La dépression maternelle Prévalence
La dépression maternelle est un phénomène perturbateur et universel qui touche les femmes de tout âge indépendamment de leur culture et de leur statut socio-économique, et cette réalité affecte tant l’ individu, sa famille, que la société en général (Toth & Peltz, 2009). Malgré la présence d’une grande variabilité dans la littérature, les taux de prévalence sont élevés et font de cette psychopathologie une préoccupation alarmante. En effet, les taux de prévalence fluctuent selon plusieurs aspects, notamment selon les critères diagnostiques utilisés (dépression mineure ou majeure), l’ intervalle temporel durant lequel se réalise l’ évaluation (grossesse, postpartum, etc.), la taille et le profil de l’échantillon (culture, statut socioéconomique, etc.), la méthode d’ administration (faceà- face, téléphone, etc.) de même que le type d’ instrument d’ évaluation utilisé (autodéclaré ou entrevue diagnostique) (Benha »IJoub, Ladenburger, Lighezzolo, & de Tychey, 2008; Dennis & Hodnett, 2007; Wisner et al., 2013). Fréquemment cité dans la littérature, le taux de prévalence vane de 10 à 20 % (England & Sim, 2009; Gaynes et al., 2005; Liberto, 2012; O’Hara & Swain, 1996; Wisner et al., 2013). Par ailleurs, certains auteurs affirment que la prévalence réelle pourrait être significativement supérieure comparativement aux écrits. En effet, la dépression maternelle est une psychopathologie caractérisée par un taux de reconnaissance et de traitement relativement faible (Leahy-Warren & McCarthy, 2007; Sit et al., 2009). D’ ailleurs, selon l’Organisation mondiale de la Santé, la dépression portera le fardeau de la maladie ayant la plus forte prévalence chez les femmes d’ ici 2020, prédiction appuyée également par des auteurs (Dennis & Dowswell, 2013). Considérant que la dépression maternelle a une forte propension, particulièrement lors des années de fécondité de la femme (Brummelte & Galea, 2010; Toth & Pelz, 2009), il importe de bien comprendre les multiples facettes de cette psychopathologie.
La dépression est une pathologie hétérogène pouvant varier sur un continuum en terme de chronicité, de durée et d’ intensité, mais également sur le moment d’apparition des symptômes (American Psychiatric Association, 2013). li est ainsi possible de distinguer deux types de dépression maternelle, soit la dépression générale et la dépression postpartum. Les symptômes associés à une dépression générale sont habituellement présents avant la naissance d’un enfant et tendent à se maintenir à travers le temps alors que la dépression postpartum est associée plus particulièrement au contexte entourant la naissance d’un enfant. La dépression postpartum représente une des plus fréquentes comorbidités associées à la maternité (Basraon & Costantine, 2011 ; Gavin et al., 2005; O’Hara & Swain, 1996). En effet, les premiers mois suivants l’accouchement sont caractérisés par une augmentation de la vulnérabilité des mères à développer des symptômes dépressifs (Basraon & Costantine, 2011 ; Kumar & Robson, 1984). Catégorisée comme étant un trouble de l ‘humeur, les deux types de dépression sont similaires, à l’exception de l’échelle de temps. Effectivement, la dépression postpartum se limite généralement à quatre semaines suivant la naissance d’un enfant (American Psychiatric Association, 2013).
Néanmoins, plusieurs auteurs s’ entendent et affirment que la dépression postpartum peut s’ étalonner sur une plus longue période, allant jusqu’à un an (Dennis & Dowswell, 2013; England & Sim, 2009; Stuart-Parrigon & Stuart, 2014; Wisner et al., 2013; World Health Organization, 2010). Malgré cette distinction, il importe de reconnaître que la dépression générale et la dépression postpartum ne sont pas des entités distinctes au diagnostic de la dépression chez les adultes, et qu’ ainsi, il s’agit d’un élément la constituant. C’ est donc pour cette raison que la présente étude prend en considération tant la dépression générale que la dépression postpartum. L’ utilisation du terme dépression maternelle sera donc employée pour désigner les deux types de dépression. Ceux-ci seront toutefois étudiés indépendamment lors des analyses modératrices afin de voir si des distinctions quant à l’ efficacité des interventions peuvent être décelées. Selon la plus récente version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) (2013) de l’Association Américaine de Psychiatrie, la dépression maternelle se définit comme un changement par rapport au fonctionnement antérieur. Elle présente au moins un des symptômes suivants: (1) une humeur dépressive et/ou (2) une perte d’intérêt ou de plaisir, et au moins cinq des symptômes suivants : (1) humeur dépressive; (2) diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir; (3) perte ou gain de poids significatif ou diminution ou augmentation de l’appétit; (4) insomnie ou hypersomnie; (5) agitation ou ralentissement psychomoteur; (6) fatigue ou perte d’énergie; (7) sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée; (8) diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer; (9) pensées de mort récurrentes. Les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou des autres domaines importants (American Psychiatrie Association, 2013).
