Désengagement moral des auteurs d’infractions à caractère sexuel incarcérés

Depuis une vingtaine d’années maintenant, même si elles ont toujours existé, les infractions à caractère sexuel sont de plus en plus dénoncées dans notre société. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène : « la libération de la femme, la libération sexuelle… », mais aussi « la judiciarisation médiatisée de plusieurs affaires ont permis la révélation d’autres faits cachés dans l’intimité des familles. » (Pradel, 2009). Suite à l’affaire Dutroux en 1996, les victimes d’agressions sexuelles vont faire l’objet d’une plus grande attention. Elle va en effet être l’élément déclencheur d’une crise politique en Belgique, ce qui va notamment engendrer une réforme de notre institution judiciaire (Vigour, 2004).

Ces Auteurs d’Infractions à Caractère Sexuel – AICS – vont susciter beaucoup de questionnements et vont être à l’origine de multiples études. De nombreux délinquants réfutent avoir commis des infractions ou tentent de les justifier, de les minimiser, de les rationaliser à travers différentes techniques. Selon Marschal (1994), à la suite de leur condamnation, 31% des agresseurs sexuels nient de façon catégorique le fait d’avoir commis un délit et 32% minimiseraient l’étendue de leur délit ou de leur responsabilité (Girard, 2013). Au travers de cette recherche, nous allons tenter d’identifier dans les discours des 19 AICS incarcérés à la prison de Lantin , les techniques de justification morale décrites par Bandura mais également les techniques de neutralisation développées par Matza et Sykes que nous mettrons ensuite en lien avec le concept de distorsions cognitives.

Pour tenter de comprendre les agresseurs sexuels, il est important avant tout de comprendre ce que sont la déviance sexuelle et la délinquance sexuelle mais aussi et surtout de savoir les différencier. L’agresseur sexuel peut être perçu comme un délinquant sexuel mais aussi comme un déviant sexuel. « La délinquance sexuelle fait référence à un comportement de nature sexuelle qui enfreint les lois ; les délinquants sexuels sont des individus qui ont été reconnus coupables d’une infraction, ou qui ont déclaré avoir commis une infraction sexuelle » (Born, Glowacz, 2014). Les personnes incarcérées pour fait d’infractions sexuelles sont donc considérées comme « délinquant » non pas parce qu’elles rentrent dans certains critères diagnostiques mais bien parce qu’elles ont commis un acte illégal, qu’elles ont dépassé les limites posées par les lois belges (Born, Glowacz, 2014).

Est déviant tout ce qui s’écarte de la norme (Larousse). « La déviance sexuelle serait dès lors une déviation par rapport à une norme de la population quant aux conduites sexuelles dans un groupe donné et un temps donné. La définition de la déviance est fonction des groupes sociaux, et tous les groupes sociaux ne nomment pas déviant les mêmes comportements. (Born, Glowacz, 2014).

La déviance sexuelle est actuellement définie par le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-V, 2013) sous le diagnostic de la paraphilie. La paraphilie – ou déviations sexuelles – peut être définie comme « un comportement sexuel déviant dont les formes les plus fréquentes sont la pédophilie, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le frotteurisme, le sado masochisme, le transvestisme et enfin le fétichisme. (Thibaut, 2013). Dans le cadre de cette étude, nous allons seulement développer le cas de la pédophilie étant donné le nombre important de sujets (15/19) pouvant rentrer dans cette paraphilie. (DSM-V, 2013).

Les critères de la pédophilie sont :
A. Présence de fantaisies imaginatives sexuellement excitantes, d’impulsions sexuelles ou de comportements impliquant une activité sexuelle avec un enfant pré-pubère ou des enfants (généralement âgés de 13 ans ou moins), survenant de façon répétée et intense, pendant une période d’au moins 6 mois.
B. Les impulsions sexuelles, les désirs sexuels ou fantasmes sont à l’origine d’une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
C. Le sujet est âgé de 16 ans au moins et a 5 ans de plus que l’enfant mentionné au critère A. Elle peut être de type exclusif (attirance seulement par les enfants) ou non exclusif (enfants et adultes). Et il est également important de préciser si la personne est sexuellement attirée par les garçons, par les filles ou par les deux (garçons et filles) et si cette dernière se limite à l’inceste ou non.

