DÉPENSES PUBLIQUES ET CROISSANCE vs. ÉTAT ET DÉVELOPPEMENT : D’UNE PROBLÉMATIQUE À L’AUTRE
Dépenses publiques d’éducation et croissance – Un modèle de croissance endogène avec accumulation de capital humain dans un secteur d’éducation publique
C’est dans l’élément de la théorie que nous avons en premier lieu abordé l’étude des relations macro-économiques entre dépenses publiques et croissance de long terme. Il s’agissait d’examiner plus particulièrement les effets de l’éducation sur la croissance en longue période, en recourant à un modèle de croissance endogène par accumulation de capital humain dans un secteur d’éducation1, mais construit selon des modalités sensiblement différentes de celles retenues dans la littérature existante. Au début des années 1990, la théorie de la croissance à progrès technique endogène s’était déjà imposée comme cadre d’analyse privilégié, pour ainsi dire incontournable, en macrodynamique, sans toutefois qu’il n’existât encore — à notre connaissance, et surprise — de modélisation attribuant de manière explicite aux dépenses d’éducation publique le rôle de moteur de la croissance auto-entretenue. La première singularité de la contribution proposée tient en ceci que la dynamique de croissance est impulsée par l’État, dont les choix d’allocation de ressources budgétaires commandent le rythme d’accrétion du capital humain —contrairement aux modèles traditionnels, plus ou moins dérivés de celui de Lucas (1988), dans lequel c’est de l’agent privé que relève la décision d’investissement en formation. La théorie de la croissance endogène, récente3 et en apparence nouvelle, prétendait s’être toute entière édifiée dans l’opposition avec la représentation solowienne, qu’elle disait avoir dépassée en étant parvenu à endogénéiser le progrès technique, à rendre compte du sixième fait stylisé kaldorien4 et à redéfinir le contenu de l’intervention étatique en économie de marché.
Or la formalisation esquissée ici offre cette seconde originalité que d’autoriser l’apparition d’une croissance endogène (et de valider la possibilité d’une divergence entre pays) avec convexité dans la technologie — à la différence des autres modèles, qui presque tous font appel à des nonconvexités —, i.e. en conservant une fonction de production Cobb–Douglas à la Solow (1956), mais qui combine deux pseudo-fonctions de production C.E.S. (l’une pour le travail, l’autre pour le capital), sous hypothèse de substituabilité entre travail non qualifié et travail qualifié. Cette hypothèse garantit in fine, à quelques conditions additionnelles près, la convergence asymptotique vers une écriture générique de type AK de Rebelo (1990) de la forme fonctionnelle agrégée choisie — la non-linéarité complexe de celle-ci obligeant à résoudre le modèle, non pas analytiquement, mais par simulation numérique sur ordinateur, au moyen d’un algorithme de calcul, en temps discret, des effets vari ant ie ls su r l a croissan ce de choi x alt er nat if s de var iable s décision ne lle s de poli tiq ue écon omi qu e.
Pl ut ôt qu e de pou sser l’investig at ion p lus avan t, comme aur ait p u e t dû le fair e l e néo-classi que convai ncu , en te ntant par exe mp le de dé cr ire p réciséme nt la dy namiq ue tr an sit ionne ll e con dui sant à l’é tat stationn air e, notr e cur iosit é s’e st un in st ant arrê té e sur le socl e thé or iqu e de ce tte modé li sat ion, pour en in te rroge r l a soli dit é. À y reg ar der de p rè s, tr ois p oin ts s’avère nt êt re de s probl ème s insol ubl es :
1. Tou t l e rai sonne me nt re pose sur u ne hypothèse implicite d’« ag ent re pr ése nt ati f », qu i l ai sse sans r éponse l a que st ion de savoir ce q ue l’on en te nd dans un e tel le formali sation par « ag en t(s) », par « État », p ar « march é » ou par « pr ix », soit en f ait q uel qu es- un s des concept s- clé s de la scie nce é con omiqu e.
2. En fai sant ab str action de ce tte l imi te , i l reste à ex pli qu er l’exi st ence et la natu re, au-del à du cal cu l d’u n t au x d’i mposi tion opt imal, d’un sect eu r p ub lic d’éducati on dont le fonctionn eme nt ne l e dif fér en cie e n r ie n du secte ur de pr oduct ion p ri vé, où p roducti vit és marg inale s e t pri x de march é des f act eu rs s’ég ali se nt à l’é qu ili br e.
3. Enf in, l e p oi nt nodal de l ’axiomatiq ue , e n l’e sp èce l ’hy pothè se de substituabilité entre composantes non qualifiée et qualifiée du travail, relève au fond d’un acte de croyance5 — parce que l’examen approfondi et impartial des vérifications empiriques néo-classiques sur le sujet conduit, du fait des problèmes techniques qu’elles soulèvent et des résultats tout à fait contradictoires qu’elles proposent, à le considérer comme tel.
Dépenses publiques en capital et croissance – Une étude en économétrie de panel sur un échantillon de pays en développement
L’analyse des liaisons entre dépenses publiques et croissance s’est alors déplacée vers l’empirie, afin d’étudier les rôles du capital physique public et du capital humain dans la croissance des pays en développement6. Le choix de travailler avec des méthodes de panel se justifiait par les avancées qu’a récemment enregistrées cette branche de l’économétrie, et la complexification des analyses économiques qu’elles ont induite7. Il nous démarquait de la plupart des études consacrées aux effets des infrastructures, utilisant surtout des séries longitudinales de pays industrialisés8, mais se heurtant à des difficultés9 auxquelles nous entendions apporter quelques éléments de solution. L’échantillon retenu porte sur 29 pays (latino-américains, africains, asiatiques) et 11 années (1981-91), en utilisant des séries reconstruites pour l’occasion : le capital physique public est dé fi ni se lon u ne accep ti on large , sur l a b ase d’u n cr it ère de « p rop ri été é tat iq ue », dé passant ce ll e de stock d’in frast ructu res p our in té gre r l’appareil productif des entreprises publiques, tandis que le capital humain est approximé par le produit du nombre total d’années d’études et de la population active.
Un système d’équations simultanées qui explique en spécifications loglinéarisées les déterminants du PIB et des stocks de capital public et privé et articule une fonction de production Cobb–Douglas augmentée à des équations d’endogénéisation des capitaux physiques, est estimé à l’aide de la méthode des triples moindres carrés, avec effets fixes et variables transformées par l’opérateur within. Une méthode de calcul, simple, du taux de rentabilité implicite du capital public est également proposée, à partir de l’élasticité du produit à ce stock et du coefficient de capital public. Les résultats des estimations mettent en évidence un impact positif du capital public sur la croissance, quantitativement important et statistiquement significatif, les élasticités et les taux de rentabilité associés à ce capital prenant des valeurs beaucoup plus « réalistes » que celles le plus souvent présentées dans la littérature10. La contribution du capital humain à la croissance est elle aussi trouvée positive, et forte — contrairement à bon nombre d’études économétriques en panel intégrant cette variable11.
Un e classifi cation des p ays e st pr oposé e, en ré fé ren ce à un e str uct ur e patr imoni ale jugé e « opt imale » pour le ur cr oissance , sel on de ux cr it ère s : s’i ls conn aisse nt en dé bu t de pér iode un e p ré domin ance rel at ive ou n on de capi tal pu bl ic (ce q ui in tr odu it un « écar t à l ’op ti mum », con çu comme l a dif fér en ce en tre le s dot at ion s factorie ll es in iti al es re lat ives et le ratio opt imal de capit al corr esp on dan t aux é lasti cit és re latives du p rodui t r especti vemen t aux de ux st ocks de capi tal p hy siq ue su r l’é ch ant il lon t otal) ; et s’il s se rap pr och en t ou non d’un e ré parti ti on op timal e des re ssour ce s e nt re se cte ur s p ub lic e t p ri vé (ce q ui fait in te rve ni r l e rap port de s t au x de croissan ce moye ns de s stocks de cap itaux pu bl ic et p rivé sur l a p ér iode) . O n dét er min e ain si un concep t de « con ver ge nce », de nature in tr a-n at ion al e, de la structure productive vers une répartition patrimoniale optimale.