Développement d’un modèle éléments finis 3D appliqué à la simulation d’opérations chirurgicales des tissus mous
Méthodes numériques appliquées à la simulation d’opérations chirurgicales des tissus mous
Depuis ces dix dernières années, la simulation s’est intéressée au milieu médical. Les simulateurs d’opérations chirurgicales ont considérablement progressé. Malgré tout, ils restent encore au stade de démonstration et ne sont pas véritablement utilisés. Il existe quatre grandes catégories de simulateurs : ¾ Ceux basés sur une approche géométrique. Leur objectif est de familiariser le chirurgien à un milieu chirurgical particulier comme la laparoscopie. L’approche est purement géométrique, il n’y a pas de calcul mécanique. ¾ Ceux qui visent l’apprentissage des gestes opératoires spécifiques. Pour en augmenter le réalisme, ces simulateurs sont souvent dotés d’un système haptique. Pour cela un calcul en « temps réel » est nécessaire. Cela suppose une fréquence de résolution de l’ordre de 300 Hz. La rapidité de calcul se fait au détriment de la précision (modèles non réalistes de types masse-ressort ou utilisation de lois de comportement simplifiées). En effet, ils sont contraints de prendre en compte des lois de comportements peu gourmandes en temps de calcul, de type hypoélastiques (valables pour les petites déformations) pour définir des matériaux sollicités en grandes déformations (les déformations rencontrées lors d’une opération chirurgicale peuvent facilement atteindre 100%). Ceci induit des imprécisions dans les résultats car l’hypoélasticité sous estime les efforts. ¾ Ceux qui utilisent les éléments frontières. Issus de la mécanique des milieux continus, ils sont plus précis que les masse-ressort mais ne peuvent traiter des organes hétérogènes. ¾ Ceux dont l’objectif est la planification « off line » d’opérations délicates afin d’en optimiser la réussite et la mise au point de nouveaux protocoles opératoires. Dans ces cas la qualité des résultats est très importante, le temps de calcul n’étant pas un facteur décisif. Quel que soit le type de simulateur utilisé, les méthodes numériques employées en constituent le coeur. Elles seront développées dans le cadre de ce premier chapitre. Dans un premier temps nous évoquerons des méthodes purement géométriques permettant une bonne prise en main des instruments chirurgicaux. Puis, nous décrirons le modèle masse-ressort, très utilisé dans ce domaine. Il facilite le couplage du simulateur avec un système haptique. Ensuite, nous expliquerons la méthode peu répandue des éléments frontières qui consiste à modéliser simplement la surface du problème. Enfin, nous développerons l’apport du modèle éléments finis dans la modélisation d’opérations chirurgicales.
Une première approche dans le domaine les simulateurs dits « passifs »
Les premiers simulateurs d’opérations chirurgicales se sont intéressés aux chirurgies de type laparoscopie. Leur approche était purement géométrique, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de calcul mécanique. L’aspect traité est donc uniquement visuel. Ils ont pour but de permettre au praticien de naviguer dans un environnement 3D proche de celui rencontré lors d’opération peu invasive. L’intérêt réside dans la familiarisation du maniement des instruments chirurgicaux, notamment la caméra endoscopique. Cela permet d’acquérir rapidement des gestes plus adaptés. Haluck et al. [HAL 01] a mis en place un tel simulateur. Son but n’est pas de modéliser une opération chirurgicale, mais de créer un environnement 3D dans lequel les praticiens apprennent à manipuler l’endoscope. En effet, les éléments modélisés sont des géométries simples en 3D et non des organes. Ce simulateur a été testé par des chirurgiens novices et experts. Plusieurs exercices ont été mis au point, ils ont mis en évidence le fait que les erreurs commises diminuaient avec l’expérience, d’où l’utilité de tels simulateurs. Cependant, cette approche n’est qu’une première étape de la modélisation d’opérations de type laparoscopie. Des modèles plus sophistiqués ont été développés afin de prendre en compte la déformation des organes sous la sollicitation d’instruments chirurgicaux.
