DETERMINATION DE LA DUREE DE LA
GROSSESSE MONOFOETALE
DATE PREVUE DE L’ACCOUCHEMENT
Depuis le milieu du XIXème siècle, plusieurs auteurs ont tenté de définir la durée de la gestation normale chez la femme, en particulier en utilisant la date connue du rapport sexuel fécondant ou le nadir de la courbe de température pour estimer la date d’ovulation. Ainsi, en 1850, Reid et al. avaient estimé une durée de gestation variant entre 237 à 275 jours avec un maximum de 280 jours et, en 1952, Stewart et al. avaient défini un intervalle allant de 250 à 285 jours avec un niveau de preuve 4 (NP4) [4]. Mais, la faible taille des échantillons étudiés dans ces études limite la portée de leurs résultats. À partir du registre suédois des naissances de 1976 à 1980, Bergsjø et al. ont estimé la durée de la grossesse chez la femme. Les données de ce registre sont exhaustives puisqu’elles couvrent toutes les grossesses du pays durant la période d’étude. De plus, elles semblent valides pour étudier la durée de la grossesse puisque 85 % des femmes incluses dans ce registre ont eu une première consultation avant 14 SA, le plus souvent à huit ou neuf semaines d’aménorrhée. Seules les grossesses avec une date des dernières règles (DDR) connue étaient retenues, soit 427 581 grossesses avec un fœtus unique [5]. Les césariennes pouvant induire un biais de mesure étaient étudiées séparément. Les auteurs n’avaient pas exclu les déclenchements en faisant l’hypothèse que la majorité l’ont été pour terme dépassé et que donc les inclure ne modifierait pas la DPA. Trois types de statistiques étaient calculés : la moyenne, la médiane et le mode. Le mode d’une série de nombres est, par définition, le nombre qui revient le plus fréquemment dans cette série, il s’agit donc d’un des paramètres estimant le mieux la date à laquelle la femme a le plus de chance d’accoucher. Mais la médiane, nombre qui divise la population en deux parties de taille identique, peut également être considérée comme estimant de façon adaptée la DPA. Dans cette étude, la durée de la gestation chez la femme estimée à partir de la DDR était de 282 jours pour la médiane, 281 jours pour la moyenne et 283 jours pour le mode, soit 40+2 SA, 40+1 SA et 40+3 SA (NP2) (Tableau I). Le registre norvégien [5] portant sur 1 682 441 naissances d’enfants uniques sans malformation, nés entre 1967 et 2001, permet également de fournir des informations valides sur la durée de la grossesse. La figure 1, issue des données de ce registre, montre la distribution lissée des naissances entre 37+0 et 44+6 SA, par âge gestationnel. Environ 30 % des accouchements ont eu lieu entre 40+0 SA et 40+6 SA et 20 % dans chacune des semaines qui précèdent ou suivent cet intervalle.
Cependant, la date des dernières règles peut être source d’erreur pour estimer la date de début de grossesse et, à l’heure de l’obstétrique moderne, l’échographie semble être un outil plus fiable. Smith et al. ont analysé les données de 1514 femmes enceintes à bas risque pour lesquelles une échographie avait été réalisée avant 13 SA et pour lesquelles la longueur cranio-caudale selon les courbes de Robinson et Flemming (1975) était concordante avec la date des dernières règles à 1 jour près. La médiane des durées de grossesse, après exclusion des césariennes programmées et des déclenchements, était de 283 jours après la DDR, soit 40+3 SA (NP4) [7]. Cette différence d’une journée concernant la médiane comparativement à l’étude de Bergsjø et al. peut s’expliquer par le fait que dans l’étude suédoise les déclenchements n’avaient pas été exclus. Par ailleurs, il semble exister des variations de durée de grossesse en fonction des caractéristiques maternelles et fœtales. Ces résultats laissent penser qu’il existe des facteurs génétiques influençant la durée de la gestation chez la femme. Plusieurs facteurs de risque maternels de dépassement de terme ont également été retrouvés dans la littérature: la nulliparité est le facteur le plus souvent retrouvé ; la durée de la grossesse serait plus longue de deux à cinq jours chez les nullipares (NP4). Ainsi, le risque de dépassement de terme chez les nullipares serait plus élevé que chez les multipares (OR ajusté = 1,46 [1,42- 1,51] à partir de 41+0 SA et OR ajusté = 1,82 [1,69-1,97] à partir de 42+0 SA) (NP4)[8]; L’âge maternel pourrait également augmenter la durée de la gestation, avec une durée allongée de deux jours après 35 ans d’après les résultats de l’étude suédoise de Bergsjø et al. (NP2) [5]. quelques auteurs se sont intéressés à l’influence de l’origine ethnique sur la durée de la gestation (NP4). Papiernik et al., d’après une