Développement d’outils miniaturisés pour l’analyse de traces dans les matrices biologiques
Les outils conventionnels et miniaturisés pour l’analyse de traces dans des milieux biologiques
L’analyse de traces dans des milieux complexes tels que les matrices biologiques représente un vrai défi analytique de par le grand nombre de composés interférents qui s’y retrouvent à des concentrations bien supérieures à celles des composés recherchés. Ce chapitre sera consacré à la présentation des outils analytiques existants pour relever ce défi. La première partie de ce chapitre est consacrée à la présentation des composés choisis comme modèles au cours de ce travail, c’est-à-dire la cocaïne et ses métabolites. Dans cette partie seront exposés le métabolisme de la cocaïne, ses propriétés ainsi que celles de ses métabolites et les matrices biologiques analysées. Dans une seconde partie, les méthodes conventionnelles d’analyse quantitative de traces de la cocaïne et ses métabolites dans des matrices biologiques seront présentées. Nous verrons que la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse est devenu un outil incontournable dans ce domaine mais qu’il présente des limitations à cause de la complexité des échantillons analysés. Pour cette raison, des outils de traitement de l’échantillon seront aussi présentés puisqu’ils sont souvent nécessaires avant l’analyse. Finalement, dans la troisième partie de ce chapitre, seront abordés les outils miniaturisés pour l’analyse de traces dans des milieux complexes, notamment pour le traitement de l’échantillon mais aussi pour la séparation chromatographique. En effet, la miniaturisation des systèmes analytiques est actuellement en développement car elle apporte plusieurs avantages pour l’analyse par rapport aux systèmes conventionnels.
Présentation des molécules d’intérêt
L’analyse de traces (µg.L-1) ou d’ultratraces (ng.L-1) dans des matrices biologiques constitue un vrai défi analytique. La difficulté réside dans la complexité des matrices étudiées ainsi qu’au niveau des très faibles concentrations de certains composés recherchés dans ces milieux. Pour ce travail, les molécules choisies comme molécules modèles pour le développement de nouveaux outils analytiques dans des milieux biologiques sont la cocaïne et ses métabolites.
La cocaïne : origine, utilisation et toxicité
La cocaïne (Figure I- 1(A)) est un alcaloïde contenu principalement dans la plante Erythroxylum coca qui pousse en abondance du côté Est de la cordillère des Andes au Pérou et en Bolivie. Les anciennes civilisations se servaient de cette plante lors de cérémonies religieuses. En effet, les feuilles de coca servaient comme anesthésiant local lors de trépanations rituelles. Après la conquête espagnole de l’Amérique du Sud, les mineurs locaux utilisaient les feuilles de coca comme un stimulant leur permettant d’accroître leurs performances physiques et de diminuer leurs besoins de se nourrir et de se reposer [1]. D’ailleurs, les Indiens des Andes utilisent les feuilles de coca (Figure I- 1(B)) depuis des centaines d’années pour lutter contre la fatigue et les troubles liés à l’altitude. Figure I- 1 : La cocaïne : structure chimique (A), feuilles de coca (B), cristaux de clorhydrate de cocaïne (C), « cailloux » de cocaïne base ou « crack » (D) (adaptée de [2]). Ce n’est qu’à la deuxième moitié du XIXème siècle que l’utilisation de la cocaïne va changer. En effet c’est à ce moment-là, en 1855, que le chimiste allemand Friedrich Gaedcke isole la cocaïne [3], puis que l’autrichien Albert Niemann, en 1861, perfectionne sa purification et note ses effets anesthésiants [4]. À cette période, l’extrait des feuilles de coca a trouvé divers usages : anesthésiant local, traitement contre la dépression, contre l’addiction à la morphine ou agent dopant. La cocaïne est devenue un ingrédient populaire dans des produits tels que le vin, des pastilles et du thé, commercialisés notamment par Mariani. Aux États-Unis d’Amérique (USA), en