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Des « îles d’espérance » :quand l’attente suscite le déplacement
L’attente, par son aspect d’intervalle et de dualité de la temporalité, peut être rapprochée dans sa forme à l’île. En créant l’illusion d’une forme séparée, aussi bien temporellement que spatialement, elle écarte les personnes en attente de celles en mouvement1. De plus, vivre l’attente représente une distanciation d’avec ceux qui ne subissent pas ce changement. Elle nous « tient à distance et toujours séparés2 ». Vue sous une forme insulaire, elle se retrouve à l’écart de l’océan du quotidien.
Cette particularité se retrouve dans la notion même d’île : « entre la terre ferme et les îles, la différence n’est pas seulement de dessin et de contours – ouverts pour les continents, fermés pour les îles et les péninsules – ; il s’agit et d’abord d’une distinction de nature3 ».Elle est un espace à part où « on ne peut pas satisfaire immédiatement tous ses désirs4 ». L’attente se construit comme l’île, dans la mesure où c’est « un espace-temps en dehors de toute dépendance continentale, qui se construit comme sa propre référence, comme une forme de microcosme5 ».
Ces îles deviennent des espaces désirés, « où se projette l’espoir utopique6 ». C’est ce que Laurent Vidal appelle des « îles d’espérance », ou ilhas de espera7. Ces îles, présentes dans l’histoire du Brésil lors de fondations, de constructions ou de découvertes aurifères, font se presser des milliers de personnes « en direction de ces « nouveaux paradis »8 ». Nous pouvons élargir cette définition à l’ensemble du continent américain, puisqu’il provoque, à travers par exemple l’American Dream, l’espoir d’une réussite fulgurante. Parfois, certaines de ces îles conservent entre elles des réseaux, des connexions, créant ainsi des « archipels », toujours en particulier dans l’histoire brésilienne9. L’attente est donc fonction de mouvement10. En quête d’une amélioration de leurs conditions, les migrants (ainsi que les déplacés) cherchent un moyen d’atteindre des espaces qui leur seront favorables.Ici, en reprenant la définition heideggérienne, l’espérance (Erwarten11) porte « la marque d’un désir12 ». Elles peuvent former des hétérotopies, c’est-à-dire des « mondes autres », avec des systèmes d’ouverture et de fermeture qui les isole par rapport à l’espace environnant13 ».
Si l’île est cet espace paradisiaque auxquels aspirent les personnes en mouvement (« l’attrait de l’île tient à sa nature périphérique d’espace topologiquement décentré14 »), elle peut également être un environnement clos, comme extérieur au continent. « Isoler est une stratégie qui mettrait à distance les objets extérieurs (les autres) en les absentant, en les écartant, en créant une barrière à leur égard15 ». Fonction que l’on retrouve notamment dans les lazarets, les hospices d’immigrants, les centres de rétention et les hôtelleries de migrants (le plus connu étant Ellis Island ; au Brésil ce sont des hospedarias16). L’isolement est provoqué par le continent, mais il semble dépendre de la vision des insulaires eux-mêmes.
L’isolement insulaire pourrait être avant tout une perception propre à chaque individu17 ». Chaque migrant vit son isolement personnellement avant de le ressentir collectivement. Mais cet éloignement conduit dans des cas particuliers à une volonté d’affranchissement, de décloisonnement. L’habitant de l’« île d’espérance » souhaite en sortir, pour retrouver une forme de liberté, retrouver une condition que sa situation d’insulaire n’autorise pas (ou plus). C’est une volonté de quitter son île pour en retrouver une autre. Enfin, une vie quotidienne se constitue au cœur des « îles d’espérance », au cours de la césure que représente l’attente. C’est en soi une forme de retenue, de renoncement18.
Le migrant peut être vu comme un « être apocalyptique », parce qu’il « perçoit toutes sortes de menace », comme par exemple les voyages dont il est pourtant obsédé. Sa perception de l’attente vient de « ses idées du temps et de l’espace réunis19 ».
Ces « îles d’espérance » sont présentes dans les récits, puisqu’elles touchent une grande partie des populations immigrés ou nationales. Chaque roman permet de rendre compte de la particularité de la situation dans laquelle se trouvent les protagonistes. Le roman donne « du sens au discours sur l’homme et la société en ordonnant la réalité ; il est le seul à pouvoir rendre compte de la subjectivité sous-jacente aux questions que pose la ville. « La ville échappe en effet à tout discours, et reste inexplicable, gouffre des disciplines, toutes insuffisantes à appréhender la complexité de cette création humaine par excellence, de cet abri démesuré, lieu de l’Homme20 ». La ville est un espace complexe, où l’activité humaine est multiple et qui a besoin d’être interprété à partir de nombreuses sources.
Table des matières
SOMMAIRE
TABLE DES FIGURES
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : DES « ILES D’ESPERANCE » : QUAND L’ATTENTE SUSCITE
DEPLACEMENT
Chapitre 1 : Les « villes-lumières », attente profane d’une vie meilleure
La ville, entre déplacement et attente
La personnification de la ville : symbole d’une attirance
Une vie meilleure partagée à plusieurs.
La nouvelle vie et la volonté de rester
La « ville-lumière », la construction des hommes
Brasília ou l’espoir perpétuel d’une ville en chantier
Les constructions de la « ville-lumière »..
Les attentes déçues de la ville
Chapitre 2 : Le sacré au coeur du déplacement : l’attente eschatologique
L’attente religieuse dans les villes
Brasília, une nouvelle ville religieuse ?
Les attentes eschatologiques de Brasília..
La recherche du paradis terrestre
L’attente au coeur des conflits religieux
Les Cristeros, une attente passive-agressive
Canudos, une guerre de religion entre république et sébastianisme
Caldeirão, un territoire de l’attente sacré et contrarié
Chapitre 3 : Les « îles d’espérance » des exilés et des réfugiés
L’exil et l’attente : le retour comme point de repère
L’exil face à la dictature
La vie quotidienne de l’exilé
L’exil, l’impossible retour ?
Fuir une zone de guerre : les réfugiés du conflit armé colombien
Les conflits armés colombiens, aux origines des déplacements
La place du conflit armé dans le roman
Les réfugiés des conflits armés
DEUXIEME PARTIE : DES TERRITOIRES DE L’ATTENTE : QUAND LE DEPLACEMENT
L’ATTENTE
Chapitre 4 : « Celui qui part » : les prémices de la migration
L’expérience du départ
Les candidats au départs
L’économie, principe de la migration
Les autres facteurs de la migration..
La ville comme point de départ
La pratique de l’attente temporelle de la ville.
Attente et spatialité de la ville
Le regard critique vers l’autre exacerbé par l’attente.
Chapitre 5 : Au cours de la migration : les traversées et les arrivées de migrants
L’attente au cours de la traversée et de l’arrivée
La traversée : l’attente physique dans le déplacement
La perception de la traversée par le prisme de l’attente
L’arrivée, la fin de l’attente ?
La mise en attente des migrants
Les dispositifs de contrôle des migrants
Les dispositifs de mise en attente
Les migrants au coeur des dispositifs
Chapitre 6 : Les « seuils d’espérance » : l’attente dans l’immobilité
Les « antichambres de l’arrivée » : les conventillos et les cortiços
Les Eldorados sud-américains
La place des conventillos et des cortiços dans les villes sud-américaines
Vivre et exister dans les conventillos et les cortiços
La vie entre deux mondes : la frontière
Une histoire de frontière
Une « frontière emblématique »
Un « tiers-pays » terre de personne
CONCLUSION
ANNEXES
Corpus principal
Corpus secondaire
Bibliographie
Articles et ouvrages d’intérêt général
Amérique latine
Histoire et littérature
Migration
Géographie
Attente
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES DES SOURCES
INDEX DES AUTEURS
INDEX DES LIEUX
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