Déterminants moléculaires de la morphologie
astrocytaire et implications physiopathologiques
Les Astrocytes
Bref historique
Les cellules gliales, ainsi nommées par Ludwig Karl Virchow en 1858, étaient décrites à l’origine comme du « tissu connectif » ou du « ciment » dans lequel les neurones étaient enchâssés. Plus tard, l’apparition de nouvelles techniques de marquage, à l’instar de la coloration au nitrate d’argent développée par Camillo Golgi, ont permis d’identifier plus précisément les cellules gliales. C’est d’ailleurs en 1893 que Michael von Lenhossek a proposé le nom « astrocyte » à ces cellules à forme étoilée identifiées par le marquage de Golgi (Lenhossek, 1895). Les cellules gliales se trouvent en aussi grands nombres que les neurones dans un cerveau humain, bien qu’une théorie largement reprise proposait qu’elles soient dix fois plus nombreuses que les neurones (Bartheld et al., 2016). Carl Ludwig Schleich proposa l’année d’après que les cellules gliales pourraient être des partenaires actifs des neurones, et introduisit ainsi l’idée d’ « interactions neurogliales ». Au début du 20ème siècle, le fameux neuroanatomiste Santiago Ramòn y Cajal émit même les hypothèses que les astrocytes interagissaient avec les vaisseaux sanguins au niveau de leurs terminaisons (maintenant nommées « pieds astrocytaires ») et que la glie radiaire se différenciait en astrocyte à la fin de la neurogenèse. De plus, à l’époque les différentes classes d’astrocytes aujourd’hui connues ont été définies. Il a fallu attendre la fin du siècle pour assister à une nouvelle vague de découvertes sur les cellules gliales et plus particulièrement les astrocytes. Grâce à des méthodes d’électrophysiologie, il était connu que les astrocytes n’étaient pas électriquement excitables, mais la culture cellulaire a permis de montrer qu’ils exprimaient des récepteurs aux neurotransmetteurs, et qu’ils réagissaient notamment à l’application de glutamate, de GABA, et d’autres acides aminés (Bowman & Kimelberg, 1984; Bowman, Kimelberg, Frangakis, Berwald-Netter, & Edwards, 1984; Kettenmann, Backus, & Schachner, 1984). Ainsi, l’idée émise était que ces cellules pouvaient réagir à des signaux chimiques et en transmettre à leur tour, les rendant ainsi acteurs secondaires de la neurotransmission. Une dizaine d’années plus tard, l’identification des modalités d’interaction des astrocytes avec les neurones a été initiée, via notamment la mise en évidence des augmentations transitoires de leur niveau de calcium intracellulaire qui seraient à l’origine de la libération de transmetteurs (Nedergaard, 1994; Parpura et al., 1994) (cf. partie 4 de ce chapitre). Ainsi, le champ de recherche sur l’implication des astrocytes, de leurs signaux et de leur influence sur la transmission neuronale s’est ouvert. A la synapse, les astrocytes sont considérés quelques années plus tard comme le troisième partenaire inévitable de la désormais nommée « synapse tripartite » (Araque, Parpura, Sanzgiri, & Haydon, 1999). Dans l’équipe du Dr. Nathalie Rouach et au cours de ma thèse, nous nous intéressons toujours plus en détail au rôle des astrocytes dans la neurotransmission.
Propriétés
Phylogénie
Les astrocytes apparaissent tôt au cours de l’évolution et se sont développés de manière assez frappante en taille, nombre et diversité. Chez l’homme, elles représentent les cellules non-neuronales les plus abondantes du cerveau et possèdent une taille et des fonctions complexes et remarquables, ce qui sous-tend à penser que leur évolution est concomitante avec la complexité grandissante des circuits neuronaux (Oberheim et al., 2009). En plus de leur taille, leur nombre est aussi augmenté au cours l’évolution, un ratio glie-sur-neurone est d’ailleurs calculé pour différentes espèces et représente la proportion relative d’astrocytes par rapport aux neurones. Plus ce ratio est élevé, plus le nombre d’ astrocytes par rapport au nombre de neurones est important. Ainsi, Caenorhabditis elegans possède un ratio de 0.18 (302 neurones pour 56 cellules gliales), le cortex du rat a un ratio de 0.4 et le cerveau humain un ratio de 1 (Azevedo et al., 2009; Bass, Hess, Pope, & Thalheimer, 1971; Oikonomou & Shaham, 2011). De plus, la comparaison de ce ratio dans différentes aires corticales des primates révèle une augmentation chez l’homme comparé à d’autres primates (C. C. Sherwood et al., 2006). Même s’il est faux d’extrapoler de ce ratio un lien direct entre les fonctions cognitives supérieures et les astrocytes, il est vrai que les astrocytes humains, de par leur complexité, sont des acteurs importants de ces fonctions. Ceci est démontré dans une étude où la transplantation d’astrocytes humains dans des cerveaux de souris a permis une amélioration des performance lors de tâches cognitives (X. Han et al., 2013). Figure 1 : Comparaison de la morphologie des astrocytes murins et humains. Marquage GFAP d’astrocytes corticaux chez la souris (gauche) et l’homme (droite). Barre de calibration :20 µm. Modifié à partir d’Oberheim et al., 2009.