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Un lien existe néanmoins entre déviance et délinquance sexuelle. Ce qui définit les paraphilies comme illégales, c’est le fait de porter atteinte à l’autre, d’adopter un comportement contraire à l’ordre public. C’est-à-dire qu’une personne peut présenter des fantaisies sexuelles déviantes sans pour autant aller à l’encontre de la loi. Et inversement, le délit sexuel n’est pas forcément associé à un trouble du comportement sexuel tel que défini dans le DSM. (Born, Glowacz, 2014).

Nous avons été amenés à rencontrer 4 types d’auteurs : un « cyberprédateur », des « pédopornographes », des violeurs et des pédophiles. Il me semble donc pertinent de développer en quelques mots ces quatre profils.

Le viol est défini par l’article 375 du Code Pénal Belge comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas, constitue le crime de viol. Il n’y a pas consentement notamment lorsque l’acte a été imposé par violence, contrainte ou ruse, ou a été rendu possible en raison d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale de la victime. »

En fonction de la qualité de la victime (âge, vulnérabilité de la victime) et de la qualité de l’auteur (âge, ascendant, abus d’autorité), des circonstances aggravantes peuvent intervenir et donc augmenter les peines portées par le Code Pénal Belge.

La pédophilie est une forme de violence sexuelle sur mineur. La violence sexuelle « désigne l’exploitation sexuelle d’un enfant qui, en raison de son jeune âge, est incapable de comprendre la nature d’un contact et d’y opposer une résistance… La violence sexuelle sur l’enfant peut revêtir différentes formes : exhibitionnisme, caresses, pratiques buccales, sodomie, pénétration et pornographie ». (Bilheran, Lafargue, 2013). La pédophilie peut être de plusieurs types : exclusivement intrafamiliale, exclusivement extrafamiliale ou intrafamiliale et extrafamiliale.

La pédophilie intrafamiliale se définit notamment par l’inceste. L’inceste étant le fait d’avoir un rapport sexuel avec un membre de sa famille. Dans le cadre de la pédophilie, on parle d’un rapport sexuel (attouchements de l’enfant sur l’adulte et vice-versa, pénétration) entre un parent, un frère, une sœur et un autre membre de la famille ou l’un des deux est mineur d’âge.

Table des matières

1. ABSTRACT
2. INTRODUCTION  
2.1. Déviance et délinquance sexuelles
2.2. Profils des auteurs d’infractions à caractère sexuel
2.3. Techniques de neutralisation
2.4. Désengagement moral
2.5. Techniques de justification et de neutralisation en tant que distorsions cognitives
3. OBJECTIF ET QUESTION DE RECHERCHE
4. METHODOLOGIE
4.1. Echantillon investigué
4.2. Procédure
5. RESULTATS
5.1. Techniques de neutralisation mobilisées par les AICS
5.1.1. Déni de responsabilité
5.1.2. Déni de dommage
5.1.3. Déni de victime
5.1.4. Condamnations des « condamnateurs »
5.1.5. Appel à des loyautés supérieures
5.2. TECHNIQUES DE DESENGAGEMENT MORAL MOBILISEES PAR LES AICS
5.2.1. Processus visant à reconstruire l’acte pour valoriser sa moralité
5.2.1.1. Justification morale
5.2.1.2. Langage euphémique/Labellisation euphémistique
5.2.1.3. Comparaison avantageuse
5.2.2. Processus visant à masquer/minimiser le rôle de l’auteur dans les dommages causés
5.2.2.1. Déplacement de la responsabilité
5.2.2.2. Diffusion de la responsabilité
5.2.3. Processus visant à minimiser les conséquences de l’acte
5.2.3.1. Distorsion des conséquences/maintien des conséquences hors de la conscience morale
5.2.3.2. Déshumanisation
5.2.3.3. Attribution de la responsabilité
5.3. Distorsions cognitives et AICS
6. DISCUSSION
6.1. Les résultats
6.1.1. Techniques de neutralisation et techniques de justification morale
6.1.2. Echelle Abel & Becker et distorsions cognitives
6.1.3. Conclusion intermédiaire
6.2. Forces de l’étude
6.3. Limites de l’étude
6.4. Perspectives de recherches – Implications théoriques
7. CONCLUSION

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