revue de la littérature, ont suggéré que la moyenne de la durée de la grossesse chez les femmes noires était plus courte de trois à sept jours comparativement aux femmes caucasiennes, mais les données des études analysées ne prenaient pas en compte les facteurs de confusion potentiels, en particulier les pathologies maternelles et obstétricales associées, causes d’accouchements plus précoces soit spontanés, soit induits médicalement, et les facteurs socio-économiques [9]. la taille de la mère pourrait également influer sur la durée de la grossesse avec plus de risque de grossesse prolongée chez les femmes de grande taille (NP4) [10] ; 8 plusieurs auteurs ont également montré une association entre obésité et dépassement de terme (NP4). Olesen et al. ont observé un risque augmenté d’accoucher à ou après 42+0 SA (OR = 1,52 [1,28-1,82]) en cas d’IMC supérieur à 35 kg/m2 avant la grossesse [8]; Au total, si l’on considère les études précédemment citées, la DPA physiologique peut être considérée comme la date à laquelle la patiente a le plus de chance d’accoucher, c’est-à-dire 40+2 SA ou 40+3 SA, mais avec des variations selon les caractéristiques maternelles. II. DATE DE DEBUT DE LA GROSSESSE La détermination de la date de début de grossesse (DDG) est essentielle pour un suivi adapté de la grossesse. Cette date joue un rôle fondamental pour l’appréciation de la croissance fœtale, l’estimation du risque d’aneuploïdie ou encore la prise en charge du terme. La DDG reste une inconnue, même lorsque la date du rapport « fécondant » est connue puisque la fécondation peut être décalée de quelques jours [11]. En dehors des procréations médicalement assistées, il demeure donc difficile d’analyser les performances d’un indicateur pour estimer l’âge gestationnel (AG). Globalement, il existe deux grandes approches pour évaluer les performances d’un indicateur de l’âge gestationnel : se référer à une DDG connue (c’est l’exemple des études faites sur des grossesses obtenues par techniques d’assistance médicale à la procréation [AMP]), et analyser l’erreur moyenne dans la prédiction de la DDG (dite « erreur systématique » moyenne) et la variabilité dans la prédiction de cette date (dite « erreur aléatoire ») des paramètres évalués [12]. C’est cette erreur aléatoire, surtout, qui permettra de comparer la précision de différents paramètres. Elle indique l’intervalle de prédiction (par exemple à 95 %) de la DDG estimée : par exemple DDG = 10 mai plus ou moins cinq jours. Cela indique que 95 % des grossesses avec une telle mesure à la date d’examen auraient effectivement débuté entre le 5 et le 15 mai ; se référer à l’issue de la grossesse : si le moyen de dater est fiable, l’âge gestationnel à la naissance calculé selon ce moyen devrait avoir une distribution centrée autour de la durée théorique d’une grossesse) et le nombre de naissances considérées comme pré-terme ou au contraire post-terme devrait être limité. Au contraire, une mesure peu fiable donnera une distribution très large, avec de nombreuses naissances considérées, à tort, comme pré-terme ou post-terme. Dans les études, c’est sur ces erreurs systématiques, aléatoires de pré-terme ou post-terme que sont généralement comparées les méthodes de datation. 9 D’autres approches de datation ont été récemment publiées, en particulier, une approche dite « inverse ». Dans les approches classiques, la DDG est déterminée avec une certaine imprécision, puis on en déduit la date de terme théorique en y ajoutant une durée « arbitrairement » choisie comme durée normale de la grossesse (39 semaines, 275, 280 ou 282 jours)
Détermination de la date de début de grossesse basée sur l’information donnée par la femme ou sur la physiologie du cycle
Dans la pratique courante, une première estimation de l’âge gestationnel est souvent donnée par la date des dernières règles (DDR). Toutefois, une approche basée exclusivement sur cette variable est très approximative. Si l’âge gestationnel est sous-estimé (cas des métrorragies de début de grossesse prises à tort pour des menstruations), un accouchement à terme peut être considéré à tort comme prématuré, entraînant une prise en charge obstétricale inadaptée. Surtout, et ce cas est plus fréquent, si l’âge gestationnel est surestimé (cas fréquent des cycles longs, du fait d’une phase folliculaire de plus de 14 jours), des conduites inadaptées peuvent être décidées pour un dépassement de terme qui n’est en fait pas réel. En pratique, la datation basée sur la DDR conduit fréquemment à sousestimer la date du terme. L’estimation de l’âge gestationnel sur la DDR suppose : une parfaite connaissance