Formation et développement
Les astrocytes, tout comme les neurones et les oligodendrocytes, proviennent du tissu neuroépithélial. Les cellules souches neurales de la zone sous-ventriculaire donnent Mouse Human 19 naissance à des neurones ou à d’autres cellules neurales, qui deviennent ensuite gliogéniques (Deneen et al., 2006). Au cours du développement, les glies radiaires pluripotentes se transforment en astrocytes, qui peuvent se diviser et proliférer. Pour devenir astrocyte, un des signaux d’astrogénèse connu et identifié est celui de la Janus Kinase-Signal transducteur et activateur de la transcription (JAK/STAT), activé par des cytokines telles que le ciliary neurotrophic factor (CNTF), le leukemia inhibitory factor (LIF) et la cardiotrophin-1 (CT-1), cette dernière étant sécrétée par les neurones nouvellement formés (Barnabé-Heider et al., 2005; F. He et al., 2005). L’activité de STAT3 est cruciale à l’astrogénèse (Figure 2), notamment par son interaction avec le complexe de co-activateurs p300/CBP qui initie l’expression des gènes GFAP et S100ß, deux marqueurs astrocytaires (Urayama et al., 2013). Ensuite, les astrocytes migrent dans le système nerveux central, à l’aide des glies radiaires qui projettent de longs prolongements à travers toutes les couches corticales (Figure 2). Ils prolifèrent ensuite lors des premières semaines postnatales (Bandeira, Lent, & Herculano-Houzel, 2009). Une division locale a ensuite lieu et génère la moitié des astrocytes matures du cortex (Ge, Miyawaki, Gage, Jan, & Jan, 2012). On estime donc que la prolifération des astrocytes se fait de manière symétrique (génération de progéniteurs astrocytaires par la glie radiaire dans la zone ventriculaire) et asymétrique (production de nouveaux astrocytes après la migration) (A. V. Molofsky & Deneen, 2015). Il semblerait que l’hétérogénéité des astrocytes soit prédéterminée au cours du développement. En effet, chez le poulet, trois sous-populations astrocytaires ont été identifiées, en fonction de leur position sur l’axe dorso-ventral, et d’un schéma unique d’expression de marqueurs comme la Reelin et Slit1 (Hochstim, Deneen, Lukaszewicz, Zhou, & Anderson, 2008). Ces astrocytes deviennent ensuite fonctionnels via des interactions avec leur environnement, notamment par l’augmentation de l’activité neuronale excitatrice. En effet, il a notamment été montré que l’activation des récepteurs métabotropiques au glutamate astrocytaires, les mGluR5s, régule l’activation et la maturation des transporteurs VGlut1 neuronaux, nécessaires à la transmission glutamatergique (Morel, Higashimori, Tolman, & Yang, 2014). Ces signaux environnementaux étant spécifiques, les astrocytes développent une hétérogénéité dans l’expression de leur répertoire moléculaire en fonction de leur localisation. Ainsi, les astrocytes de la moelle épinière auront une identité moléculaire distincte selon qu’ils sont ventraux ou dorsaux (A. V. Molofsky et al., 2014). De plus, il a été montré que la maturation des astrocytes s’effectue parallèlement à la synaptogénèse, notamment via des interactions protéiques (neuroligines astrocytaires et neurexines neuronales), indiquant une communication entre la synapse et l’astrocytes dès leur développement (Stogsdill et al., 2017). Ainsi, la formation et maturation des astrocytes dépendent de leur positionnement, leur environnement et leur communication avec les cellules environnantes, notamment les neurones.Figure 2 : Développement des astrocytes. A. Schéma des processus moléculaires et cellulaires impliqués dans l’astrogénèse. de Gallo & Deneen, 2014. B. Progression des cellules souches neurales durant le développement. Les cellules neuroépithéliales donnent naissance à des glies radiaires qui génèrent différents sous-types neuraux de différentes manières, notamment des astrocytes. Modifié à partir de Bayraktar, Fuentealba, Alvarez-Buylla, & Rowitch, 2015. B A
Propriétés morphologiques
