Développement durable et pauvreté
Introduction générale
Quand l’économie croît, elle ne croît pas dans le vide, ne déplaçant rien et n’induisant aucun coût d’opportunité. L’économie croît plutôt au sein d’un écosystème limité et non croissant, et induit les coûts d’opportunité du capital naturel et des services écologiques ainsi érodés” H. Daly Les dispositifs de paiements pour les services écosystémiques (PSE) représentent une innovation en matière de conservation. En effet, déjà mis en œuvre dans plusieurs pays dans le monde, aussi bien dans les pays développés qu’en voie de développement, ces instruments sont perçus comme ayant la capacité d’introduire des changements de comportements à moindre coûts en faveur de la préservation de l’environnement (Ferraro & Simpson, 2002 ; Ferraro & Kiss, 2002). Par ailleurs, ils ont aussi la capacité d’affecter directement le revenu des fournisseurs des services écosystémiques (SE) qui sont majoritairement pauvres, grâce notamment aux paiements eux-mêmes qui peuvent constituer une source de revenu non négligeable (Pagiola et al., 2005). Ce chapitre introductif aborde la notion de PSE dans une perspective de développement durable, puis situera la thèse dans la problématique de la conception d’un dispositif PSE dans un contexte de pauvreté. Pour ce faire, on parlera de la notion de développement durable et de la pauvreté dans un premier temps, puis dans un second temps, du contexte de la thèse et de la problématique, et puis finalement des objectifs de la thèse et de l’approche adoptée.
Développement durable et pauvreté
Le développement durable sous-entend un développement qui persiste dans le temps. Ce concept avait été toujours associé à l’environnement et la pauvreté. Ce qui implique qu’il ne pourrait y avoir de développement durable en présence de dégradation de l’environnement et de pauvreté. Cette section met en perspective les questions de financement dans le mécanisme du développement durable, et cela à travers une revue de l’origine du concept de développement durable et des moyens mis en œuvre pour le réaliser. Notamment, comment faire face au problème de pauvreté. 2 Introduction
Origines et aboutissements du concept de développement durable
Les problèmes environnementaux ont été toujours perçus comme une relation conflictuelle entre l’homme et la nature, pour laquelle ne privilégier que l’un ou l’autre parti ne constituerait pas la meilleure alternative possible. En effet, s’il est évident que la nature survivrait à la destruction de l’homme, la possibilité que ce dernier survive à la destruction de la nature demeure questionnable, sachant qu’une part de l’existence de l’homme a été toujours associée à la nécessité de dominer et de profiter de la nature. Au-delà de telles conceptions un peu abstraites certes, certaines voix se sont élevées surtout dans la deuxième moitié du XXème siècle, contre la dégradation apparente de l’environnement global. Cela avait abouti par des publications de rapports à la fois d’aspirations scientifiques que politiques, qui admettaient tous que la dépendance de l’homme sur l’environnement semble approcher dangereusement des limites de son environnement (voire même la dépasser). Sur la scène scientifique, le rapport de Meadows et al. (2005) publié en 1972 porta son attention sur les limites de la croissance économique qui avait été surtout marquée par la révolution industrielle et les trente glorieuses, et où l’économie avait pris l’ascendance sur toutes les autres préoccupations des hommes et de la société. Essentiellement réalisé par des spécialistes de la dynamique des systèmes, le rapport avait émis des conclusions plutôt pessimistes pour l’humanité du XXIème siècle, suggérant d’une part que les contraintes écologiques globales (relatives à la fois à l’usage des ressources et à l’absorption des pollutions) auront une influence significative sur le développement global, et que d’autre part, l’humanité aurait consacré probablement trop de capitaux pour pallier ces contraintes que la qualité moyenne de la vie diminuerait (Meadows et al., 2005). Autrement dit, il ne s’agit plus d’une croissance économique mais plutôt d’une décroissance. Une mise à jour du même rapport 30 années après avait par la suite montré une croissance soutenue de l’‘empreinte écologique’1 de l’humanité et que cette dernière était pour la dernière fois à un niveau compatible au développement durable dans les années 80 (Meadows et al., 2005). Actuellement, l’humanité vit déjà à un niveau 20% en plus des capacités de support de la planète (Meadows et al., 2005). Par ailleurs il faut souligner que ce sont les pays développés qui s’approprient davantage d’empreinte écologique comparé aux pays en voie de développement. Pour ces auteurs, le défi majeur de l’humanité réside dans la durabilité, qui va requérir essentiellement le besoin d’accroître le 1 L’empreinte écologique est définie comme étant la surface de terre nécessaire pour fournir les services écosystémiques correspondants à la consommation de chaque unité sociale, de l’individu à l’échelle d’un pays. 3 Introduction niveau de consommation des pauvres tout en réduisant l’empreinte écologique totale de l’humanité. Sur la scène politique, les travaux de la commission mondiale sur l’environnement et le développement (WCED) dirigée par l’ancienne première ministre Norvégienne Gro Harlem Brundtland vont pousser sur la scène internationale cette notion de durabilité ou plus précisément de développement durable. La publication du rapport ‘Notre Avenir à Tous’ qui est le point d’orgue de ces travaux, va marquer l’agenda international qui va par la suite se fixer comme objectif la satisfaction des besoins humains, tout en reconnaissant l’existence de limites imposées par l’état actuel de la technologie et de l’organisation sociale sur l’habilité de l’environnement à satisfaire ces besoins, aussi bien dans le présent que dans le futur (WCED, 1987). Se développer durablement consisterait ainsi en un [processus de] développement qui satisferait les besoins actuels sans compromettre l’habilité des générations futures à satisfaire les leurs (WCED, 1987). La commission précisait alors que les objectifs de développement social et économique de tout pays soient définis suivant ce principe de durabilité (WCED, 1987). Finalement, le rapport de la Banque Mondiale sur la préservation de l’environnement publié en 1992 avait fourni les différentes directives à travers lesquelles le développement durable devrait être opérationnalisé. Bien que ce rapport de surcroît représentait une certaine continuité aux précédents évènements (i.e. popularisation du concept de développement durable), sa contribution majeure résidait dans le fait que l’opérationnalisation du développement durable va consister à promouvoir la croissance économique d’une part pour réduire la pauvreté et d’autre part à s’approprier des ‘externalités positifs’ de la mise en place de diverses politiques sectorielles efficientes qui ne pourraient que bénéficier à l’environnement. Le choix de privilégier la croissance économique, qui permettrait aux plus pauvres d’améliorer leur standard de vie, n’était pas cependant admis de tous, particulièrement sur la scène de la science économique, qui va voir naître deux positionnements opposés : la durabilité faible, d’inspiration néoclassique et soutenue par l’économie de l’environnement, et puis la durabilité forte, influencée en grande partie par des courants d’idées des sciences naturelles, et soutenue par l’économie écologique.
