C’est à dessein que le premier chapitre a pour but d’éclairer le concept de l’emprunt comme acte linguistique, nous signalons que certes le phénomène de cet acte n’étant pas nouveau, il s’est produit à de nombreuses reprises dans l’histoire: il est abordé par un certain nombre de linguistes dont Louis Deroy qui lui a consacré toute une thèse. Partons des définitions de ce qui concerne l’emprunt linguistique , nous en citons quelques-unes, en ordre plus ou moins chronologique, celles qui nous semblent non sans importance, tout en essayant de les analyser afin d’avoir une idée claire de ce phénomène.
En premier lieu, la définition que Gaston Paris nous a présentée, relativement longue et compliquée, révèle, sans doute, l’ensemble des éléments sur lesquels se base le phénomène en question. Il considère que les « » emprunts […] que fait un peuple soit à des langues mortes, soit aux idiomes de ses voisins témoignent à la fois des lacunes qui existaient dans son vocabulaire et de sa capacité à accueillir de nouvelles idées ou de nouveaux éléments de culture; ils attestent, en même temps, l’influence exercée sur ce peuple, soit par l’instruction qu’il acquiert, soit par le commerce plus ou moins amical des étrangers avec lesquels il se trouve en rapport».
Dans la définition précédente, plusieurs termes comme: ‘peuple’, ‘langues’, ‘vocabulaire’, ‘accueillir’, ‘nouvelles idées’, ‘nouveaux éléments’, ‘culture’, ‘influence’, ‘étrangers’ et ‘rapport’ peuvent être soulignés en tant qu’éléments dits principaux de l’opération linguistique d’emprunter. En second lieu et d’après Louis Deroy, le terme emprunt correspond à « deux sens distincts: « action d’emprunter » et « chose empruntée ». » Et il a ajouté qu’ »il est inexact […] d’appeler emprunt un élément dont le prêteur n’est pas plus dépourvu après qu’avant et que l’emprunteur n’a ni l’obligation ni l’intention de restituer.
Tout en compliquant la conception simplifiée de l’emprunt déjà mentionnée, (celle que nous venons de schématiser), Deroy nous présente une autre définition de l’emprunt: c’est « une forme d’expression qu’une communauté linguistique reçoit d’une autre communauté. Cela a lieu lorsqu’ » « un groupe d’hommes parlant une langue définie se trouve en relations avec un autre groupe utilisant une langue distincte […]; des mots, des éléments grammaticaux, des significations s’introduisent d’un parler dans l’autre ».
Puisque l’existence de sous-communautés linguistiques est posée, il convient que la définition de Deroy soit complétée ainsi tout en définissant l’emprunt: c’est une forme d’expression qu’une communauté linguistique ou souscommunauté reçoit d’une autre communauté ou sous-communauté, ce qui provoque, par conséquent, le processus par lequel se fait ce transfert. À noter à ce fait que l’une des formes prisées de l’emprunt est le calque que suppose un processus de traduction: nous empruntons non seulement une forme, mais aussi entre autres choses, un sens d’une langue A fournisseuse que l’on fait correspondre à une forme sémantiquement équivalente de la langue B emprunteuse.
D’autres linguistes ont trouvé dans l’emprunt linguistique une autre définition: Georges Matore le considère en tant qu’un « néologisme qu’il définit ainsi « acceptation nouvelle introduite dans le vocabulaire d’une langue à une époque déterminée ».
Contrairement aux linguistes puristes, Gaston Waringhien prend l’emprunt pour « une formule normale de l’évolution des langues et rien ne saurait l’entraver ni même le freiner, ni les moues dégoûtées des puristes ni les sourcils froncés des potentats » .
En troisième lieu, reprenons la notion de l’emprunt comme acte linguistique parmi les autres existant dans toute langue, c’est « le phénomène qui a lieu lorsqu’une langue adopte un terme qui lui est étranger » . Simplement, il s’agit de deux langues qui établissent un certain contact entre elles et dont l’une semble considérée comme ‘emprunteuse’, tandis que l’autre paraît ‘prêteuse’, ‘donneuse’ ou bien ‘fournisseuse’, ayant plus ou moins un plus grand rayonnement.
Nous allons présenter une autre définition de l’emprunt linguistique qui n’est pas au fond très différente de consœur et qui vient rendre plus explicatif l’acte linguistique en question: « Il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B et que A ne possédait pas; l’unité ou le trait emprunté sont eux-mêmes appelés emprunts.
Ce qui est à remarquer dans la définition de Jean Dubois et al. Est que, évidemment, la langue emprunteuse voire le parler A ne possède jamais ce qui a été emprunté au parler B.
Cette définition qui met en relief un échange ou bien un transfert linguistique d’un ‘parler’ vers un autre ‘parler’ vient ignorer par le fait les échanges entre une langue et les éventuels dialectes, patois ou idiomes qu’elle peut englober. Néanmoins, les transferts linguistiques ne reflètent ni des échanges se faisant entre deux parlers (ou langues) distincts, ni même des échanges se formant d’un niveau linguistique vers un même niveau (langue vers langue, dialecte vers dialecte, patois vers patois, idiome vers idiome). Il est évident, par exemple, que la langue française s’est beaucoup servie des termes empruntés dits ‘internes’ tout en intégrant un certain nombre de lexèmes qui concernent l’informatique et qui sont issus du picard (étiquette) , de l’ancien français (amorce, paquet, adresse…) , etc.; la langue française est une langue commune qui comprend ces différents dialectes, patois et idiomes, et qui a donc procédé à des emprunts à l’intérieur de son propre domaine linguistique.
Dans ce sens, la définition de l’emprunt linguistique que nous offre Jean Dubois et al. (1973: 188) se montre, à nos yeux, moins pertinente que celle de Louis Deroy (1980: 18).
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