réponse aux lois de prohibition sur l’alcool, John Pemberton a même développé une formule de Coca-Cola qui contenait de la cocaïne. Cette boisson est finalement retirée du marché en 1903 et ce n’est qu’en 1914 qu’apparaît une réglementation pour la distribution, la vente et l’utilisation de la cocaïne aux USA. Cette loi nommée « Harrison Act », accorde le droit aux pharmaciens et aux physiciens de distribuer de la cocaïne [5]. Dès lors, l’usage illicite de la cocaïne s’est renforcé en particulier pendant les années 70, et de nos jours, la cocaïne est l’une des drogues les plus utilisées dans le monde. La cocaïne se présente sous deux formes différentes [1]: – Le chlorhydrate de cocaïne. Il s’agit d’une poudre blanche cristalline (Figure I- 1(C)) obtenue après extraction des feuilles de coca puis précipitation par de l’acide chlorhydrique. Sous cette forme, la cocaïne peut être insufflée (« sniffée ») ou injectée par voie intraveineuse après dissolution dans de l’eau. – La cocaïne sous forme basique. Elle est généralement obtenue par précipitation à chaud du chlorhydrate de cocaïne par une base, souvent par du bicarbonate de sodium, puis par extraction avec des solvants organiques. La base se présente sous forme de « cailloux » (Figure I- 1(D)) après évaporation et on l’appelle communément « crack ». Le crack est consommé sous forme fumée. La cocaïne présente une toxicité pour le système nerveux central. En effet, elle stimule la libération de neurotransmetteurs, comme la dopamine et la sérotonine dans la fente synaptique. Ces neurotransmetteurs vont générer une réponse physiologique lors de l’activation des neurones postsynaptiques. Cette réponse est régulée normalement par la réabsorption des neurotransmetteurs par les neurones présynaptiques. Cependant, la cocaïne bloque la recapture de dopamine et de sérotonine, ce qui empêche cette régulation et se traduit par un effet stimulant [4]. L’excès de sérotonine pourrait être lié à l’addiction à la cocaïne et à son effet de récompense. Par contre, c’est l’excès de dopamine qui semble être à l’origine des symptômes du système nerveux central tels que l’euphorie, une assurance accrue, la vivacité, l’agressivité, la désorientation, l’insomnie et les hallucinations. La durée et l’intensité de ces effets peuvent varier en fonction de la voie d’administration. La cocaïne présente aussi une toxicité pour le système cardiovasculaire qui est liée à ses propriétés de vasoconstricteur et de bloqueur des canaux de sodium. Elle provoque donc des effets à court terme, tels que l’augmentation du rythme cardiaque, de la température et de la fréquence respiratoire, et à long terme, des arythmies ventriculaires, de l’hypertension, des infarctus et d’autres complications cardiovasculaires. La cocaïne commercialisée illicitement présente une pureté moyenne de 40 %, elle contient donc un certain nombre de contaminants qui peuvent aggraver son effet toxique [1]. Parmi ces contaminants, on trouve des produits dérivés de sa fabrication, des adultérants, des diluants, d’autres alcaloïdes naturels et des produits issus de la dégradation chimique de la cocaïne lors des traitements de purification de cet alcaloïde [5]. Parmi les diluants utilisés on trouve du sucre, du talc, et de l’amidon de maïs. Les adultérants sont ajoutés à la cocaïne pour promouvoir la puissance de son effet. Parmi ces adultérants on trouve souvent des anesthésiants locaux tels que la benzocaïne, la lidocaïne ou la procaïne, le lévamisol, la phénacétine ou des toxiques tels que la strychnine [1]. Finalement, l’abus d’alcool en parallèle à la consommation de cocaïne génère du cocaéthylène (COCAE) (les voies métaboliques étant discutées dans la partie suivante) qui a les mêmes effets que la cocaïne sur la pression du sang, le rythme cardiaque et l’euphorie, mais son effet est plus long et s’ajoute aux effets de l’alcool. Par conséquent, le taux de mortalité des individus consommant simultanément les deux drogues est plus élevé.