Compréhensions et opérationnalisation du développement durable
maintien des services et fonctionnalités écosystémiques et réduction de la pauvreté On peut noter une certaine opacité dans la compréhension du développement durable telle qu’évoquée par la WCED, puisque celle-ci fonde la durabilité sur une croissance économique qui au final fait abstraction des limites imposées par l’écosystème. Si l’état actuel de la technologie et de l’organisation sociale tel que mentionné précédemment limite en effet les capacités de l’environnement à satisfaire les besoins actuels et futurs, la seule approche qui permettrait de surmonter ces limites et d’améliorer ainsi les capacités de support de l’écosystème serait de se focaliser sur le progrès technologique et l’usage efficient des ressources environnementales. Autrement dit, il s’agirait de pousser davantage ces limites. L’élimination de la pauvreté va alors résider dans ‘l’espoir’ que les fruits de la croissance économique dont bénéficieraient initialement les riches (comme l’augmentation des revenus par exemple) finiront par bénéficier aux pauvres à travers une politique de redistribution appropriée, conditionnée par le maintien d’un niveau ‘durable’ du nombre de la population et du changement de la qualité de la croissance (WCED, 1987). Suivant une même interprétation de la durabilité, l’IIED (Institut International pour l’Environnement et le Développement) avait souligné le besoin que ce développement durable soit réalisé à travers les trois systèmes qui forment généralement tout processus de développement : le système social, le système écologique, et le système économique (Mebratu, 1999). Des objectifs sont définissables pour chaque sous-système mais la réalisation de ces objectifs doit se faire à travers ces trois systèmes dans un processus d’adaptation et de compromis (Mebratu, 1999). Face à ces conceptions, on a constaté l’apparition de deux compréhensions antagonistes de la durabilité qui vont la qualifier de faible ou de forte. L’approche du développement durable par la WCDE s’apparente ainsi au cadre de la théorie néoclassique de la croissance économique qui opte pour une durabilité faible. Elle implique que la durabilité est achevée si la valeur de la production économique et/ ou l’utilité individuelle est non décroissante dans le temps (Gutéz, 1996 ; Gowdy, 2000). La réalisation de la durabilité faible s’appuie généralement sur deux principes fondamentaux. D’une part, la rationalité individuelle associée au rôle souverain du marché qui permettrait de révéler ce qui serait maximal pour chacun en termes d’utilité. D’autre part, les possibilités offertes par le progrès technologique qui vont permettre la substitution entre le capital manufacturier, le capital naturel, et le capital humain. Sous le régime d’une durabilité faible, l’économie peut donc croître indéfiniment tant que le stock total de capital ne décroit pas dans le temps, même si cela implique que l’environnement soit détruit entièrement. 5 Introduction Ce qui implique que la régulation marchande permet la substitution entre toutes les formes de capital. Complètement à l’opposé de la vision néoclassique du développement durable, on retrouve celle de l’économie écologique qui considère la ‘durabilité forte’, où le stock de capital naturel doit être maintenu à un niveau constant dans le temps (Gowdy, 2000). Le concept de durabilité forte ne considère pas la pertinence du maintien du niveau de l’utilité dans le temps pour parvenir à la durabilité, mais plutôt celui du flux de matières premières et d’énergie provenant de l’écosystème global, passant à travers l’économie, et qui revient dans l’écosystème en tant que déchets (Daly, 2007). L’écosystème à cet effet constitue le contenant de l’économie (et du social) et en tant que tel, la taille (ou échelle) de l’économie devient une variable critique pour réaliser un développement durable. Il s’agit alors de maintenir les capacités du capital naturel à soutenir ces flux, ou autrement dit, préserver intactes les fonctionnalités des écosystèmes. Il faut savoir qu’antérieurement le concept de développement durable ou plus précisément de l’idée dont on se faisait de celui-ci (i.e. durabilité) était déjà l’objet de vifs intérêts notamment parmi d’autres disciplines. Pour l’écologie par exemple, Holling (1973) avait introduit les concepts de résilience et de stabilité pour décrire les comportements des systèmes écologiques. Ainsi, un système donné est résilient s’il est capable de maintenir ses structures et ses comportements face à un changement de son environnement, tandis que la stabilité renvoie à l’habilité d’un système à revenir à sa situation d’équilibre après une perturbation temporaire. Le développement est alors durable seulement si l’écosystème sur lequel il dépend est résilient (Arrow et al., 1995). Cette définition de la résilience aura une implication significative sur la manière de comprendre les systèmes PSE dans une perspective de durabilité comme on le verra vers la fin de ce travail. Ainsi, l’économie en tant que contenu de l’écosystème global ne peut donc croître indéfiniment au risque de dépasser le seuil de résilience de son unique support. Toutefois, le régime de durabilité forte ne fait pas abstraction de l’importance du rôle du marché pour avoir une économie efficiente, tant que le facteur échelle soit pris en compte.