DETERMINANTS DE LA MORTALITE INFANTOJUVENILE AU RWANDA
SCHEMA ET THEORIES EXPLICATIFS DE LA MORTALITE
Des recherches antérieures fondées sur différents paradigmes suggèrent que le risque de décès d’un enfant dépende d’un ensemble de facteurs très complexes, souvent interreliés et exercent leurs influences au niveau individuel, familial, communautaire et national (Cutler et al., 2006). Des modèles explicatifs ont été développés dans la littérature démographique pour définir et articuler les liens directs et indirects entre les facteurs potentiels pouvant affecter la santé et la mortalité des enfants (Masuy-Stroobant, 2002). Mais leur mécanisme de construction ne varie pas énormément d’un auteur à un autre; chacune de ces approches théoriques se distingue essentiellement des autres par le poids relatif qu’elle accorde à chaque facteur explicatif de la mortalité (Tabutin, 1995). Dans cette partie de l’étude, nous présentons quelques théories relatives à l’explication de la mortalité des enfants développées par certains auteurs. Avant de développer les theories de Sriniwasa Meegama en 1980, Michel Garenne et Patrice Virmard en 1984 et enfin Henry Mosley et Lincoln Chen en 1984, présentons de d’abord les théories de la baisse de mortalité.
Théories générales de la baisse de la mortalité
Pour comprendre les raisons qui sont à la base de la baisse de la mortalité, plusieurs théories ont été proposées. Le débat a longtemps opposé les partisans de la technologie sanitaire à ceux qui privilégient l’influence du développement économique, l’amélioration de l’état nutritionnel ou encore ceux qui accordent un poids très important aux changements d’ordre socioculturel. Ces différents courants théoriques ont été bien systématisés par Tabutin (1995).
La technologie sanitaire
La plupart des pays en développement ont amorcé leur déclin de mortalité au moment où apparaissaient dans les années 1930 et 1950 les technologies sanitaires modernes (Tabutin, 1995). En effet, jusqu’aux années 30, la médecine était presque complètement désarmée face aux fléaux qui menaçaient la santé de l’humanité, 30 exception faite de la variole et de la diphtérie contre lesquelles depuis le XVII siècle, Europe utilisait un vaccin et une antitoxine. Depuis la mise au point de médicaments antibactériens et de nouveaux vaccins, la médecine s’est dotée de tout un arsenal qui permet de lutter efficacement contre la plupart des maladies transmissibles. Ainsi, la variole a été aujourd’hui éradiquée, grâce, dans une large mesure, au Programme Élargi de Vaccination (PEV) lancé conjointement par l’OMS et l’UNICEF, environ 80% des enfants du monde entier sont désormais vaccinés contre les principales maladies infectieuses de l’enfance. En 1990 le programme a sauvé la vie de 2,6 millions d’enfants (Banque Mondiale, 2010). Grâce aux insecticides, le paludisme a pu être réduit dans beaucoup de pays.Les cas plus souvent cités sont le Sri Lanka, l’Ile Maurice, Cuba et la Guyane Britannique. Des progrès ont été aussi réalisés grâce à des mesures curatives simples telles que la réhydratation par voie orale, qui permet de sauver les malades atteints d’affections diarrhéiques. Ainsi dans les pays en développement, la mise en œuvre de nouveaux protocoles de diagnostic et de traitement de maladies comme le paludisme, l’application de certaines initiative (Initiative de Bamako), les campagnes d’éradication de quelques endémies (paludisme, par exemple), les programmes nationaux et verticaux d’interventions et de contrôle des grandes maladies (PEV), peuvent être considérés comme des facteurs essentiels de la baisse de la mortalité. Ce faisant, jusqu’aux années 1970, le paradigme dominant attribuait aux actions de santé la baisse de la mortalité ressentie dans les pays en développement. D’aucuns pensaient même à une efficacité irréversible. A ce sujet: « des organismes internationaux et bien des scientifiques s’accorderont une grande confiance à ces programmes de santé publique, en démontrant notamment qu’il n’est guère une relation entre les déclins de mortalité et les rythme de croissance économique ou d’augmentation de niveau de vie; en résumé la mortalité baisse et baissera quelle que soit la situation