À l’instar des autres troubles des conduites alimentaires (TCA), l’HB est caractérisée par l’entretien d’un rapport malsain avec la nourriture. Bien que le comportement hyperphagique soit cliniquement observé chez les personnes obèses depuis plusieurs décennies (Stunkard, 1959), son origine est récente en tant que catégorie diagnostique distincte des principaux troubles de la conduite alimentaire tels que la boulimie et l’anorexie mentale. À l’époque, Stunkard reconnaissait la « crise d’hyperphagie » par sa qualité orgiaque et par la prise d’énormes quantités de nourriture dans une période de temps relativement courte. Les individus qui souffraient de ce trouble de suralimentation ou de compulsion alimentaire, actuellement identifié sous le nom d’hyperphagie boulimique (HB), associaient fréquemment ces épisodes de crise boulimique à des événements déclencheurs et qui eux étaient régulièrement suivis d’un sévère inconfort et de sentiments désagréables. L’étymologie latine du mot « hyperphagie » signifie « trop » (hyper) « manger » (phagie).
Depuis le milieu des années quatre-vingt, la communauté scientifique s’est intéressée à l’HB qui était jusqu’alors reconnue comme un sous-ensemble de la boulimie nerveuse (BN). La documentation scientifique et la pratique clinique ont progressivement permis d’identifier l’HB comme un trouble distinct de la BN. Jusqu’à récemment, l’HB se retrouvait dans la dernière édition révisée du Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux (DSM-IV-TR, 2000) , à la fois dans la section des troubles des conduites alimentaires non spécifiés et dans l’annexe B en tant que diagnostic méritant une étude plus approfondie et pour lequel un ensemble de critères provisoires a été créé. D’ailleurs, il était recommandé qu’il soit formellement inclus comme un trouble dans le DSM-5 (Wonderlich, Gordon, Mitchell, Crosby, & Engel, 2009). Le rationnel de la recommandation d’inclusion de l’hyperphagie boulimique (HB) était fondé sur un examen exhaustif des écrits scientifiques. Néanmoins, l’HB ne figure pas parmi les catégories diagnostiques dans la dixième révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10; Organisation mondiale de la santé, 1993). Depuis la sortie du DSM-5, l’HB est officiellement reconnue comme un trouble alimentaire à part entière.
De tous les TCA, l’HB est le trouble du comportement alimentaire qui présente la plus grande prévalence dans la population générale (Swanson, Crow, Legrange, Swendsen, & Merikangas, 2011). À l’instar des autres TCA, l’HB est associée à certains mécanismes d’adaptation et à plusieurs difficultés personnelles ou psychologiques, notamment l’anxiété, l’abus de substances et la dépression (Grilo, White, & Masheb, 2012)
Actuellement, bien que la crise boulimique constitue l’élément fondamental retrouvé dans le diagnostic de boulimie nerveuse (BN), elle est aussi un concept central de l’HB. Toutefois, dans l’HB, la crise ne doit pas être suivie de comportements compensatoires inappropriés ou de contrôle du poids.
Critères diagnostiques de l’hyperphagie boulimique. L’HB est une catégorie diagnostique proposée dans la section Feeding and Eating Disorders du DSM-5 (APA, 2013). Spécifiquement, l’HB y est définie par l’absorption d’une quantité disproportionnée de nourriture lors d’une seule occasion, accompagnée d’un sentiment de perte de contrôle.
L’HB est différente d’une suralimentation occasionnelle (de Zwaan et al., 1994; Striegel-Moore et al., 1998) et son niveau de psychopathologie est comparable aux autres TCA (Masheb & Grilo, 2000; Wilfley, Schwartz, Spurrell, & Fairburn, 2000). De plus, les outils d’évaluation diagnostique disponibles offrent une fidélité suffisante pour établir le diagnostic d’HB (Brody et al, 1994; Nangle, Johnson, Carr-Nangle, & Engler, 1994). Par conséquent, les résultats de ces études scientifiques permettent de considérer que l’HB se conforme aux exigences minimales de fidélité qui requièrent que différents évaluateurs parviennent au même diagnostic même si les mesures sont prises à des temps différents.
Quelques critiques ont été manifestées à l’endroit de l’HB en tant que diagnostic. Wilfley, Wilson et Agras (2003) ont démontré que le manque de traitement exclusif pour l’HB et le fait qu’elle réponde à une variété de traitements non spécifiques, ou même que la rémission soit spontanée, constituent une critique importante du diagnostic. Devlin, Goldfein et Dobrow (2003) soulèvent la possibilité que l’accent mis sur la crise d’HB comme étant la caractéristique centrale d’HB ainsi que la cible principale du traitement puisse ne pas être justifié.
D’ailleurs, la distinction entre la nature subjective et objective de la crise d’HB est objet de controverse dans les écrits scientifiques, tant chez les adultes (Beglin & Fairburn, 1992; Telch, Pratt, & Niego, 1998), les adolescents (Binford, Le Grange, & Jellar, 2005) que les enfants (Marcus & Kalarchian, 2003; Morgan et al., 2002; Tanofsky-Kraff, Faden, Yanovski, Wilfley, & Yanovski, 2005; Tanofsky-Kraff et al., 2004). En effet, certains chercheurs (p. ex., Beglin & Fairburn, 1992; Telch, Pratt, & Niego, 1998) soutiennent que le sentiment de perte de contrôle associé à la crise pourrait être plus représentatif que la quantité de nourriture ingérée.
En somme, malgré la présence de divergences rapportées dans les écrits scientifiques, des données probantes soutiennent la position de l’HB comme une catégorie diagnostique distincte des autres TCA dans la présente édition du DSM (APA, 2013).
Distinctions entre l’hyperphagie boulimique et les autres troubles du comportement alimentaire. Les paragraphes qui suivent recensent les différences entre l’HB et les autres TCA. Par exemple, bien que les TCA soient typiquement des diagnostics qui concernent davantage les femmes, les différences attribuables au genre sont moins prononcées chez les gens souffrant d’hyperphagie boulimique.
Une autre distinction entre l’HB et les autres TCA est le fait que les crises de boulimie récurrentes n’entraînent pas de comportement compensatoire dans le cas de l’HB. C’est là la principale distinction entre l’HB de la BN. À titre d’exemples, dans l’HB, il n’y a pas d’utilisation de médicaments laxatifs, de médicaments amaigrissants (anorexigènes), de diurétiques, ou d’hormones thyroïdiennes, ou encore de comportements tels qu’une hyperactivité sportive ou de vomissement provoqué. L’absence de ces comportements compensatoires est requise pour le diagnostic d’HB.
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