Démonstration sur le ciel de l’optique adaptative
multi-objet avec étoiles lasers par CANARY
L’optique adaptative
Je décris dans ce chapitre l’idée générale de l’Optique Adaptative (OA) en m’appuyant sur les notions que j’ai déjà introduites précédemment. Je vais notamment expliciter les moyens d’analyser le front d’onde, de le corriger, ainsi que les erreurs et les limitations des instruments d’optique adaptative.
Concept de la correction par optique adaptative
Revenons sur notre objectif initial : nous souhaitons observer une source scientifique dans le but de faire de l’imagerie ou de la spectroscopie (ou les deux) de cette source. J’ai déjà mis en évidence que la traversée de l’atmosph`ere par le front d’onde perturbe l’image et réduit considérablement la résolution angulaire. Pour revenir à la résolution maximale permise par le télescope, il faudrait introduire l’exact opposé des retards de phase causés par la turbulence. L’optique adaptative est basée sur la compensation de ces retards de phase grˆace à un Miroir Déformable (MD) qui peut se déformer sur quelques microns. Le résultat de cette compensation est ensuite mesuré par un Analyseur de Surface d’Onde (ASO) dont la mesure va permettre d’évaluer la phase résiduelle. Ensuite, un ordinateur de contrˆole (RTC pour Real-Time Computer), dans lequel est implanté une loi de contrˆole, va, à partir des mesures présentes et passées de l’ASO, déterminer comment commander le miroir déformable pour réguler la mesure de l’ASO à une valeur étalonnée préalablement. Ces trois éléments forment alors une boucle fermée de régulation de la forme du front d’onde comme illustré en figure 2.1. On peut citer particuli`erement Come-On, la premi`ere OA en astronomie, qui a été initialement testée au télescope de 1,5 m à l’observatoire de haute-Provence avant d’ˆetre installée au télescope de 3,6 m de l’ESO à la Silla au Chili ([Rousset et al., 1990]). Le front d’onde ainsi corrigé est délivré à une caméra qui va faire l’image de la source scientifique avec compensation de la turbulence atmosphérique. Puisque les fluctuations de chemin optique dues à la turbulence sont tr`es peu chromatiques, la longueur d’onde d’analyse de la turbulence a peu d’importance. Généralement, l’analyse est faite dans le visible pour bénéficier d’une meilleure performance des détecteurs dans ce domaine de longueur d’onde (rapidité et sensibilité), alors que les photons IR sont utilisés pour l’analyse astrophysique. Dans certains cas, il est nécessaire d’analyser la turbulence dans l’infra-rouge lorsque la source d’analyse est trop peu lumineuse dans le visible, on parle d’analyse de front d’onde IR. La source scientifique est généralement observée dans l’infra-rouge car les performances de la compensation du front d’onde sont meilleures à grand λ, et l’intérˆet astrophysique pour l’infra-rouge est fort. Figure 2.1: La boucle de régulation composée d’un miroir déformable, d’un analyseur de surface d’onde et d’un Ordinateur de contrˆole (Real-Time Computer) vise à rendre le front d’onde le plus plan possible pour compenser les fluctuations de la phase engendrées principalement par la turbulence. La compensation de la phase turbulente est illustrée en figure 2.2. Il s’agit de deux images en bande H (1670 nm) obtenues par l’instrument Canary sur le William Hershel Telescope, couplé avec la caméra IR Camicaz en Juillet 2013 sur une binaire en boucle ouverte et boucle fermée. L’optique adaptative nous permet de séparer correctement le compagnon. −0.5 0.0 0.5 −0.5 0.0 0.5 Arcsecs Arcsecs Open−loop on ASTT1 in H band SR= 2.4% −0.5 0.0 0.5 −0.5 0.0 0.5 Arcsecs Arcsecs SCAO on ASTT1 in H band SR= 25.5% Figure 2.2: Images en bande H obtenues par Canary au WHT avec la caméra IR Camicaz sur une binaire en boucle ouverte et boucle fermée. 32 2.2 L’analyse de front d’onde 33 2.2 L’analyse de front d’onde 2.2.1 Principe du Shack-Hartmann Intéressons-nous maintenant au principe de l’analyse de front d’onde. Il existe plusieurs types d’ASO qui mesurent généralement une grandeur proportionnelle à la déformation du front d’onde. L’analyseur le plus connu et le plus répandu est sans aucun doute l’analyseur Shack-Hartmann (SH). D’autres types d’analyseurs existent comme l’analyseur à courbure ([Roddier and Roddier, 1988]), à pyramide ([Ragazzoni, 1996]) ou bien l’analyseur haute résolution YAW ([Gendron et al., 2009],[Brangier, 2012]) mais je ne rentrerai pas dans les détails ici. Le principe de l’analyseur du SH consiste à réaliser un échantillonnage spatial du front d’onde dans le plan pupille grˆace à une matrice de micro-lentilles comme illustré en figure 2.3. Chacune de ces lentilles découpe la pupille en plusieurs sous-pupilles, zone sur laquelle l’ASO va mesurer l’angle d’arrivée local du front d’onde. Les faisceaux incidents vont ainsi converger au plan focal des micro-lentilles, pour former un spot lumineux. Sa position est fixe si le front d’onde est compl`etement invariant. Le principe est de mesurer le vecteur de séparation entre les spots ainsi formés et cette référence, on parle alors de vecteur de pentes. La référence est établie en étalonnant la position des spots qui correspondent à un front d’onde plan pour la caméra IR. Pixel Obstruction centrale x y pente x y Figure 2.3: Principe de l’analyseur de front d’onde de type Shack-Hartmann. Le front d’onde est spatialement échantillonné par la matrice de micro-lentilles. Les faisceaux sous-tendus par les souspupilles convergent ainsi dans le plan focal des micro-lentilles, pour former un spot. La position du spot par rapport à la mesure étalonnée donne le gradient local du front d’onde, ou encore la pente moyenne locale.