Conséquences sur la mère
La qualité de vie et le fonctionnement général des mères peuvent effectivement être entravés significativement par la présence d’une dépression maternelle. Outre les symptômes diagnostiques du DSM-5 (2013) énumérés précédemment, la sphère relationnelle est également compromise (Gelfand & Teti, 1990). En effet, certains schémas dysfonctionnels liés aux symptômes dépressifs de la mère comprennent les insatisfactions quant à la relation avec le partenaire (Boyce & Hickey, 2005; Dennis & Letoumeau, 2007; Lovejoy, Graczyk, O’Hare, & Neuman, 2000; Milgrom, Westley, & Gemmill, 2004). Les discordes conjugales, le manque de communication, de cohésion et d’ affection allant jusqu’à une séparation complète sont des exemples de problématiques vécues par ces mères. D’autres symptômes communs ont aussi été identifiés à partir des expériences personnelles de femmes souffrant d’une dépression, notamment dans une étude phénoménologique aux États-Unis (Beck, 1992), où Il thèmes ont émergé des groupes de soutien (n = 7). Le retrait social, la présence de pensées obsessionnelles, les crises d’ angoisse, le sentiment de perte de contrôle, d’ insécurité et de culpabilité, la crainte de ne pas pouvoir se sortir de ce pattern dépressif et l’ absence d’émotion positive sont les thèmes ressortis par les femmes comme étant des conséquences imminentes à la dépression maternelle. D’autres études plus récentes viennent appuyer les résultats de cette étude qualitative (Beck, 2001 ; Gaynes et al., 2005) dans lesquelles d’autres caractéristiques, telles que la présence de peurs irrationnelles, le sentiment d’ insuffisance et de désespoir, les difficultés de coping et de résolution de problèmes, le manque de confiance et d’estime de soi, le manque de motivation de même qu ‘une labilité émotionnelle, ont été mises de l’avant (Dennis & Hodnett, 2007; Horowitz & Goodman, 2005; Logsdon, Wisner, Billings, & Shanahan, 2006). De toute évidence, l’ensemble de ces conséquences sur la figure maternelle va exercer une influence négative considérable sur sa disponibilité et son engagement dans les interactions qu ‘elle établit avec son enfant.
Conséquences sur la relation dyadique mère-enfant Il est effectivement bien reconnu que la dépression maternelle affecte les comportements de la mère dans les interactions qu ‘elle établit avec son enfant alors que celui-ci est, en bas âge (0-5 ans), à son plus haut niveau de dépendance concernant les soins parentaux et le besoin de sensibilité dans les interactions (Dennis & Dowswell, 2013). En ce sens, les mères aux prises avec des symptômes dépressifs tendent à interagir généralement selon deux profils comportementaux bien distincts se manifestant à l’égard de l’enfant, soit par des comportements de retrait ou encore par des comportements intrusifs (Beck, 1995; Cohn, Matias, Tronick, Connell, & Lyons-Ruth, 1986; Field, 2010; Field, Hemandez-Reif, & Diego, 2006; Malphurs et al., 1996). Le premier profil se définit par le retrait et le désengagement de la mère dans les interactions avec l’enfant. Ces interactions sont alors caractérisées par l’ adoption d’expressions faciales et vocales fades, voire complètement absentes, le manque d’engagement dans le jeu interactif (ex. histoires, chansons) ainsi que par le manque d’affection et de comportements chaleureux à l’égard de l’enfant (Cohn, Matias, Tronick, Connell, & Lyons-Ruth, 1986; Field, Hemandez-Reif, & Diego, 2006; Field, 2010; Lovejoy, Graczyk, Q’Hare, & Neurnan, 2000; Malphurs et al., 1996).
Le second profil se définit plus particulièrement par la présence de comportements intrusifs dans la relation avec l’ enfant. Il se caractérise par la présence d’une sur-stimulation dans les interactions avec l’enfant, de comportements hostiles et incohérents ainsi que d’une communication dite accessoire, dépourvue d’émotions (Cohn, Matias, Tronick, Connell, & Lyons-Ruth, 1986; Field, Hemandez-Reif, & Diego, 2006; Malphurs et al., 1996). L’ensemble de ces comportements peut mener à de la négligence parentale, à l’ utilisation de punitions corporelles de même qu ‘à des agressions verbales (Cicchetti, Rogosch, & Toth, 1998; Comon, Beardslee, Koenen, Buka, & Gortrnaker, 2009; Hall, Gurley, Sachs, & Kryscio, 1991), et ultimement, à l’ infanticide (Pearl stein, Howard, Salisbury, & Zlotnick, 2009). Qui plus est, la sensibilité maternelle, facteur clé du développement de l’enfant, notamment pour développer la sécurité d’ attachement (Pederson, Bailey, Tarabulsy, Bento, & Moran, 2014; van Ijzendoom, 1995), se voit altérée de manière significative. Cette sensibilité permet à la mère, lorsqu ‘ adéquate, de répondre et d’ interpréter les besoins et les signaux de l’enfant et ce, dans un délai raisonnable (Ainsworth, Bell, & Stayton, 1974; Waters, Petters, & Facompre, 2013). En présence de symptômes dépressifs, la mère tend à être indisponible tant psychologiquement que physiquement, ce qui l’empêche de répondre de manière optimale et chaleureuse aux Signaux de son enfant (Curnrnings & Cicchetti, 1990; Cummings & Davies, 1994).
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