économique et sociales »( Tabutin, 1995). Même dans les pays développés, la mise au point des techniques de prévention ou de traitement particulièrement efficaces et relativement peu coûteuses a conduit à imaginer que la baisse de la mortalité a été réalisée indépendamment du développement économique et social. Ainsi jusqu’aux années 60, la thèse dominante imputait l’essentiel de la baisse de la mortalité dans ces pays au succès des technologies sanitaires. Clark (1967) cité par Caldwell (1986) soutient que la baisse significative de la mortalité en Angleterre qui a commencé aux alentours de 1759 a été liée aux progrès de la médecine, imputables à une meilleure connaissance et à 31 une meilleure application des sciences médicales. Certains auteurs se sont efforcés de montrer l’importance de la technologie sanitaire dans la baisse de la mortalité « Pourtant, personne aujourd’hui et surtout pas un sociologue ou démographe, ne songerait plus à expliquer la baisse de la mortalité par le seul progrès médical. L’expérience a montré que les brillants succès obtenus ici et là, au moins en apparence, indépendamment de toute amélioration décisive du niveau de vie, restent assez exceptionnels et difficilement reproductibles dans des contextes différents » (Vallin J. 1985). D’autres pensent que, pour trois raisons, il est difficile d’accepter que seul le développement de la technologie sanitaire est à la base de la baisse de la mortalité dans les pays industrialisés: 1. La « vulgarisation » des vaccins contre la rougeole, le tétanos et la réhydratation orale sont arrivées seulement après une baisse sensible de la mortalité des enfants; 2. La baisse de la mortalité à la fin des années 1970 et au début des années 1980 coïncide avec la période d’expansion économique dans le monde; 3. La baisse de la mortalité des enfants n’est pas plus rapide dans les pays ou les régions qui ont pris de l’avance dans l’utilisation des traitements de réhydratation orale ou qui ont de taux élevés de vaccination des enfants. Dans le même ordre d’idée: « la plupart des grandes découvertes thérapeutiques (sulfamides, antibiotiques, vaccination, etc.) sont en effet survenus entre 1930 et 1955 quand les mortalités par malades infectieuses et parasitaires étaient déjà en plein recul et pour certaines d’entre elles déjà faibles. Le progrès médical n’a fait qu’accélérer un mouvement déjà bien avancé »(Tabutin, 1995). Dans les pays en développement, des recherches rétrospectives relativisent le rôle de la technologie sanitaire. Par exemple Preston (l996) l’estime à environ 50% pour l’ensemble du Tiers Monde, entre 1940-1970. En outre, certains pensent même qu’en Afrique Subsaharienne la baisse de la mortalité a été amorcée dans les années 1910, et donc bien avant le développement de la technologie sanitaire. Par ailleurs, Mosley (1985) écrivait: « la stagnation récente de la diminution de la mortalité à des niveaux assez bas de l’espérance de vie incite à revoir la thèse de la prédominance de la technique médicale dans la diminution de la mortalité ». Les résultats obtenus grâce aux progrès de la médecine varient considérablement d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre et à l’intérieur d’un même pays. « Par exemple au début des années 80, la mortalité juvénile 32 était trois fois plus élevée au Mali qu’au Botswana, elle l’était six fois plus en Bolivie qu’au Chili, et cinq fois plus au Bangladesh qu’à Sri- Lanka. Entre le début des années 60 et le début des années 80, elle a reculé de 20% au Bangladesh mais de 65% au Sri Lanka, de 1,0% en Uganda mais de 50% au Kenya, et de 10% en Haïti mais de prés de 80% au Costa Rica » (Banque Mondiale, 2010). Dans presque tous les pays en développement on note une sous-mortalité urbaine par rapport au milieu rural. Il est donc certain que des pays ou milieux ont mieux su que d’autres tirer parti des moyens offerts par la médecine moderne. Ceci montre clairement que l’incidence des progrès de la médecine sur la santé dépend aussi d’autres facteurs tels que les progrès de la scolarisation, l’action des pouvoirs publics dans le domaine des services de santé, et l’augmentation des revenus dans les couches pauvres de la population.
