Représentations d’un signal et fréquence instantanée
L’analyse d’un phenomene physique passe souvent par l’acquisition d’un signal mono- dimensionnel fonction du temps. Meme si la representation temporelle d’un signal est la plus naturelle, elle ne permet pas toujours une analyse complete. La representation frequentielle obtenue par transformation de Fourier (TF) fournit des infor- mations auxquelles nous n’avons pas acces temporellement [23,76]. L’analyse spectrale, basee sur la TF, est un outil puissant de traitement du signal reposant sur le concept physique de frequence (spatiale ou temporelle). Cependant, ces deux analyses, prises separement, sont insuffisantes (inadaptees) pour une large classe de signaux. Considerons par exemple le signal x(n) regi par : x(n) = _ cos(2πν1n) cos(2πν2n) 1 6 n 6 512 513 6 n 6 1024 . (I.1) Le signal est constitue de n = 1024 points correspondant a la contribution successive de deux sinusoides de frequences reduites ν1 = 0, 1 et ν2 = 0, 3 (Fig. I.1). Sur l’intervalle n = [1, 512], seul le signal de basse frequence est present ; puis sur l’intervalle [513, 1024], seule la plus haute frequence est presente.
Les representations temporelles et frequentielles (Fig. I.1(a) et I.1(b)), quoique comple- mentaires, ne permettent pas de rattacher facilement l’instant d’apparition (et de dispari- tion) des sinusoides. Bien que toute l’information utile a l’analyse du signal soit contenue dans chacune de ces deux descriptions (temporelle et frequentielle), celles-ci ne presentent que partiellement les caracteristiques d’un signal. On imagine alors qu’une approche mixte combinant simultanement les deux aspects temporel et frequentiel devrait permettre une meilleure comprehension des differents phenomenes presents dans le signal (Fig. I.2). L’exemple le plus parlant d’une telle approche est celui de la musique. Nous sommes capables d’associer a chaque note que nous entendons une frequence fondamentale (do, re, mi . . .). Mais cette note est de duree finie contrairement aux exponentielles complexes utilisees dans la decomposition de Fourier [75,145]. Cette note semble donc a priori difficile a decrire par une analyse spectrale classique. C’est pourquoi la notation musicale fait naturellement intervenir simultanement des notions de temps et de frequence : sur une portee musicale, la variable temporelle correspond a la direction horizontale et la variable frequentielle a l’axe vertical (Fig. I.3). La representation musicale apparait alors comme un prototype de description bidimensionnelle de type temps-frequence.
Propriétés d’une représentation temps-fréquence idéale
Avant de parcourir les principales representations en temps et en frequence d’un signal mono-dimensionnel, il faut connaitre les proprietes que doit posseder la representation dediee a notre problematique. La principale question qui se pose alors est la suivante : Comment peut-on analyser et décrire des signaux non-stationnaires et/ou issus de systèmes non-linéaires (dans le sens où le processus utilisé pour générer de tels signaux obéit à un système d’équations non-linéaires) ? En d’autres termes, ne peut-on pas enrichir par d’autres moyens l’analyse effectuee sur de tels signaux en utilisant un espace de description dans lequel les informations, jusque la masquees, sont mises en valeur plus explicitement ? Pour cela, il est necessaire de definir des proprietes (ou criteres) permettant d’obtenir une projection ≪ optimale ≫ en adequation avec la problematique a resoudre. Vouloir faire la liste des proprietes qu’une approche standard de decomposition doit pos- seder peut s’averer un exercice perilleux vue la multitude de representations potentiellement pertinentes et les orientations possibles que l’on peut etre amene a prendre lors de l’analyse. Ainsi, si nous synthetisons l’ensemble de ses proprietes, une telle projection est en regle generale [76, 110, 114, 159, 171] : (a) orthogonale, (b) locale, (c) adaptative, (d) lisible (interpretation physique). La propriete (a) assure l’unicite de la decomposition. Ainsi, l’analyse est reversible dans le sens ou le signal initial peut etre reconstruit simplement a partir de la projection.
Elle permet de reduire la representation et decrit le signal dans un espace ≪ optimal ≫ au sens du minimum de redondance d’information. La propriete (b) permet d’observer des etats qui sont brefs, voire transitoires. Les caracte- ristiques locales du signal sont ainsi mises en exergue plus facilement. Le fait d’etre adaptative (c) peut etre interessant dans le cas ou le signal possede une grande richesse dynamique et balaye un tres large spectre de frequences au cours du temps. Dans ce cas, il est necessaire que l’analyse prenne en compte les evolutions du signal en fonction du temps. Enfin, la propriete (d), qui est plus un critere ≪ de confort ≫, se revele cependant extremement interessante lors de l’analyse. En effet, l’interpretation et la comprehension des phenomenes physiques sollicites pour elaborer le signal peuvent en etre grandement facilitees. Ce critere de lisibilite est subjectif dans le sens ou il est lie a l’experience et a la sensibilite de l’utilisateur. Parmi toutes les methodes susceptibles de repondre a notre attente, seules les plus clas- siques et les plus usitees vont retenir notre attention. Les representations que nous allons developper sont les Représentations temps-fréquence (RTF) [76, 110] et les Représentations temps-échelle (RTE) [54,144,145,158]. Ces methodes decrivent l’evolution des proprietes fre- quentielles du signal au cours du temps. Le changement d’espace de representation ainsi opere permet alors de mettre en evidence les non-stationnarites qui caracterisent le signal. L’objectif est d’offrir une description detaillee et si possible pertinente des signatures temps- frequence composant le signal.
