INTERACTIONS GENE-ENVIRONNEMENT DANS L’ETIOLOGIE DES FENTES ORALES
Définition des fentes orales et notions d’embryologie
Le développement de la face débute dès la 4ème et 5ème semaine de gestation. L’apparition d’une fente orale résulte d’une anomalie de fusion impliquant les bourgeons faciaux et/ou les processus palatins. A la fin de la 5ème semaine, les bourgeons faciaux se sont formés : il s’agit du bourgeon frontal, du bourgeon maxillaire, des bourgeons nasaux internes et externes (Figure 1). Au cours des deux semaines suivantes, le développement de la face progresse considérablement. Le processus maxillaire supérieur se développe et rétrécit la fente buccale d’origine (Figure 2). Les bourgeons nasaux internes se rejoignent et forment en partie intérieure le palais primaire. Les parties intérieures des processus maxillaires supérieurs sont nommées processus palatins. A ce stade du développement, une fente labiale peut se constituer en présence de perturbations dans la fusion du bourgeon nasal interne avec le processus maxillaire supérieur. Une fente labiale peut être uni- ou bi-latérale et peut être associée à une fente du palais primaire (communément appelée fente labiopalatine). Une autre zone de fusion entre le bourrelet nasal externe et le processus maxillaire supérieur forme le sillon lacrymo-nasal, qui se prolongera jusqu’au coin interne de l’œil à la 10ème semaine pour former l’aile du nez. A la 7ème semaine de développement, les processus palatins qui se situent bilatéralement sous le bord de la langue (Figure 3), se redressent (Figure 4) et fusionnent au-dessus de la langue (Figure 5). Cette fusion forme le palais secondaire qui divise l’espace entre le conduit nasal et la cavité buccale définitifs. Une anomalie lors du redressement ou lors de la fusion des processus palatins engendre une fente palatine (partielle ou totale).
Fréquence des fentes orales
Un rapport sur les anomalies craniofaciales issu d’un congrès organisé par l’Organisation Mondiale de la Santé (Global registry and database on craniofacial anomalies, Report of a World Health Organization Registry Meeting on Craniofacial Anomalies, Brazil 2001), estime, en moyenne, qu’un enfant sur 700 naissances vivantes dans le monde en 2001 serait atteint d’une FL/P ou d’une FP.
Mesure par la prévalence
L’étude de la population à risque de fentes orales devrait inclure toutes les conceptions vivantes à la fin du processus normal de fusion. Or il n’est pas possible d’évaluer l’ensemble des conceptions qui se produisent et survivent jusqu’à cette date précoce du développement embryonnaire, ni d’évaluer si une fusion pathologique s’est produite ou non à cette date. L’incidence des fentes orales ne peut donc pas être obtenue. En revanche, il est classique de mesurer la proportion de fentes orales parmi les naissances (d’enfants vivants ou mort-nés) et les interruptions de grossesse se produisant après le premier trimestre, soit la prévalence des fentes orales (Leck 1972).Dans un objectif de recherche étiologique, la mesure de prévalence est cependant limitée et son usage peut entraîner quelques résultats paradoxaux. Lorsqu’une exposition modérée conduit à un risque accru de fentes orales et qu’une exposition intense du même facteur engendre des fausses couches spontanées avant le premier trimestre, cette situation pourrait amener à conclure qu’une réduction du niveau d’exposition est associée à une augmentation de la prévalence des fentes orales.
Hétérogénéité des fentes orales
Les fentes orales sont un groupe de malformations congénitales très hétérogènes selon des éléments cliniques mais aussi étiologiques. Dans les études épidémiologiques à visée étiologique, il est important de distinguer différents types de fentes orales afin de déterminer les facteurs de risque spécifiques. Les fentes orales peuvent être dissociées selon leur forme unilatérale (la plus commune, environ 80% de l’ensemble des fentes orales), ou bilatérale (forme la plus sévère). La ressource OMIM (the Online Mendelian Inheritance in Man) estime la présence de syndrome génétique connu pour environ 15% des fentes orales. Cette proportion est variable selon la définition et la classification d’une fente orale non syndromique : d’autres ressources rapportent entre 2 et 25% de cas syndromiques pour les FL/P, et entre 10 et 50% pour les FP (Saal 2002, Mossey et Little 2002). Parmi les 85% restantes (dites non syndromiques), OMIM estime que la moitié est associée à une autre anomalie ; l’autre moitiée est dite « forme isolée ». Au total, selon la source OMIM, nous pouvons lister 174 désordres mendéliens associés à une FL/P et 312 à une FP (Saal 2002).De façon générale, une FP est plus souvent syndromique ou associée à une autre malformation qu’une FL/P. Le syndrome de Stickler est identifié comme la forme syndromique la plus fréquente des FP (Saal 2002).
Variations temporelles de la prévalence
L’existence d’une tendance temporelle à l’augmentation de la prévalence des fentes orales est très contreversée. Les tendances apparentes peuvent être dues à des meilleurs diagnostics, des processus d’enregistrement plus performants, une mortalité néonatale décroissante, un accroissement du nombre de tératogènes environnementaux… Les meilleures données sur lesquelles nous pouvons baser notre jugement d’une tendance croissante ou décroissante de la prévalence des fentes orales dans le temps, sont les registres qui requièrent des critères et des infrastructures relativement constants dans le temps sur une population géographique définie.Le registre du Danemark, qui intègre un des systèmes d’enregistrement des enfants atteints les plus exhaustifs (depuis 1936) et des procédures rigoureuses d’évaluation, rapporte tout d’abord une augmentation légère de la prévalence des fentes orales jusqu’en 1961, puis des prévalences constantes sur la période de 1962 à 1987, avec environ 1.4 FL/P et 0.8 FP pour 1000 naissances (Christensen 1999a). Une mise à jour récente du registre a permis d’inclure toutes les naissances vivantes du Danemark de 1988 à 2001. Les nouvelles données du registre ne rapportent aucune tendance à la diminution ou à l’augmentation sur cette période de la prévalence des fentes orales non syndromiques (malgré une baisse de la consommation maternelle de tabac pendant la grossesse sur cette période et des recommandations de suppléments vitaminiques en acide folique depuis 1997 au Danemark, Bille et al. 2005b).A partir de registres européens de malformations congénitales, le réseau EUROCAT (EUropean Registry Of Congenital Anomalies and Twins) n’observe pas de tendance globale en Europe en faveur d’un accroissement ou d’une diminution des prévalences de FL/P ou de FP sur la période de 1980 à 2003 (Données de prévalence disponibles sur http://www.eurocat.ulster.ac.uk/).
Variations géographiques de la prévalence
En France, trois systèmes d’enregistrement de malformations congénitales sont disponibles :
1- le registre Centre-Est qui a débuté en 1973 et s’étend aujourd’hui aux régions Rhône-Alpes et Auvergne (environ 90 000 naissances annuelles).
2- un programme à Paris initié en 1975 couvrant les maternités parisiennes (38 500 naissances annuelles)
3- un registre sur la région autour de Strasbourg (limitée au département du Bas-Rhin), débutant en 1979 (13 500 naissances annuelles).
Ces trois registres sont membres du système d’enregistrement d’EUROCAT. Les prévalences de FL/P et de FP mesurées dans ces registres sont présentées dans le Tableau 1. Aucune tendance temporelle n’est observée sur la période de 1987 à 2001. En revanche, des disparités régionales en France sont constatées, particulièrement importantes pour la prévalence des FL/P (de 6.3 à 10.7 FL/P pour 10 000 naissances entre 1997 et 2001).