La théorisation de la singularité du vivant comme système matériel doté des propriétés qualifiées de vitales demeure une question délicate. En effet comment caractériser dans la démarche scientifique telle qu’elle se pratique ce qui fonde le vivant ? Et partant de cette difficulté initiale, comment identifier les contraintes et limites épistémiques qui rendent ardue tout effort de théorisation globale et unifiée.
Il s’agit en somme de saisir la singularité du vivant en tant qu’objet matériel tout en l’inscrivant dans le monde physique avec lequel il échange matière et énergie. Cette démarche semble poser un double problème. C’est dřabord pouvoir penser la genèse de ces systèmes matériels à partir d’environnements non animés (pré-biotique ou antébiologique) et ensuite pouvoir y repérer ce qui sur le fond les distingue des autres systèmes matériels. C’est donc vouloir appréhender le vivant dans ce qui le constitue en propre.
En définitive, il s’agit de pouvoir énoncer, au-delà de la recension la plus exhaustive possible des traits caractérisant toutes les espèces vivantes, « ce » qui préside à la communauté de propriétés qui justifie de rassembler dans un même ensemble Escherichia coli, lichens, amibes, orchis, animaux etc. et dans le même geste théorique fonder ainsi la différence fondamentale entre ces entités vivantes et tout autre système matériel.
Cette recherche s’inscrit de facto dans un corpus de pensée nourri des apports, des connaissances et démarches scientifiques disponibles. Dans ce contexte, les sciences de la vie constituent tout naturellement l’axe fédérateur d’une approche ouverte aux apports de disciplines et démarches théoriques plus connexes. (Théorie des systèmes, thermodynamique etc.) .
La problématique s’énonce ainsi : pouvoir recourir aux mêmes lois physicochimiques qui rendent compréhensible la matière sur un plan fondamental pour saisir, selon des modalités propres, ce qui constitue la spécificité ou le propre des systèmes vivants. En l’état actuel de cette recherche il s’agit d’un véritable défi car, en l’absence d’une théorie unifiée de la vie, elle ne restitue qu’une vision parcellisée, émiettée de la nature du vivant. Et cette absence de démarche unifiée au sens où elle s’appliquerait tout autant aux objets inanimés qu’animés ne permet pas, pour l’instant, d’expliquer en partant de ces lois physico-chimiques fondamentales la formation d’entités dotées des propriétés que nous appelons vitales ainsi que de rendre compte sur le même plan scientifique de ce qui constitue de façon irréductible la caractéristique de l’être vivant.
Il y a là deux dimensions à prendre en compte qui, sans être opposées, participent de points de vue différents.
La première, que l’on pourrait qualifier de philosophique, interroge les concepts même de vie, de vivant, tels qu’ils se donnent dans le vocabulaire courant, le vocabulaire des sciences, pour reposer la question de l’ontologie de l’entité vivante : matérielle ? Matérielle plus un petit quelque chose d’autre ? Réelle comme partie intégrante des entités constitutives du monde, de la nature, en principe explicable moyennant de possibles biais liés à nos capacités cognitives ?
L’autre dimension, que l’on peut qualifier de scientifique vise à caractériser les vivants. Elle s’attelle à traiter de la vie, des phénomènes vivants, des structures et systèmes vivants, des organismes, en mettant en œuvre les pratiques et méthodes des sciences. Cette approche recourt à des termes qui renvoient aux concepts de vie, du vivant de façon pragmatique et adaptée aux contextes théoriques et pratiques mis en œuvre. Démarche scientifique qui permet ainsi de s’insérer dans des contextes d’énonciations riches et diversifiés, propres aux besoins de communication spécifiques à chaque acteur scientifique.
De facto dans cette approche, on part de la vie, du vivant comme d’un donné naturel de l’environnement de travail. Il n’y a pas, alors, besoin de définir ces concepts audelà de strictes nécessités communicationnelles. Ils suffisent à rendre compte des modalités phénoménologiques, fonctionnelles, structurelles, matérielles de la grande diversité du vivant terrestre.
Pourtant au-delà de cette grande richesse descriptive allant du plus élémentaire mis en lumière par la biochimie (les composés macromoléculaires), de leur organisation et leur fonctionnement en réseau, jusqu’aux grandes fonctions et propriétés de bases des systèmes vivants : métabolisme, reproduction, homéostasie, hérédité, subsiste une interrogation : qu’est ce qui fait qu’une telle entité matérielle, le vivant, possède ces propriétés remarquables ? En somme pourquoi est-elle vivante ?
La première, née au 19em siècle, s’appuie sur la puissance explicative fournie par les approches évolutionnaires du monde vivant. Grâce à la théorie générale de l’évolution elles procurent une cohérence au foisonnement des êtres vivants. Cette théorie renvoie in fine à des interrogations concernant l’origine naturelle des êtres vivants.
La seconde est liée à l’élargissement du regard connaissant de l’humanité, jalonné par ses avancées théoriques qui autorisent d’embrasser l’univers dans son entier, par les performances techniques mises en œuvre pour l’explorer, et qui conduit nécessairement à poser la question du degré d’universalité de la vie pour en retour stimuler l’approfondissement de notre compréhension du vivant terrestre.
C’est donc également sur le plan scientifique que les principes qui régissent cette structure matérielle qualifiée de vivante doivent être recherchés. Car c’est bien de cela dont il s’agit : naturaliser la formation et la persistance du « vivant » à partir des instruments théoriques développés dans le cadre des différentes approches scientifiques de la vie, en visant une compréhension unifiée, commune à l’ensemble des disciplines scientifiques concernées.
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