Analyse temps-fréquence
Il est aujourd’hui bien admis que les representations d’un signal conjointement en temps et en frequence offrent un reel interet : elles permettent une description des signaux non- stationnaires, c’est a dire l’analyse des lois de comportement frequentiel du signal au cours du temps. Suite aux travaux fondamentaux de Ville et de Wigner sur les RTF, le sujet est quasiment devenu une discipline scientifique a part entiere [20, 23, 41, 48, 76, 110, 171]. Par RTF, nous entendons la mise en correspondance d’une fonction monovariable (en t) avec une fonction a deux variables : le temps t et la frequence ν. Contrairement a la TF, qui donne le contenu frequentiel global d’un signal, les RTF situent l’energie dans le plan temps-frequence [76, 110]. Parmi les RTF, la classe de Cohen tient une place particuliere [48] : ≪ [elle] peut être construite de manière objective et [elle] contient l’ensemble des représentations bilinéaires covariantes par translations dans le plan temps-fréquence ≫ (extrait de P. Flandrin [76], page 108). L’expression generique de la classe de Cohen peut s’ecrire [48, 76, 110] : Cx(t, ν;_) = Z Z _(u − t, ξ − ν)Wx(u, ν)dudξ , (I.10) ou Wx(u, ν) est la Distribution de Wigner-Ville (WVD) [20] : Wx(t, ν) = Z x(t + τ 2 ).x∗(t − τ 2 )e−j2___dτ . (I.11) _ est le noyau de la representation temps-frequence. Le choix de _ determine les proprietes de Cx(t, ν;_) : conditions marginales, FI . . . Ainsi, toute representation de la classe de Cohen s’obtient par la double convolution temps- frequence de laWVD qui apparait comme la distribution quadratique centrale pour l’ensemble de la classe de Cohen. Il existe de nombreuses distributions appartenant a la classe de Cohen comme par exemple le spectrogramme, la WVD (et ses extensions : PWVD et SPWVD), la distribution de Choi- Williams, celle de Born-Jordan, ou la B-distribution de Barkat-Boashash [20] . . .
Dans l’absolu, cette description simultanee en temps et en frequence rend l’interpretation plus facile. Toutefois, de par leur bilinearite, ces distributions engendrent des termes d’inter- ferences pouvant nuire a la lisibilite des representations obtenues. Ainsi, la WVD fournit d’excellents resultats pour des signaux mono-composante mais pour les signaux a composantes multiples, elle presente des interferences indesirables. Supposons que x1 et x2 soient deux composantes d’un seul signal x. La WVD est alors : Wx1+x2(t, ν) = Wx1(t, ν) +Wx2(t, ν) + 2ℜ(Wx1, x2(t, ν)) , (I.12) avec : Wx1, x2(t, ν) = Z x1(t + τ 2 ).x∗2(t − τ 2 )e−j2___dτ ℜ(Wx1, x2(t, ν)) presente une structure oscillante contrairement aux composantes propres du signal en general plus regulieres. On peut montrer que les structures interferentielles sont placees a mi-distance des composantes x1 et x2 et oscillent suivant l’axe des temps et/ou des frequences [76]. La regle du point milieu resume la contribution des interferences : deux points du plan interferent pour creer une contribution en un troisieme, leur milieu geometrique. En consequence, lorsque le signal est ≪ complexe ≫, les interferences compliquent l’analyse et la reduction de celles-ci est realisee de differentes manieres [17, 48, 76].
L’une des solutions3 consiste a appliquer un lissage dans le plan temps-frequence afin de les attenuer. Ainsi la distribution pseudo Wigner-Ville (PWVD) effectue un lissage en frequence tandis que la pseudo Wigner-Ville lissee (SPWVD) applique un lissage bidimensionnel sepa- rable en temps et en frequence. Une autre solution, plus ≪ geometrique ≫, permettant d’ameliorer la lisibilite des distributions de la classe de Cohen (et de la classe affine) est basee sur la methode de la reallocation [40]. Le principe est de rearranger le plan temps-frequence pour y ameliorer la localisation des composantes d’un signal. De maniere generale, ces representations, quoique differentes reposent sur un concept identique a savoir la re-ecriture du noyau de lissage selon des criteres predefinis a l’avance. Ces criteres sont souvent choisis selon les caracteristiques connues des signaux a analyser ou de la problematique envisagee (detection [129,179], classification [56] . . . ). Des approches ont ete proposees pour choisir automatiquement, parmi un ensemble de RTF, celle qui decrit de maniere optimale le signal selon un critere donne [48, 118, 145]. Pour illustrer certaines RTF, nous definissons un signal synthetique x(n) comme etant la combinaison lineaire de quatre ≪ atomes gaussiens elementaires ≫. Un ≪ atome gaussien elementaire ≫ x_i,_i s’exprime comme le produit d’une fonction sinusoidale modulee par une gaussienne : x_i, _i(n) = cos(2πνi(n − τi)). exp −π _ n − τi 2√N _2 ! , (I.14) avec N le nombre de points. Dans notre exemple, nous choisissons νi et τi tel que νi ∈ (0.15, 0.35) et τi ∈ (32, 96). Le signal x(n) etudie s’exprime alors sous la forme : x(n) = x32, 0.1(n) + x96, 0.1(n) + x32, 0.35(n) + x96, 0.35(n). (I.15) Ce signal temporel x(n) est constitue de N = 128 points. Son spectre et les lois d’evolution theoriques des frequences au cours du temps sont illustres dans la figure I.5. Nous identifions les quatre ≪ atomes ≫ sur la RTF4 idealisee et pas dans le signal temporel et frequentiel.
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