Le concept d’alexithymie a été développé à la suite d’observations de la constriction dans le fonctionnement émotionnel chez une clientèle clinique (Krystal, 1974, 1983; Sifneos, 1973). Le terme « alexithymie » fut construit à partir des origines grecques et latines des mots « a » sans, « lexus » mot et « thymos » pour émotion; le tout signifiant ne pas avoir de mot pour exprimer son émotion (Levant, Hall, Williams, & Hasan, 2009; Sifneos, 1973).
L’alexithymie se caractérise par une difficulté marquée à identifier et à exprimer verbalement ses émotions, une vie fantasmatique peu développée et une pensée avec un contenu comportant des éléments concrets (Keltikangas-Hirvinen & Mattlar, 1982). De plus, l’ alexithymie se rapproche de la notion psychanalytique de « pensée opératoire» proposée par Marty et de M’Uzan (1963 , cité dans Zimmermann, Quartier, Bernard, Salamin, & Maggiori, 2007), soit une forme particulière de pensée orientée vers l’ action.
Selon Pedinielli (1992, p.IO), « L’alexithymie est une forme particulière de fermeture au sens des événements internes (émotionnels) et externes. Une fermeture dont le mécanisme et les effets sont totalement différents de ceux de la névrose et de la psychose ( … ) ».
L’alexithymie ne fait pas partie du manuel de diagnostic de santé mentale DSM-5 (APA, 2013) et n’ est pas considérée comme un trouble mental ou une pathologie en soit. L’ alexithymie est un élément parmi de nombreux autres qui caractérisent l’ ensemble de la structure psychique d’ un individu. De plus, ce n’ est qu’ à partir d’ un certain niveau de difficulté à reconnaitre et à exprimer ses émotions que l’ on peut établir la présence d’alexithymie chez un individu (Loas, Fremaux, Marchand, & Chaperot 1995; Porcelli & Mihura, 2010).
L’ alexithymie comprend quatre dimensions: 1) une incapacité à identifier et à exprimer verbalement ses émotions et ses sentiments; 2) une limitation de la vie imaginaire; 3) une pensée à contenu pragmatique accompagnée d’un mode d’expression très descriptif abordant plus volontiers les aspects triviaux des évènements vécus sans une véritable élaboration; et 4) un recours à l’ action pour éviter les conflits ou exprimer les émotions (Corcos & Speranza, 2003 ; Pedinielli, 1992). À partir de l’élaboration de ces quatre dimensions de l’alexithymie, un test auto-rapporté, le Toronto Alexithymia Scale (TAS-20), a été construit. Le TAS-20 comprend trois sous-échelles: la « DIF » soit la difficulté à identifier les sentiments, la « DEF » soit la difficulté à décrire les sentiments, et la « EOT » soit l’usage d ‘ une pensée concrète (Bagby, Parker, & Taylor, 1994a, 1994b).
Prévalence, comorbidité et facteurs socioéconomiques reliés à l’alexithymie
Depuis la conceptualisation de l’alexithymie, au début des années 1970, plusieurs recherches s’intéressent à sa prévalence et à la comorbidité qui lui est associée. Comme pour bien des conditions mentales, la prévalence de l’ alexithym ie n’est pas la même chez les hommes que chez les femmes. Toutefois, Pedinielli (1992) a répertorié des contradictions à ce sujet à partir d ‘ une analyse des résultats de recherches, Selon Pedinielli, plusieurs facteurs tels que la diversité des résultats et leurs contradictions l’ amènent à croire que d’autres facteurs pourraient expliquer la prédominance de l’alexithymie retrouvée chez les hommes. fi est important, selon ce dernier, d’interpréter les résultats des études en tenant compte de la présence ou non, chez les sujets, d ‘ une psychopathologie concomitante. Pour Pedinielli, cela explique, en partie du moins, la différence de prévalence entre les sexes. De plus, Kiselica et O’Brien (2001, cité dans Levant et al., 2006) constatent lors d’ un examen de la littérature sur les différences de prévalence d’alexithymie entre les sexes (principalement mesurée par le T AS-20) que la majorité des études ne rapportent pas de différence entre les sexes.
Selon plusieurs auteurs (Levant, 1995, 1998; Levant et al., 1992, 2009), un regard différent sur la prévalence de l’ alexithymie chez les hommes s’impose. Ils considèrent que des formes légères à modérées d’alexithymie se retrouvent plus fréquemment chez les hommes qui ont développé leur identité à se conformer à des normes masculines trad itionnelles.
Ainsi, bien des hommes au cours de leur enfance et de leur vie adulte répriment l’expression de leurs émotions ou de leur vulnérabilité. Ils ont, de ce fait, développé un vocabulaire peu représentatif de leurs ressentis et il leur est plus difficile d’ établir des prises de conscience de leurs émotions (Levant, 1995; Levant et al., 2006). Bien que ces hommes éprouvent de la difficulté à exprimer leurs émotions, ils se retrouvent rarement parmi le groupe d’individus ayant le plus haut niveau d’ alexithymie (Levant, Wu, & Fisher, 1996).
Un apport important, sur l’étude de la prévalence, fut apporté par une recherche nationale effectuée sur un échantillon de 5454 individus finlandais de 30 à 97 ans (Mattila, Salminen, Nummi, & Joukama, 2006). La prévalence sur cette population étudiée se situe à 9,9 %, soit à 8,1 % chez les femmes et à Il ,9 % chez les hommes. On constate donc une différence de 3,8 % supérieure chez les hommes. En analysant les résultats aux sous-échelles du TAS-20, nous constatons qu’ il n’y a aucune différence quant au sexe pour la sous-échelle OIF (difficulté à identifier ses émotions). Toutefois, les résultats aux sous-échelles OOF (difficulté à exprimer ses émotions) et EOT (usage d’une pensée concrète orientée sur les détails externes) sont significativement plus élevés pour les hommes que pour le les femmes. Cependant, la population étudiée est Finlandaise et non pas Nord-Américaine française. Ainsi, il existe possiblement une différence entre ces populations.
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