de cette date par les femmes ; que l’ovulation ait bien lieu au 14ème jour du cycle. Il existe souvent une erreur sur la DDR du fait d’erreur de mémorisation, d’erreur en faveur de dates faciles à mémoriser (15, 20 du mois…) et enfin d’une variabilité importante des durées de cycle (ce qui sera source d’erreur aléatoire) [14]. De plus, la durée de la phase folliculaire est variable, le plus souvent entre sept et 21 jours. Ainsi, une étude ancienne a montré que 68 % des femmes considérées comme étant à plus de 42 semaines d’aménorrhée (SA) sur la base de la date des dernières règles étaient en fait à un terme moins avancé lorsque celuici était recalculé sur la base de la date d’ovulation estimée à partir de la courbe de température [15]. Une détermination basée sur la date d’ovulation est toutefois également imprécise, car même lorsque les cycles sont réguliers, la période de fertilité est très variable d’une femme à l’autre. Cela est illustré par la figure 2. 10 Figure 2 : Probabilité de conception par rapport au jour de l’ovulation
Détermination échographique de la date de début de grossesse
La date de début de la grossesse déterminée par échographie semble, d’après la littérature, la méthode la plus fiable pour déterminer le début de grossesse. Toutefois, cela nécessite d’utiliser des courbes dédiées à la datation et méthodologiquement fiables. Il existe des courbes réalisées spécifiquement dans un but de datation et leur utilisation est théoriquement préférable à des courbes réalisées pour surveiller la biométrie. Il s’agit en effet de prédire le terme pour une biométrie donnée et non la biométrie pour un terme donné. Dans ce dernier cas, la moyenne prédite et son intervalle de confiance diffèrent légèrement [17]. Malgré cette imprécision méthodologique, les courbes « de croissance » peuvent être utilisées en pratique (avis d’experts). Une datation basée sur la date des dernières règles tend à sous-estimer la date du terme, et donc à considérer plus souvent à tort des grossesses comme post-terme, alors qu’il s’agit de grossesses « mal datées ». Cela pourrait expliquer la morbidité et la mortalité associées à un dépassement de terme plus élevées dans une population où l’âge gestationnel est basé sur l’échographie par rapport à une population où l’âge gestationnel est évalué par la DDR (NP4) [18]. Plusieurs études ont évalué la biométrie du premier trimestre pour déterminer l’âge gestationnel. À cet âge de grossesse, il semble que l’échographie soit remarquablement performante, avec des intervalles de prédiction à 95 % d’environ plus ou moins cinq jours pour la longueur cranio-caudale (LCC) (figures 3), ce qui traduit une variabilité aléatoire remarquablement faible [19]. Au premier trimestre, la précision est meilleure qu’au deuxième trimestre et la formule de Robinson est la plus simple et la plus largement utilisée. Elle permet 11 en routine clinique d’estimer simplement l’âge gestationnel en jours à partir de la longueur cranio-caudale par l’équation suivante : LCC=(AG-23,73)2/(8,052)2 [19]. Le taux de grossesses estimées à plus de 41+0 SA et plus de 42+0 SA était plus faible lorsque l’échographie était utilisée plutôt que la date des dernières règles (8,2 % versus 22,1 % pour 41 SA; p < 0,001, RR 0,37 ; 95 % IC [0,33-0,4] et 1,6 % versus 12,7 % pour 42+0 SA; p < 0,001, RR 0,13 ; 95 % IC [0,1-0,2]). Figure 3 : Schéma de réalisation de la mesure de la longueur cranio-caudale et critères de qualité En pratique, même lorsque les dates des dernières règles sont fiables, il semble qu’une datation basée sur la longueur cranio-caudale au premier trimestre (LCC < 84 mm) soit plus précise et permette une prise en charge homogène de toutes les grossesses si cette pratique est uniformément répandue [20]. Il importe en revanche que cette mesure soit correctement réalisée afin de maintenir un intervalle de prédiction à 95 % de l’ordre de plus ou moins de cinq jours. Jusqu’à 60 mm de longueur cranio-caudale au moins, c’est cette mesure qui est la plus précise pour la datation. Lorsqu’une échographie est réalisée avant 11 SA, cet examen peut permettre d’optimiser la prise de rendez-vous pour l’échographie du premier trimestre. Pour des raisons d’homogénéisation des pratiques, il est en effet conseillé de baser la détermination de l’âge gestationnel sur l’échographie de 11- 14 SA. À l’échographie de 11-14 SA, une longueur cranio-caudale nettement différente de celle attendue d’après les données d’une échographie précoce doit : faire vérifier la qualité des mesures pratiquées ; s’interroger sur un trouble de la croissance à expression précoce.
INTRODUCTION |