Acteurs essentiels de l‟organisation cellulaire et de la régulation du métabolisme, les protéines sont à la fois des cibles thérapeutiques et des médicaments potentiels. L’étude de ces protéines à grande échelle, appelée analyse protéomique, a été rendue possible ces dernières années par la mise au point d’approches robustes basées sur des développements importants en spectrométrie de masse. Cependant, un simple inventaire de ces protéines ne suffit pas à comprendre les phénomènes biologiques complexes qui régissent l’activité cellulaire. Ainsi, appréhender la manière dont sont organisées ces protéines en complexes multiprotéiques est un des défis actuels de la protéomique. Le nombre d’interactions entre protéines au sein d‟une cellule étant très important, l’investigation de ces multiples réseaux protéiques nécessite de nouveaux développements à la fois en spectrométrie de masse mais aussi en bioinformatique pour fournir des méthodologies adaptées ainsi que des outils puissants pour les analyser.
Les interactions entre protéines sont gouvernées par leur agencement et repliement dans l‟espace faisant de la structure tridimensionnelle de ces complexes un élément-clé dans l‟étude et la compréhension de la vie de la cellule. Les méthodes physico-chimiques les plus couramment utilisées pour ces études structurales sont la cristallographie et la spectroscopie RMN. Bien que ces méthodes d‟analyse soient les piliers de la biologie structurale actuelle, elles présentent toutefois des limitations majeures : la cristallographie des protéines, également appelée diffraction des rayons X, nécessite de pouvoir cristalliser les protéines et la spectroscopie RMN est limitée à des systèmes de taille modeste. Par ailleurs, les deux techniques requièrent des quantités relativement importantes d‟échantillon et ne donnent qu’une image statique, qui est loin de la réalité, de la structure des protéines. Il est donc devenu indispensable de développer des méthodes alternatives permettant de s’intéresser à la dynamique de ces systèmes biologiques, tout en travaillant avec des quantités les plus faibles possibles d‟échantillon.
Dans ce contexte, la spectrométrie de masse est devenue, ces dernières années, un outil intéressant pour la biologie structurale. La spectrométrie de masse présente l‟avantage de permettre des études sur des protéines non cristallisables, d‟être peu consommatrice en matériel et de permettre des analyses rapides sur des systèmes complexes tant par la diversité que par la taille. Il existe aujourd‟hui trois grandes approches basées sur la spectrométrie de masse pour étudier l‟organisation structurale d‟un complexe protéique. La première consiste à utiliser des conditions d‟ionisation adaptées permettant de maintenir en phase gazeuse des interactions non covalentes au sein de complexes protéiques. La deuxième approche repose sur le pontage covalent des protéines en association, suivi d‟une digestion enzymatique et analyse par spectrométrie de masse. Les agents pontants permettent d’obtenir des informations de topologie du complexe initial en créant des liaisons covalentes entre des acides aminés proches dans la structure tertiaire. Une dernière technique consiste à effectuer un marquage de la surface accessible du complexe qui peut être soit permanent, par l‟utilisation de réactifs chimiques particuliers ou par l‟exposition aux radicaux hydroxyles, soit labile. Dans ce dernier cas, les échanges isotopiques hydrogène/deutérium sont généralement utilisés. La vitesse d’échange des hydrogènes d’amide d’un squelette polypeptidique dépend de l‟accessibilité au solvant mais également de la stabilité de la structure locale. Ainsi, les hydrogènes d‟amide situés dans les régions flexibles ou non structurées de la protéine telles que les boucles et les coudes ou dans les régions accessibles au solvant ont des vitesses d‟échange rapides, identiques à celles observées dans le cas d‟un peptide non structuré. Au contraire, ceux qui sont impliqués dans des structures secondaires stables comme les hélices α et les feuillets β ainsi que ceux enfouis dans le cœur hydrophobe des protéines s‟échangent plus lentement car ils sont protégés. La mesure des vitesses d’échange permet donc de sonder localement la structure d’une protéine ou d’un complexe. L‟avantage majeur de cette approche est qu‟elle ne modifie pas la structure tridimensionnelle du complexe, ce qui n‟est pas toujours le cas avec des marquages covalents. De plus, elle permet de s’intéresser à des complexes de très haut poids moléculaire. En revanche, le fait que le marquage soit labile impose des conditions expérimentales strictes à respecter pour éviter le démarquage et davantage de contraintes au niveau de la rapidité de l‟analyse. Malgré ces limitations, l‟association des échanges isotopiques hydrogène/deutérium et de la spectrométrie de masse (HDX/MS) est devenue une méthode largement employée pour l‟étude structurale et dynamique des protéines et complexes protéiques.
L‟analyse par spectrométrie de masse des protéines marquées au deutérium est classiquement réalisée par une approche « bottom-up ». Cette dernière consiste à analyser des peptides obtenus par digestion enzymatique de la protéine d’intérêt. Chaque hydrogène remplacé par un deutérium conduit à un incrément en masse de 1 Da facilement détectable par spectrométrie de masse. Pour chaque peptide, une cinétique d‟échange hydrogène/deutérium peut donc être obtenue. Si cette approche a montré tout son intérêt, même pour des systèmes très grands, l‟inconvénient majeur en est la résolution qui est limitée par la taille des peptides générés (en moyenne 5-10 acides aminés). Une alternative, qui s’est développée ces dernières années, est celle qui consiste à introduire la protéine intacte en phase gazeuse (approche « topdown ») et à la fragmenter par capture ou transfert d’un électron. En effet, contrairement aux approches de fragmentation classiques par CID (« Collision Induced Dissociation ») qui conduisent à une redistribution aléatoire des deutériums dans la séquence, ces approches ECD ou ETD permettent de localiser les deutériums dans la séquence avec une résolution qui peut être à l’acide aminé.
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