Le modèle « masse-ressort »
Description du modèle « masse-ressort »
Une des approches les plus répandues est le modèle « masse-ressort » de part sa relative facilité de développement et sa rapidité de calcul, notion importante si l’on veut prétendre à une simulation avec retour de force. Elle consiste à décomposer la matière en un ensemble de particules interagissant entre elles (Figure 1). C’est un modèle discret, les particules sont représentées par des masses ponctuelles et les forces d’interactions par des modèles simples : ressort, amortisseur, patin afin de reproduire le comportement du matériau. Figure 1 : exemple de maillage masse-ressort Un ressort de raideur E auquel on applique une contrainte σ subira une déformation ε=σ/E. Cette loi est linéaire et réversible, le ressort modélise un comportement élastique. fi mi ek Etat de l’art : Méthodes numériques appliquées à la simulation d’opérations chirurgicales des tissus mous 13 Un amortisseur représente un comportement visqueux dépendant de la vitesse de déformation : n σ =ηε& où η est la viscosité,ε& la vitesse de déformation et n un coefficient de sensibilité à la vitesse de déformation. Un patin glisse à partir d’un certain état de contrainte σ0 ce qui schématise un comportement rigide plastique. La combinaison de ces trois modèles permet la modélisation de comportements complexes, comme par exemple le modèle de Kelvin-Voigt qui modélise un comportement viscoélastique (Figure 2). Figure 2 : Modèle de Kelvin-Voigt La méthode consiste à appliquer la deuxième loi de Newton sur chaque particule, i, en prenant en compte les forces ek dues à ses interactions avec les particules voisines k, et les forces fi dues à ses interactions avec le milieu extérieur (Figure 1). Le système vérifie la forme suivante : i k mi i f e γ r r r + = (1) avec γ l’accélération et m la masse .
Identification des paramètres rhéologiques
La grande difficulté pour les modèles discrets est la détermination des paramètres des différents modèles analogiques par rapport au comportement continu du matériau. Nürnberger et al. [NÜR 01] ont développé une approche qui se base sur le principe des méthodes inverses en utilisant la méthode du gradient. Les paramètres à identifier sont la masse en utilisant la loi de Newton, la raideur du ressort k et la viscosité η de la loi. La force totale appliquée au nœud i, s’écrit : i l d F = kf −ηf r (2) avec i j i j l i j ij P P P P f =∑( P P − l ) 0 (3) et d i j f v v r r = − (4) Pi et vi étant respectivement la position et la vitesse du nœud i, l 0 est la longueur initiale du ressort. La méthode consiste à décomposer le problème en s’attachant d’une part à la répartition des masses puis à l’identification des paramètres. Le nombre de particules ainsi que leur position sont fixés par avance. Leur masse est déterminée numériquement en se basant sur les propriétés d’inertie. La répartition se fait de manière locale (par élément). L’identification des paramètres physiques (élasticité, viscosité) consiste à déterminer les valeurs pour lesquelles le comportement dynamique du modèle coïncide avec le comportement réel de l’objet. Pour cela, on cherche à minimiser la fonction coût Φ (erreur totale) mesurée à partir des erreurs Φk au nœud k : Φ = ∑ ∑Φ ] 2 1 [ 2 k k (5) Φk = pk − ok avec pk : position réelle et ok : position calculée. Or, d’après l’équation (3), les paramètres identifiés sont dépendants du maillage. Ce qui veut dire que l’identification se fait pour un maillage donné. Elle est à refaire pour tout changement de maillage. Dans certains cas, les masses sont prédéfinies ce qui rend l’identification des autres paramètres plus facile, et plus précise. En première approximation, les paramètres sont déterminés en utilisant les données de déformation de surface de tissus post-mortem, mais ces déformations sont différentes de celles des tissus vivants. Joukhadar et al. [JOU 97] ont également proposé une méthode permettant l’identification des paramètres, m (masse), k (raideur du ressort) et η (viscosité) d’une loi rhéologique viscoélastique. L’identification se fait en deux temps : identification de la masse puis identification des paramètres k et η par algorithme génétique basé sur l’évolution d’une espèce vivante (Figure 3). Figure 3 : Schéma d’un algorithme génétique L’algorithme se décompose en trois actions : ¾ « sélection » (choix du meilleur génome au détriment des autres). ¾ « mutation » (modification au hasard de la valeur d’un ou plusieurs gènes du génome). ¾ « croisement » (croisement de deux individus pour en générer un nouveau). Le manque d’aspect physique dans cette démarche oblige à imposer un domaine de validité des paramètres (un module d’Young ne peut pas être négatif par exemple). Etat de l’art : Méthodes numériques appliquées à la simulation d’opérations chirurgicales des tissus mous 15 Ces méthodes ont l’avantage d’être applicables aux matériaux hétérogènes (ce qui est le cas des matériaux vivants).
