La chimie médicinale est une discipline qui a pour objectif d’identifier, de concevoir, d’évaluer et de développer des molécules à visée thérapeutique. Cette discipline fait appel en premier lieu au savoir faire des chimistes mais également à celui des biologistes, des pharmacocinéticiens et des pharmacologues pour découvrir de nouvelles substances bioactives qui deviendront les médicaments de demain.
Dans le cadre de la découverte de nouveaux médicaments aussi appelée « drug discovery », la molécule synthétisée doit remplir certains critères pour atteindre le stade de candidat médicament et poursuivre son développement vers les phases précliniques puis cliniques. L’optimisation simultanée de l’ensemble de ces paramètres s’avère être un véritable challenge pour le chimiste médicinal. La molécule synthétisée doit montrer un effet biologique et une sélectivité vis-à-vis de la cible visée. Elle doit posséder de bonnes propriétés physicochimiques et pharmacocinétiques (ADME), être dépourvue d’effets toxiques et ne pas présenter d’interactions médicamenteuses. De plus, la structure chimique doit être brevetable et la synthèse chimique doit être industrialisable pour la suite du développement .
De par son immense richesse, la nature a fourni aux chimistes médicinaux des structures chimiques complexes possédant des propriétés bioactives qui sont utilisées dans de nombreuses pathologies et notamment le traitement des cancers. Notre planète regorge de micro-organismes, de plantes, d’organismes marins qui n’ont toujours pas été étudiés d’un point de vue biologique et chimique . L’identification de ces nouvelles substances sera autant de sources d’inspiration pour les chimistes médicinaux dans la recherche de nouvelles molécules bioactives.
Toutefois, l’exploitation à des fins thérapeutiques d’un produit d’origine naturel n’est pas toujours aisée notamment lorsque celui-ci provient d’une source naturelle non renouvelable.
De ce point de vue, l’exemple du paclitaxel est intéressant. Cet agent anticancéreux est une molécule complexe obtenue à partir d’extraits de l’if du Pacifique (Taxus Brevifolia). Le faible rendement d’extraction et la source naturelle non renouvelable ne permettaient pas l’exploitation de cette molécule en l’état.
La synthèse totale de cette molécule naturelle a constitué un véritable défi pour les chimistes organiciens. Il aura fallu près de quinze années de travail pour parvenir à relever ce challenge. Bien que le défi synthétique ait été relevé, il n’en reste pas moins inapplicable d’un point de vue économique à une échelle industrielle. Des solutions alternatives (hémisynthèse, fermentation) ont pallié ce problème afin de subvenir aux besoins concernant cette molécule.
La conception de mimes plus simples de produits naturels complexes est une alternative face à cette problématique et fait l’objet de ce travail de thèse. Cette approche nécessite une connaissance approfondie de la relation structure activité du produit naturel vis-à-vis de sa cible biologique et doit être complétée par l’étude de la conformation spatiale de la molécule dans son site de liaison. Cette démarche implique de trouver une matrice simple capable de mimer la molécule naturelle et de distribuer de manière optimale les pharmacophores indispensables.
Dans la cadre de cette thèse, l’objectif a consisté à explorer le potentiel des acides aminés et des peptides comme point de départ pour la construction de mimes du paclitaxel. La question soulevée ici est d’évaluer la possibilité de mimer une molécule naturelle non peptidique par un peptide.
La pertinence de cette étude est fondée sur l’exemple de la morphine, un alcaloïde naturel utilisé comme analgésique, qui agit au niveau du système nerveux central. Cette molécule partage le même site de liaison sur les récepteurs opioïdes que des peptides endogènes (les enképhalines et les endorphines). Les études de relation structure activité ont démontré des similarités structurales et un recouvrement de l’espace conformationnel des pharmacophores de la morphine et des peptides (notamment au niveau de la tyrosine).
La conversion d’une molécule naturelle complexe non peptidique en un composé stable de nature peptidique est donc envisageable par transposition des groupements fonctionnels clés impliqués dans l’interaction avec la cible biologique. L’intérêt majeur de cette approche réside dans la grande diversité conformationnelle et fonctionnelle des acides aminés ce qui permet d’envisager la construction de matrices très variées.
Cette approche nécessite d’exploiter les pharmacophores essentiels à l’activité du paclitaxel. L’utilisation de la modélisation moléculaire doit permettre d’identifier la matrice capable d’orienter les groupements clés et ainsi maintenir les interactions dans le site de liaison de la cible biologique.
Le cancer appartient au groupe des maladies néoplasiques qui correspond à une prolifération cellulaire anormale incontrôlée. Ce dérèglement de la division de quelques-unes des milliards de cellules qui constituent un organisme humain échappe au mécanisme normal du contrôle par les cellules voisines et par l’ensemble de l’organisme. Les cellules se divisent sans besoin ce qui entraîne l’apparition d’une masse de tissus excédentaires nommée tumeur.
Aujourd’hui plus de cent types de cancers ont été décrits avec des causes, des évolutions et des conséquences qui s’avèrent très diverses. Ils peuvent prendre deux formes différentes :
– Soit une maladie hématologique maligne qui affecte le sang et le système lymphatique avec une dissémination des cellules malignes dès leur apparition.
– Soit une tumeur solide qui se localise dans un tissu ou un organe. Si cette prolifération cellulaire se fait sans envahissement destructif des tissus environnants ni dissémination, la tumeur est dite bénigne. Si, au contraire, la tumeur s’accroît aux dépens des tissus adjacents, il s’agit d’une tumeur maligne. Il y a un phénomène de métastase lorsque des cellules cancéreuses se détachent de la tumeur primaire et sont transportées par le sang ou le système lymphatique vers un autre organe ou des tissus plus éloignés où elles vont pouvoir se diviser pour former une tumeur secondaire. Ceci constitue l’une des principales difficultés dans le traitement du cancer.
L’incidence des cancers a augmenté de manière très importante au XXème siècle, mais l’apparition de ces maladies n’est pas nouvelle. En 2015, une équipe espagnole a découvert une momie égyptienne vieille d’environ 4 200 ans qui présentait des traces d’un cancer du sein métastatique. Cette découverte faisait suite à celle réalisée en 2014, par une équipe britannique au Soudan, qui a identifié le squelette d’un homme datant de 1 200 ans av. JC, atteint d’un carcinome métastasé. Le papyrus d’Edwin Smith (3000 ans av. JC) est, quant à lui, le plus ancien document connu décrivant une situation pathologique identifiée comme un cancer (même si le terme n’avait pas encore été défini).
L’origine du mot cancer est à mettre au crédit du médecin grec Hippocrate (460-370 av. JC) considéré comme « le père de la médecine » qui utilise pour la première fois les noms grecs de « karkinos » et « karkinoma » qui signifient crabe pour décrire cette maladie. La comparaison est justifiée par l’aspect de certaines tumeurs dont les prolongements rappellent les pattes de l’animal. Le médecin romain Celsus (28 av. JC-50) traduira le terme grec en cancer, mot latin signifiant crabe. Le médecin grec Galien (130-201) développera ensuite une théorie selon laquelle un déséquilibre ou un excédent de bile noire est à l’origine du cancer. Son enseignement prônait que le traitement chirurgical était inefficace face à un liquide mouvant et envahissant et que l’apparition de tumeurs était simplement le symptôme d’un dysfonctionnement systémique. Cette théorie restera valable pendant de nombreux siècles.
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