent et aux acteurs qui en sont les parties prenantes. En somme, nous envisageons une recherche de type herméneutique se définissant comme « l’art de comprendre » (Starobinski, 1987, p. 5). C’està-dire que nous cherchons à adopter une posture compréhensive dans le sens où « l’observation exige que le chercheur puisse attribuer une signification à une activité, c’est à dire en connaisse les motifs ou les buts » (Grawitz et Leca, 1985, p. 128).
L’art de comprendre
La démarche compréhensive prend pour objet d’étude les phénomènes tels qu’ils se déroulent dans la vie quotidienne et cherche à comprendre ces phénomènes en leur donnant une signification. En effet, comme le souligne Schütz (1987, cité par Saada-Robert & Leutenegger, 2002) les approches compréhensives postulent que « les faits humains ou sociaux sont porteurs de significations véhiculées par des acteurs (hommes, groupes, institutions) qui sont parties prenantes d’une situation complexe considérée comme un système d’interrelations » (p. 14). Selon ces chercheuses, les démarches compréhensives visent le « comment » du déroulement et des transformations des phénomènes » (…) plutôt que leur explication (le « pourquoi » en termes de causes matérielles) » (ibid., p.13). Mais, comme le note Daele (2013) en sciences humaines, « la compréhension a souvent été mise en parallèle, voire à l’opposé de l’explication causale » (p. 99). Peut-on expliquer sans comprendre ? À notre sens, ces deux distinctions sont complémentaires. D’ailleurs, selon Piaget (1967), explication et compréhension sont deux aspects de la connaissance « irréductibles et indissociables » (p. 1135) ; ne disait-il pas en 1981, que les sciences de l’homme « cherchent toutes à comprendre et à expliquer, mais non pas à comprendre sans expliquer, ou à expliquer sans comprendre » (cité par Goyette, 1987, p. 42). Nous ne Chapitre 6 : Méthodologie d’étude du développement professionnel dans le contexte de la communauté virtuelle Moodle Page 152 sur 311 poursuivrons pas cette discussion, car ce qui nous intéresse ici est la démarche « compréhensive » à proprement parler. Ainsi, dans le cadre de ce travail, la démarche compréhensive nous permettra d’attribuer des significations à des phénomènes vécus par les « Moodleurs » ou à des actions qu’ils auraient initiées. Dans cette perspective, il s’agira de saisir et d’identifier les conditions dans lesquelles se déroulent des phénomènes, des actions et de les présenter de manière intelligible c’est-à-dire de les décrire137 . À cet égard, dans le cadre de ce travail, il sera question d’observer des phénomènes et des témoignages de la vie sociale tels qu’ils se manifestent dans la réalité des « Moodleurs ».
Le groupe comme sujet d’étude
une approche ethnométhodologique L’observation de communautés virtuelles (groupes) relève particulièrement du monde des sciences humaines et sociales qui ont pour objet d’étude « l’humain ». C’est donc dans cet univers que nous inscrirons notre méthodologie de recherche. Si à l’instar de Garfinkel (1967) nous considérons que l’activité quotidienne des individus est constituée de savoirs construits dans une réalité sociale, il s’agira de définir un angle sous lequel appréhender et décrire cette réalité sociale dans un contexte de « terrain virtuel ». Dans le cadre de ce travail, il sera question d’observer des phénomènes et des témoignages de la vie sociale tels qu’ils se manifestent dans la réalité des « Moodleurs ». Plus précisément, il s’agira d’illustrer les modalités d’un processus de développement professionnel à partir d’indices témoignant de la présence d’une construction de connaissances. Dans cet objectif, il nous faudra procéder à une analyse de cette réalité telle qu’elle s’exprime dans les interactions et dans les pratiques des membres de la communauté « Moodle ». En somme, il nous faudra appréhender le développement professionnel au travers des pratiques des « Moodleurs » telles qu’elles s’accomplissent en contexte (c’est-à-dire sur le Web social).