Méthodes numériques appliquées aux « masse-ressort »
L’avantage des masse-ressort est la rapidité de calcul, qui permet ainsi un couplage avec un module à retour d’effort. L’un des premiers modèles temps réel fut développé par Reznik et Laugier [REZ 96]. Il s’agit d’un maillage 2D déformable entourant un corps rigide. Les résultats sont qualitativement satisfaisants. Cependant, pour se rapprocher de la réalité et avoir des résultats exploitables, le maillage 3D est essentiel. Mais, pour garder un temps de calcul raisonnable, il est parfois utile d’utiliser des méthodes numériques comme l’adaptation de maillage.
Adaptation de maillage
Pour augmenter la précision des résultats tout en gardant le temps réel, Hutchinson et al. [HUT 96] proposent une méthode qui consiste à raffiner le maillage uniquement dans les zones de grandes déformations, tout en faisant attention à ne pas changer les propriétés mécaniques (l’inertie doit rester la même). Cette approche a été validée sur un exemple de remaillage surfacique. Ils arrivent à obtenir des gains de temps de 94% en adaptant le maillage quand et où cela est nécessaire sur un réseau de quelques milliers de masses.
Modélisation de la peau d’un organe
Pour augmenter le réalisme de la simulation de la déformation du rein, Boux de Casson et al. [BOU 99] ont mis au point une technique qui permet de modéliser le caractère hétérogène de ce matériau. En effet, certains organes comme le rein par exemple, présentent la particularité d’être des matériaux hétérogènes recouverts d’une fine peau qui sert de protection (capsule de Glisson dans le cas du foie). Boux de Casson et al. [BOU 99] ont pris en compte la particularité de chacun des deux matériaux lors de leur simulation. Ils utilisent alors deux maillages différents (Figure 4) : un maillage volumique 3D attaché par des ressorts à un maillage surfacique modélisant la capsule de Glisson. Figure 4 : Maillage volumique et surfacique d’un foie [BOU 99] Le comportement est considéré comme viscoélastique avec des prédominances élastiques dans le cas de la capsule de Glisson et visqueuses pour l’intérieur. Chapitre 1 16 Chaque entité a été modélisée en conséquence par un type de ressort différent, en fonction de la force F, la raideur du ressort k, λ et µ les coefficients de Lamé, paramètres de la loi de comportement. ¾ Pour l’intérieur de l’organe (Figure 5.a), ils utilisent des ressorts linéaires vérifiant l’équation: a F ( d d)k µ& = −λ∆ − (6) où ∆d est la variation relative de distance entre deux masses, d & est la vitesse relative. ¾ Pour la capsule de Glisson (Figure 5.b), des ressorts permettant un mouvement angulaire servent à maintenir les propriétés de courbure de la surface. Ils sont modélisés par l’équation : b F ( λ θ µθ )k & = − ∆ − (7) où ∆θ est la variation relative de l’angle entre 3 masses considérées et θ & la vitesse angulaire relative.
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