L’analyse de front d’onde
Expression de la mesure
J’explicite en figure 2.4 que la position des spots est une grandeur proportionnelle à l’angle d’arrivée local du front d’onde. Si fml est la focale des micro-lentilles et αi l’angle moyen du front d’onde dans la i i`eme sous-pupille, la pente Si vaut alors : Si = fml × αi + S ref i , (2.1) avec S ref i le vecteur de référence donnée pour la i i`eme sous-pupille. De plus, cet angle moyen peut ˆetre exprimé en fonction du chemin optique et de la taille de la sous-pupille d par : αi = δi/d. (2.2) La position du spot donne donc une mesure linéaire du gradient local de la phase sur la souspupille ([Rousset et al., 1987]) : Si ∝ λ 2π ZZ SPi ∇φ(ri)dri (2.3) avec SPi le domaine géométrique défini par la forme de la sous-pupille i. f ml si si ref αi αi Micro-lentille Figure 2.4: Coupe de la mesure Si de la position du spot faite par le SH par rapport à la position de référence S ref i . La position est directement reliée à l’angle d’arrivée local du front d’onde, c’est-à-dire au gradient local de la phase. Néanmoins, la taille physique des sous-pupilles dans le plan pupille (60 cm sur Canary) est généralement plus grande que le r0 moyen lors des observations, généralement d’une dizaine de centim`etres à la longueur d’onde d’observation de l’ASO. C’est alors le seeing qui limite la taille des spots et non la diffraction par la sous-pupille. De plus, la caméra de l’ASO, placée au plan focal des micro-lentilles, échantillonne les spots grˆace à ses pixels. La mesure de la position des spots est alors entachée d’un bruit de lecture et de photons. Pour atténuer l’impact des tavelures et du bruit de la caméra sur l’estimation de la position des spots, on utilise généralement un algorithme de centre de gravité sur l’intensité des pixels. Il consiste à pondérer la position de chaque pixel de la caméra, pour une sous-pupille donnée, par l’intensité mesurée sur ce pixel ([Rousset et al., 1987]) : bSi = P i,j rijIij P i,j Iij (2.4) avec Iij et rij respectivement l’intensité lumineuse et la position du pixel (i, j). Afin de diminuer l’impact du bruit, une méthode de seuillage des intensités est utilisée, en calculant le centre de gravité sur les pixels les plus brillants ([Basden et al., 2012]). Il existe aussi des algorithmes différents basés sur le calcul du maximum de la corrélation spatiale du spot par exemple ([Thomas et al., 2006]).
Perturbations de la mesure
Une des premi`eres perturbations qui polluent la mesure est le bruit. Nous pouvons en particulier distinguer les bruits instrumentaux de lecture (Read out Noise) et de fluctuations du courant d’obscurité qui peuvent ˆetre raisonnablement considérés comme des processus Gaussiens. De plus, il faut ajouter le bruit de photons dˆu au nombre fini de photons nph qui suit une statistique de Poisson de variance égale au nombre de photon-électrons. Le bruit de lecture engendre une variance σ 2 RON sur l’estimation de la phase par la méthode du centre de gravité. Elle peut s’exprimer de la façon suivante ([Rousset et al., 1987]) : σ 2 RON = π 2 3 σ 2 eN2 d n 2 ph NS Nd 4 , (2.5) avec σ 2 e la variance du bruit du détecteur en photo-électrons par pixels et par trame, Nd la largeur à mi-hauteur du spot en l’absence de turbulence et NS le nombre de pixels utilisés dans le calcul du centre de gravité. Ce bruit va intervenir à chaque lecture des pixels de la caméra pour laquelle σe est généralement spécifiée ou peut ˆetre mesurée. Cette variance dépend particuli`erement du nombre de pixels NS utilisé pour échantillonner la tache de diffraction de taille Nd. Pour une taille Nd donnée, ce ratio Ns/Nd augmente avec le nombre de pixels et plus il y a de pixels à lire, plus la variance σ 2 RON augmente. Avec la mˆeme approche, il est aussi possible de déterminer la variance de l’estimation de la phase par la méthode du centre de gravité, mais due au bruit de photons seulement ([Rousset et al., 1987]) : σ 2 ph = π 2 2nph NT Nd 2 , (2.6) avec NT la largeur à mi-hauteur du spot en présence de turbulence. Finalement, l’erreur de front d’onde due au bruit qui entache la mesure de l’ASO peut s’écrire : σ 2 Noise = σ 2 RON + σ 2 ph (2.7) Je souligne aussi que les détecteurs intensifiés de type EMCCD ont une source de bruit supplémentaire qui est la dispersion de gain. L’impact de ce défaut est de diviser virtuellement le nombre de photo-électrons par deux. Le SH est un analyseur linéaire, mais plusieurs non-linéarités peuvent intervenir si nous ne prenons pas quelques précautions. En particulier, il faut choisir un champ de vue des souspupilles suffisamment large pour éviter d’éventuelles troncatures des spots, ce qui introduirait des biais dans l’estimation de leurs positions. Il faut aussi considérer le repliement de spectre, ou l’aliasing, dˆu à l’échantillonnage spatial du front d’onde via les sous-pupilles. Cet échantillonnage engendre un repliement des hautes fréquences spatiales sur les plus basses à cause de la périodisation du spectre. On définit la fréquence d’échantillonnage du SH par l’inverse de la taille de la sous-pupille d, ce qui signifie que pour diminuer l’impact du repliement sur la mesure, il faudrait diminuer la taille de la sous-pupille en dépit du nombre de photons reçus par sous-pupille.
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