Dans notre recherche, nous considérons les concepts utilisés comme des construits scientifiques, sociaux et culturels qui sont en partie définis et appropriés par les acteurs territoriaux. Ainsi, une approche interprétative et qualitative semble appropriée, l’objectif de la démarche étant de comprendre et d’interpréter le sens donné par les acteurs aux processus auxquels ils participent et aux concepts qu’ils sollicitent. En cohérence avec la nature de la recherche et avec les définitions retenues, nos ancrages épistémologiques sont ceux de la perspective constructiviste, de l’interactionnisme et de la pensée complexe.
Guba et Lincoln soulignent que dans une perspective constructiviste, la frontière entre l’ontologie et l’épistémologie s’estompe, les deux pouvant être abordés simultanément. Malgré tout, pour l’ancrage ontologique, la perspective du relativisme semble s’imposer. Selon Guba et Lincoln (cité dans Hesse-Biber et Leavy, 2004), le relativiste suppose que les réalités puissent être appréhendées sous la forme de constructions mentales, intangibles et multiples, ce qui est cohérent avec l’angle d’analyse des représentations sociales retenu pour notre recherche. Ces constructions se forment à partir de l’expérience et de la société. Elles sont locales et spécifiques, quoique certaines puissent être partagées par un grand nombre d’individus ou de groupes. Ces constructions ne sont ni vraies, ni fausses, mais seulement plus ou moins informées et sophistiquées, et elles servent à interpréter le monde plutôt qu’à dégager ses régularités propres. Le caractère contextuel (ou historique) de la vérité, de la rationalité, des explications et des valeurs y est fortement affirmé. La science repose ainsi sur des mécanismes sociaux, ainsi que sur l’existence de communautés scientifiques. Celle-ci se présente sous la forme de visions du monde (ou perspectives) et ensemble de coutumes et de règles en usage à une époque donnée, dans des contextes sociaux variables. De cette perspective va dépendre la signification des concepts théoriques et des observations effectuées à propos de faits (Lafontaine, 2005, p.371). Cet ancrage ontologique est cohérent avec les perspectives épistémologiques de la complexité, du constructivisme et de l’interactionnisme. Il existe d’ailleurs une certaine forme de cohérence et des points de convergence entre les trois perspectives, dont les principaux postulats sont présentés et justifiés à l’intérieur de ce chapitre.
Une perspective constructiviste
Dans une perspective constructiviste, le chercheur et son objet de recherche sont intrinsèquement liés de façon interactive, les connaissances étant créées par le processus de recherche lui-même (Guba et Lincoln, 2004), dans l’interaction du chercheur et de son objet de recherche (Denzin et Lincoln, 2003). Dans cette perspective, les connaissances sont relatives. Pour exister, elles doivent être considérées comme consensuelles parmi les gens aptes à les interpréter. Des connaissances multiples peuvent coexister, dépendant des facteurs sociaux, politiques, culturels, économiques et ethniques des acteurs qui s’approprient ces connaissances. Il existe une multiplicité de savoirs et de «vérités » portés par les divers acteurs territoriaux, lesquels émergent de la relation entre les membres d’une communauté d’intérêts (Lincoln et Guba, 2000, p.177). La vérité est donc «relative» et mouvante (Fortin, 2005). Conformément à la perspective relativiste, aucun savoir ne serait vrai dans l’absolu, mais il devient vérité dans l’œil du sujet.
Dans la perspective constructiviste, le chercheur considère que les acteurs agissent comme des interprètes, présentant diverses reconstructions partiales et partielles de la réalité. Le chercheur procède à sa propre reconstruction de la façon dont les acteurs reconstruisent la réalité (Poupart, 1997). Cet ancrage est pertinent dans notre recherche puisque le développement durable est présenté comme un concept flou, vaste et polysémique, qui interpelle nécessairement à une appropriation par les acteurs territoriaux, à une reconstruction appropriée aux contextes territoriaux. Ainsi, les connaissances sociales et scientifiques sur le développement durable seraient le résultat d’interactions, de négociations et d’appropriations sociales, dans des rapports d’intersubjectivité, qui varient selon les contextes où ces connaissances sont sollicitées. Cela justifie que les représentations sociales des acteurs concernant le développement durable et la participation ne soient pas déterminées (Bonardi et Roussiau, 1999). À l’instar des savoirs et des significations que les acteurs accordent au monde qui les entoure, ces représentations sont négociées, « en lien avec le contexte social, historique, géographique et politique dans lequel ils s’insèrent » (Fortin, 2005, p.114). La contextualisation et l’analyse des relations des acteurs sont ainsi des impératifs méthodologiques du constructivisme. Dans cette perspective, la théorie de l’interactionnisme apporte un éclairage complémentaire aux fondements épistémologiques du constructivisme : si le constructivisme considère les connaissances comme produites par les acteurs et par le chercheur, l’interactionniste offre une perspective pertinente sur la façon dont sont construites ces représentations des acteurs.
L’interactionnisme
Blumer (dans Prus) définit l’interactionnisme symbolique comme étant «l’étude des manières dont les personnes font sens de leurs situations de vie et des façons dont ils font leurs activités, en conjonction avec les autres » (Prus, 1996, p.10). Dans cette perspective, l’humain, être dynamique et non passif, définit son environnement et ne fait pas que lui répondre (Charon, 2004). Selon Charon, l’influence du pragmatisme est importante dans la perspective interactionniste pour l’éclairage qu’il donne sur la relation entre l’humain et son environnement. Dans le pragmatisme, une connaissance est crue et retenue si elle est utile et l’environnement est défini par l’usage qu’on en fait : les humains peuvent être compris d’abord par leurs actions dans leur environnement .
Un des postulats fondateurs des théories interactionnistes est que « l’expérience humaine est enracinée dans les significations, les interprétations, les activités et les interactions des personnes » (Prus, 1997 : 9). Pour les interactionnistes, la signification est socialement construite, dans un contexte spécifique (Duncan, 1978), en fonction des relations sociales, mais également des relations aux lieux et aux espaces (Hay, 2010, p.164), donc aux territoires61. Les interactionnistes considèrent que les comportements humains ne sont pas influencésuniquement par des critères objectifs, mais également par leurs perceptions et leurs représentations de leur environnement. Selon Fortin, « une telle conception des rapports sociaux expliquerait pourquoi un groupe d’acteurs peut choisir de s’opposer à un autre lors d’une situation donnée alors qu’il peut, à un autre moment, s’associer à ce même acteur » (Fortin 2005, p.115) . Dans cette perspective, les interactionnistes cherchent, sur le plan méthodologique, à comprendre comment les discours sont convoqués par les acteurs pour justifier ou expliquer les pratiques et décisions (Prus, 1996, p. 13), puis comment les pratiques modifient, en retour, les discours et représentations (Fortin, 2005).
Introduction |
Très bon document. Merci d’avance