Le développement économique
Les partisans du développement économique ont cherché à mettre en évidence le poids des facteurs économiques et notamment du revenu sur l’acquisition et la préservation d’un bon état de santé. Le revenu serait associé au niveau de vie (bonne alimentation, logement décent, etc.) qui influerait sur la santé. Certains auteurs, considérant la relation entre le niveau de vie et la mortalité comme évidente, en sont venus à considérer des indices de mortalité infantile, juvénile ou infanto juvénile comme indicateurs de niveau de développement économique et social (Nations Unies, 2010). Aujourd’hui les statistiques disponibles permettent de faire le constat suivant : à un revenu par tête élevé correspond une espérance de vie élevée et vice versa. Il semblerait que là où le niveau de la mortalité est plus fort, l’amélioration de la situation économique reste un facteur essentiel de ce niveau. La Banque Mondiale (2011) montre que la corrélation entre l’augmentation de l’espérance de vie et la progression du revenu reste particulièrement forte tant que le revenu par habitant n’atteint pas un seuil (3000s US)4 . A ce sujet, on peut par exemple citer le cas des Etats-Unis qui en 1900 avec un 4 Le fait que l’espérance de vie ne peut pas s’accroître indéfiniment, laisse croire qu’aux niveaux de vie les plus bas qui correspondent aux niveaux de mortalité les plus élevés même un faible accroissement du revenu suffit pour obtenir un gain important d’espérance de vie. La Banque Mondiale (2003, pp. 41-42) souligne que « le doublement de revenu par habitant (compte tenu 33 revenu par habitant de 4800 dollars enregistrent une espérance de vie de 49 ans alors qu’en 1990 ce même niveau de revenu par habitant correspond à une espérance de vie de 71 ans. En 1975, Preston montre que de 1900 à 1960, une forte croissance économique s’accompagne par une augmentation de la durée de vie moyenne. Poursuivant dans le même sens, en 1980, il étudie la relation entre l’espérance de vie et le revenu par tête, puis la relation entre l’espérance de vie et le nombre moyen de calories consommées par personne (a partir de 10 pays pour 1900-1910, 38 pays pour 1930-1940 et 57 pays pour 1960-1970). Il conclut que dans l’augmentation de l’espérance de vie, le revenu par tête ne compte que pour 10 à 25%. Le même type de résultat apparaît lorsqu’il remplace le revenu par tête par le nombre moyen de calories consommées par personne. Sur un échantillon de 58 pays en développement, une hausse du revenu par habitant de 10%, toutes choses étant égales par ailleurs, réduit les taux de mortalité infantile et juvénile dans une proportion allant de 2 à 3,5%, et allonge l’espérance de vie d’un mois (Banque, Mondiale, 2013). En analysant la situation d’une cinquantaine de pays en développement Vallin (1968 cité par Tabutin, D. 1995) montre « qu’un très faible revenu par tête n’est pas un obstacle infranchissable à une élévation de la durée de vie moyenne, mais qu’un revenu relativement élevé (au delà de 300 dollars US par tête de l’époque) ne se conçoit plus sans une longévité importante. L’indépendance du progrès sanitaire a l’égard du développement économique n’est pas sans limite ». En d’autres termes, il existerait un seuil ( autour de 60 ans d’espérance de vie à la naissance), qui serait difficile à franchir en l’absence de progrès économiques majeurs. Depuis le début des années 1970 on assiste à une décélération du déclin de la mortalité aussi bien dans les Caraïbes, en Amérique centrale et Latine, où les espérances de vie dépassent déjà les 60 ans, qu’au Moyen-Orient ou en Afrique Subsaharienne qui n’ont que 56 et 43 ans de vie moyenne (Tabutin, 1995). Cependant l’insuffisance du développement économique ou de la progression des niveaux de vie est le facteur le plus important dans le ralentissement du déclin de la mortalité dans plusieurs pays du Tiers Monde entre 1970 et 1980.
PARTIE1. CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE |