Vers le milieu des années 1940, l’usage des antibiotiques a débuté en médecine humaine et en médecine vétérinaire suite à la découverte de la pénicilline par A. Fleming en 1929. Parallèlement à l’augmentation des molécules disponibles et à leurs utilisations, les bactéries résistantes ont fait leurs apparitions. Parmi les antibiotiques jugés critiques pour la santé humaine, figurent les céphalosporines de troisième génération (C3G) (Anses 2014). Les entérobactéries peuvent résister à ces antibiotiques via différents mécanismes ; les plus problématiques pour la santé humaine comme pour la médecine vétérinaire sont la présence de plasmides conjugatifs codant pour la production de bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE). Ces enzymes ont été d’abord décrites dans les années 1980 chez des bactéries pathogènes isolées de personnes hospitalisées, puis dans les années 2000 à partir de souches pathogènes chez les animaux. Elles ont été ensuite mises en évidence dans le microbiote intestinal des animaux arrivant à l’abattoir ou dans leur viande (Anses 2010). Les BLSE les plus fréquentes sont les céfotaximases (CTX-M) codées par les gènes blaCTX-M, plus particulièrement en France les gènes blaCTX-M du groupe 1 (Philipon 2013). Ces gènes sont très souvent portés par des plasmides qui hébergent fréquemment des déterminants codant pour des résistances pour d’autres antibiotiques, pouvant conduire à un échec thérapeutique. Ces éléments génétiques mobiles sont susceptibles d’être transmis à d’autres entérobactéries. La forte diminution de l’utilisation des céphalosporines chez les porcs charcutiers en France depuis quelques années a permis de réduire la prévalence de la résistance à cette famille d’antibiotiques (Anses-ANMV 2014; Anses 2015), mais il nous semble également judicieux de développer des stratégies permettant de réduire le portage des bactéries résistantes aux antibiotiques, afin de préserver leur efficacité. Ce projet consiste à contrecarrer le développement d’entérobactéries résistantes aux C3G dans la flore intestinale des porcs, en leur administrant des probiotiques. En effet, depuis quelques années, de nombreuses souches de probiotiques sont utilisées en production porcine. Des études ont en effet montré leurs capacités à stabiliser les différentes populations du microbiote intestinal et à limiter l’implantation des bactéries pathogènes opportunistes (Hou et al. 2015).
Après une étude bibliographique concernant la bactérie Escherichia coli, les probiotiques, les C3G et les mécanismes de résistance vis-à-vis de ces molécules, nous présenterons dans ce mémoire trois protocoles expérimentaux réalisés sur des porcs exempts d’organismes pathogènes spécifiés (EOPS). Au cours de ces essais, nous avons inoculé les porcelets avec la souche E. coli M63 porteuse du gène blaCTX-M-1 préparée au laboratoire ou la souche E. coli TN03 porteuse du gène blaCTX-M-15, puis les animaux ont reçu ou non l’une des deux souches d’E. coli (E. coli ED1a ou E. coli Nissle 1917), bonnes colonisatrices du microbiote intestinal. Nous avons alors détecté et quantifié les différentes souches et le gène de résistance blaCTX-M du groupe 1 dans les matières fécales des porcelets afin d’évaluer la capacité des probiotiques à entrer en compétition avec les entérobactéries résistantes et réduire, voire éliminer leur présence dans la flore des animaux. La description des résultats des trois essais sera suivie d’une discussion et d’une conclusion/perspectives.
Escherichia coli est un bacille Gram négatif appartenant au phylum Protobacteria, à la famille des Enterobacteriaceae et au genre Escherichia. Le genre Escherichia comprend cinq espèces : E. coli, E. fergusonii, E. hermannii, E. vulneris et une très rare qui a été isolée de la blatte, d’où son nom E. blattae. Découverte en 1885 par Théodor Escherich dans des selles de chèvres, les E. coli sont des hôtes normaux du tube digestif de l’homme et de la plupart des animaux à sang chaud, qu’ils colonisent dès les premières heures après la naissance. Les E. coli n’existent pas normalement dans l’eau et le sol, leur présence est donc un indicateur de contamination fécale. Dans les années 1990, Ils étaient considérés comme l’espèce dominante de la flore aérobie du microbiote intestinal (LeMinor 1990). Des études récentes de métagénomique du microbiote intestinal ont permis de mettre en évidence cinq principaux phylums, englobant Firmicutes, Bacteroidetes, Actinobacteria, Proteobacteria et Fusobacteria. Chez l’adulte, 90 % du microbiote intestinal sont représentés par les phylums Firmicutes et Bacteroidetes (Milani et al. 2016). Ces récentes données indiquent donc que l’espèce E. coli appartenant au phylum Protobacteria n’est pas majoritaire au sein du microbiote intestinal humain.
La plupart des bactéries appartenant à la famille des Enterobacteriaceae sont composés d’une enveloppe cellulaire et sont mobiles grâce à une ciliature péritriche mais certaines sont immobiles comme Klebsiella et Yersinia pestis. Elles peuvent posséder des appendices protéiques rigides appelés pili ou fimbriae, qui leur donnent des propriétés d’adhésion aux cellules eucaryotes. Certaines peuvent présenter une capsule, cette structure est habituellement rencontrée chez Klebsiella mais les E. coli peuvent exceptionnellement en posséder une (LeMinor 1990). Ces bactéries ne sporulent pas, sont aéro-anaérobies facultatif et se cultivent sur milieu ordinaire à base d’extrait de viande. Elles fermentent le glucose organique avec ou sans production de gaz, ce sont donc des bactéries chimio-organotrophes (Bergey 1984). Les entérobactéries possèdent une nitrate-réductase à l’exception de certaines souches d’Erwinia et de très rares mutants, ainsi qu’une catalase à l’exception de Shigella dysenteriae (LeMinor 1990). Chez E. coli, le nucléoïde se compose d’une molécule d’ADN circulaire d’environ 4,6 Mb compactée environ 1000 fois, de plusieurs ARN et de plus de 200 protéines de liaison à l’ADN, parmi lesquelles un ensemble de protéines dites « histonelike » dont les protéines HU, H NS, IHF et FIS. Ces protéines interviennent directement ou indirectement dans l’expression de nombreux gènes essentiels à la vie de la cellule et régulent des gènes exprimés lors de changements environnementaux (Macvanin & Adhya 2012). L’absence de membrane nucléaire permet un contact direct entre l’ADN et le cytoplasme ; le transfert d’informations génétiques est donc très rapide. L’examen du chromosome d’E. coli a montré en effet que l’ADN bactérien est couvert dans certaines régions par de nombreux polysomes. Ces polysomes correspondent à l’association de l’ARNm à un ribosome. Ces éléments sont placés en périphérie des zones nucléaires, ce qui suggère que les gènes en état de transcription ne sont pas localisés n’importe où dans le chromosome, mais viennent se placer en périphérie (LeMinor 1990). Une cellule d’E. coli peut contenir jusqu’à 15000 ribosomes, ce nombre étant fonction du taux de croissance. Des concentrations particulières en Mg2+ et en K+ sont nécessaires à leur intégrité et leur bon fonctionnement (LeMinor 1990; Prescott 1995). Un ribosome bactérien 70S est séparé en deux sousunités ; une grande sous-unité 50S et une petite sous-unité 30S. La sous-unité 50S contient deux acides ribonucléiques ribosomal (ARNr 23S et ARNr 5S) et trente-trois protéines L. La petite sousunité 30S contient un ARNr 16S et vingt-et-une protéines S. Le ribosome est le lieu de la synthèse protéique. Les ribosomes sont présents dans le cytoplasme et aussi faiblement liés à la membrane cytoplasmique. Les ribosomes présents dans le cytoplasme synthétisent les protéines intracellulaires, tandis que les ribosomes liés à la membrane cytoplasmique fabriquent les protéines à exporter. Un ribosome décode un ARN messager (ARNm) avec l’aide d’adaptateurs, les ARN de transfert (ARNt). La synthèse protéique se déroule en trois étapes, l’initiation, l’élongation et la terminaison (Achenbach & Nierhaus 2015). L’analyse de multiples génomes bactériens a démontré l’existence d’un « core génome », comprenant les déterminants génétiques codant les voies métaboliques fondamentales, ainsi les caractéristiques structurales de la cellule, tels que les protéines ribosomales et les composants de la paroi cellulaire. Cette analyse a également montré la présence d’un « génome accessoire » comprenant des informations génétiques pouvant être avantageuses dans des conditions spécifiques de croissance, telles que l’infection, la colonisation ou la croissance dans des niches spécifiques. Le « groupe génétique flexible » comprend souvent divers éléments génétiques mobiles tels que des plasmides, bactériophage, séquences d’insertion (IS) et transposons (Hacker et al. 2004) et peuvent être transférables d’une bactérie à l’autre.
Initialement, les E. coli sont des bactéries commensales non pathogènes chez l’homme et les animaux. Cependant, des souches d’E. coli ont été mises en causes dans des maladies intestinales et extra-intestinales (Mainil 2013). Les E. coli pathogènes ont acquis des éléments de virulence comme des toxines, des adhésines qui peuvent être portés sur des plasmides de virulences et des îlots de pathogénicité grâce à des échanges génétiques (Nataro & Kaper 1998; Ho et al. 2013). Ces souches ont donc évolué grâce à une modification des gènes existants, une perte ou un gain de gènes entrainant une réorganisation dans le génome des E. coli (Bielaszewska et al. 2007a). Par exemple, Hayashi et al. ont montré que la souche E. coli O157 :H7 Sakai codait plus de 1600 protéines et 20 ARNt qui ne figurent pas dans la souche non pathogène E. coli K12 et la plupart sont les protéines spécifiques de la souche O157 qui sont codées par des prophages et éléments similaires aux prophages (Hayashi et al. 2001). Les échanges génétiques via les transferts horizontaux ne concernent pas seulement les gènes de virulence mais également les gènes de résistance aux antibiotiques. Parmi les gènes de résistances aux antibiotiques, nous retrouvons les gènes blaCTX-M. Ces gènes sont souvent portés par des plasmides et sont susceptibles d’être transmis d’une bactérie à l’autre grâce au phénomène de conjugaison.
Les souches E. coli pathogènes sont classées en fonction des symptômes cliniques qu’elles entrainent. Cette classification regroupe les E. coli responsables de pathologies intestinales (IPEC) et les E. coli responsables de pathologies extra-intestinales (ExPEC) (Kohler & Dobrindt 2011). Il existe sept catégories d’IPEC chez l’homme, ETEC, EPEC, EHEC, EAEC, EIEC, DAEC et AIEC (Servin 2014). La caractéristique des souches d’IPEC est la présence de facteurs de virulences jouant un rôle décisif dans la pathogénèse et permet ainsi de les discriminer des souches d’E. coli non pathogènes et des ExPEC (Kohler & Dobrindt 2011). La pathogénicité bactérienne résulte d’un processus multifactoriel, impliquant de nombreux gènes qui peuvent être transmis d’une bactérie à l’autre via différents mécanismes de transferts horizontaux.
Chez le porc, les différentes pathologies sont dues à des E. coli entérotoxinogènes (ETEC), des E. coli entéropathogènes (EPEC), des E. coli entérohémorragiques (EHEC) et des E. coli pathogènes extra-intestinaux (ExPEC) (Zimmerman J. 2012). Les diarrhées et la maladie de l’œdème sont les principaux signes cliniques et peuvent entrainer une morbidité, une perte de poids des animaux voire de la mortalité et engendrent un coût de traitement et de vaccination.
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