Métabolisme et pharmacocinétique de la cocaïne dans le corps humain
Dans le corps humain, la cocaïne est rapidement métabolisée par des voies enzymatiques et non enzymatiques (Figure I- 2). Sa durée de demi-vie varie entre 0,7 et 1,5 heures et la quasitotalité de la dose est éliminée après seulement quelques heures [1]. Les doses habituelles de cocaïne varient entre 20 et 100 mg et sa présence en quantité détectable dans le sang est seulement de 4 à 6 heures [6]. Entre 1 % et 9 % de la cocaïne est éliminée dans les urines sous sa forme originale, milieu dans lequel elle peut être détectée entre 24 et 36 heures après la prise. La pharmacocinétique de la cocaïne dépend de divers facteurs comme sa forme chimique, le mode de consommation, la génétique et la consommation simultanée d’alcool. On distingue deux voies métaboliques principales que sont l’hydrolyse, ayant lieu dans le sang et les tissus, et l’oxydation qui se produit principalement au niveau du foie. Les principaux métabolites de la cocaïne sont la BZE et EME, obtenus par hydrolyse. Figure I- 2 : Schéma des principales routes métaboliques de la cocaïne dans le corps humain (adapté de [5]). La formation de la BZE résulte du clivage de la liaison du méthyl-ester de la cocaïne par hydrolyse chimique en milieu basique, ou par hydrolyse enzymatique par des carboxyl- Chapitre I : Les outils conventionnels et miniaturisés pour l’analyse de traces dans des milieux biologiques 15 estérases hépatiques [7]. Ce métabolite n’a pas d’effets sur le système nerveux central mais il a des propriétés de vasoconstricteur. La BZE est le métabolite principal détecté dans les urines et dans le sang et pour lequel les durées de détection sont de un à deux jours pour l’urine, et de 48 heures pour le sang [6]. Sa durée de demi-vie est d’environ 5 heures [8]. Elle est excrétée dans les urines et représente entre 35 % et 54 % de la dose administrée [9]. L’autre métabolite principal de la cocaïne, l’EME, se forme lors de l’hydrolyse enzymatique du groupe benzoyle ester de la cocaïne par des estérases hépatiques et des cholinestérases plasmatiques [7]. Ce métabolite est inactif comme la BZE et sa durée de demi-vie est d’environ 8 heures [8]. Il est excrété dans les urines à un pourcentage entre 32 % et 49 % de la dose administrée [9]. Ces deux métabolites peuvent produire de l’ecgonine (ECG) par hydrolyse qui se trouve dans les urines avec un pourcentage entre 1 % et 10 % de la dose initiale. Quand la cocaïne est consommée en parallèle avec de l’alcool, du cocaétyhylène est produit par trans-estérification enzymatique catalysée par une carboxy-estérase hépatique [3]. Cette enzyme semble être la même que celle qui catalyse la formation de BZE [7]. Le COCAE a le même effet toxique que la cocaïne mais sa durée de demi-vie est plus longue, environ 150 minutes, ce qui prolonge son effet stimulant [1]. Il se trouve dans l’urine à un niveau de 0,7 % de la dose administrée [10]. Lors de la consommation de la cocaïne sous forme fumée, de l’anhydroecgonine méthylester (AEME) est produite par pyrolyse qui à son tour peut se métaboliser en ecgonidine. L’AEME retrouvée dans les liquides biologiques sert de marqueur de la consommation de cocaïne sous forme fumée et sa proportion dépend des conditions dans lesquelles la cocaïne est fumée [4]. La cocaïne peut subir une N-déméthylation, il s’agit donc d’une oxydation dont le produit est la norcocaine (NORCOC). Ce métabolite a des effets similaires à ceux de la cocaïne et il est produit dans des quantités inférieures à 5 % de la dose administrée. La BZE, l’EME et le COCAE peuvent aussi subir une oxydation pour former de la norbenzoylecgonine (NORBENZ), du norecgonine méthylester et du norcocaéthylène (NORCOCAE) respectivement [1]. Enfin, des réactions d’arylhydroxylation enzymatique peuvent avoir lieu sur les cycles aromatiques de la BZE et de la cocaïne [11]. Les métabolites ainsi obtenus sont minoritaires, ceux qui ont déjà été identifiés sont la p- et m-hydroxycocaine, et la p- et mhydroxybenzoylecgonine (pHBZE et mHBZE).
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