Chez le rongeur, on distingue deux classes d’astrocytes à la morphologie caractéristique (Oberheim et al., 2012). D’une part, les astrocytes dits « protoplasmiques » sont les plus abondants, ils sont présents dans la matière grise et leur morphologie étoilée est très caractéristique. Ce sont ceux les plus connus et étudiés dans cette étude. D’autre part, les astrocytes dits « fibreux » sont présents dans la matière blanche et ont des arborisations moins développées que celle des astrocytes protoplasmiques, avec des prolongements moins longs en moyenne (Oberheim et al., 2012 ; Kimmelberg, 2010). Notons que chez l’homme, on distingue deux classes supplémentaires d’astrocytes, les astrocytes interlaminaires présents dans la couche I du cortex, et les astrocytes à projections variqueuses, présents dans les couches V-VI du cortex (Vasile, Dossi et Rouach, 2017 ; Oberheim, 2009). Pour étudier la morphologie astrocytaire, le marqueur GFAP a été largement utilisé mais l’est de moins en moins car il est maintenant convenu de manière assez consensuelle qu’il n’est pas le plus approprié, étant donné qu’il ne couvre que 15% du domaine de l’astrocyte (Bushong, Martone, Jones, & Ellisman, 2002). Les astrocytes protoplasmiques, ont une forme complexe et une arborescence développée, un diamètre d’environ 40-60µm et un volume d’environ 2-8.103 µm3 . Un astrocyte peut être associé à 300-600 dendrites, contacter 100 000 synapses chez la souris et 2 millions chez l’Homme (Bushong et al., 2002; Halassa, Fellin, Takano, Dong, & Haydon, 2007; Oberheim, Wang, Goldman, & Nedergaard, 2006; Ogata & Kosaka, 2002). L’astrogénèse étant parallèle à la synaptogénèse, la complexité morphologique astrocytaire se développe et s’acquière en fonction de l’activité neuronale et synaptique environnante à l’astrocyte (Stogsdill et al., 2017). Les astrocytes couvrent des domaines distincts, c’est-à-dire que leurs arborescences respectives ne se chevauchent pas (Figure 3) (Bushong et al., 2002). Les domaines astrocytaires varient de région en région, de par leur taille, le nombre et type de synapses qu’ils couvrent, et la distance entre les prolongements astrocytaires périphériques (PAP) et la synapse (Morel et al., 2014) (cf. partie 2.1 pour plus d’informations sur la couverture synaptique astrocytaire). La morphologie astrocytaire diffère d’une région à l’autre (Olude et al., 2015). En effet, les astrocytes du cervelet vont être plus longilignes et possèdent de plus longs prolongements que ceux du cortex. De plus, la morphologie astrocytaire est un élément très plastique et change en fonction de modifications dans l’environnement. Il a notamment été montré que les niveaux d’’expression de certains canaux ioniques étaient impliqués dans le gonflement des astrocytes (Lafrenaye & Simard, 2019). Il a aussi été montré que les concentrations en molécules de signalisation telles que le cAMP pouvaient induire une augmentation de la taille des prolongements astrocytaires (Ramakers & Moolenaar, 1998). Ou encore, nous savons que les concentrations en protéines du cytosquelette pouvaient induire une modification morphologiques astrocytaire, notamment dans le cas d’une blessure du système nerveux (cf. Introduction Chapitre I, partie 5) (Hol & Pekny, 2015).
. Canaux ioniques, récepteurs et transporteurs
-Canaux ioniques Les canaux ioniques présents à la membrane astrocytaire peuvent être perméables aux ions K+ , Na+ et Ca2+ (Alexej Verkhratsky & Steinhäuser, 2000). Le plus abondant des canaux ioniques astrocytaires est le canal potassique Kir4.1, particulièrement exprimé dans les PAPs et dans les pieds astrocytaires (Olsen, 2012). Notons que l’expression de ce canal augmente au cours du développement et s’accompagne d’une transition d’expression du soma vers les prolongements (Moroni, Inverardi, Regondi, Pennacchio, & Frassoni, 2015; Seifert et al., 2009). D’autres canaux potassiques sont aussi présents (voir table 1) mais à de moindres niveaux. Les canaux sodiques appartiennent à la famille des Nav (canaux sodiques dépendants du voltage), le plus abondant étant le Nav1.5 (Kressin, Kuprijanova, Jabs, Seifert, & Steinhäuser, 1995) mais les mécanismes précis de ces canaux dans les astrocytes sont encore méconnus. Les canaux calciques Cav (canaux calciques dépendants du voltage) ont été détectés dans les transcriptomes de rongeurs (Ye Zhang et al., 2014), mais leur présence in vivo est encore controversée, car non détectée (Carmignoto, Pasti, & Pozzan, 1998). D’autres canaux peuvent transporter du Ca2+ dans certaines conditions, comme le complexe Orai/STIM1, activé par des augmentations transitoires de Ca2+ intracellulaire (Kraft, 2015), ainsi que le canal « transient receptor potential » (TRP) impliqué dans la reconstitution du Ca2+ intracellulaire et dans la coordination de la signalisation au sein de l’astrocyte (Alexei Verkhratsky, Reyes, & Parpura, 2014). Notons que d’autres canaux sont exprimés dans les astrocytes, comme l’aquaporine 4, canal perméable à l’eau, et des connexines (Cx). Ces dernières feront l’objet de la partie 3.
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