Définition de la frontière
Souvent cité par les médias, parfois attaché dans de nouvelles expressions « la frontière de l’inconnu », « les frontières du réel », le terme de frontière se fait parfois aussi flou que le concept auquel il se rattache. Afin de poser les bases d’une définition claire qui orientera la suite de ce travail, nous aborderons donc l’origine et les évolutions de ce terme, à la fois par une approche étymologique, mais aussi par une approche chronologique. Les mots qui désignent la frontière ne sont pas les mêmes dans toutes les langues, mais on remarque toutefois une tendance à la multiplication des termes pour une même notion. Les traducteurs hindous, ou chinois, par exemple, donnent plusieurs réponses quand on cherche un équivalent au mot frontière. On peut donc imaginer que cela donne une idée de la complexité du concept auquel il se rattache. Mais nous limiterons notre approche linguistique du terme à la langue française et à la langue anglaise. Concernant le vocabulaire français, Eve-Marie Halba, dans Tropisme des frontières (2004) rappelle que la racine du mot ne provient pas des termes multiples latins (limes et finis) et grecs (horos, péras, terma) qui désignaient la frontière. Ces termes, qui ont en revanche donné lieu à la naissance des mots limites et confins, illustraient une délimitation construite par l’Homme qui matérialisait une propriété, comme un champ, ou un territoire, mais qui pouvait être plus ou moins floue selon la possibilité de la franchir ou la nécessité d’y assurer un contrôle militaire. Cette vision de la frontière a été réutilisée pour les frontières étatiques, aux limites fixes et linéaires.
Le terme « frontière », apparu au XIIIème siècle provient du terme « front », issu de la racine latine « frons » qui signifie le devant des choses, et plus particulièrement le front d’une armée (Halba, 2004). Au moyen âge, le terme frontière était ainsi utilisé pour décrire le parvis d’une église, une façade, mais aussi le front d’une armée. Ce dernier sens, doté d’une connotation militaire qui renvoie à la notion de conflit ou de défense contre des attaques extérieures, est le seul sens originel qui a persisté jusqu’à aujourd’hui. L’utilisation du terme frontière pour désigner la limite entre deux états date en revanche du XIVème siècle. Le terme moyenâgeux se rapproche davantage du terme anglo-saxon « frontier » qu’on peut aujourd’hui traduire par frange pionnière (Guichonnet, Raffestin, 1974). Emprunté à la langue française, il est apparu au XIVème siècle, et désigne une zone créée par l’expansion d’une entité en dehors de son territoire d’origine. Il a été utilisé notamment lors de la conquête de l’Ouest américain. Parallèlement à ce terme, le vocabulaire anglo-saxon possède aussi les mots « border » et « boundary ». Si le premier renvoie à l’idée de limite d’un territoire, le second, apparu au XVIIème siècle fait davantage appel à l’altérité, et fait référence à des situations de conflits, ou autres interactions entre territoires. Portant principalement sur les limites étatiques, il traduit une délimitation précise fixée et maintenue par une centralité (Ibid.).
Si les notions de frontière et de limite ne sont apparues qu’à partir du XIIIème siècle, leur pratique est née avec le désir de créer un territoire et de s’y identifier. Ce sont simplement leur nom et le rôle qu’on leur attribuait qui a changé au cours des siècles. La première notion qu’on peut leur associer est celle de ressources, d’espace vital, qu’il est possible d’assimiler au territoire animal (Wackermann, 2003). Celle-ci fait référence à l’existence de barrières1 pour protéger ces ressources, mais aussi à l’agrandissement de l’espace vital, pour accéder à davantage de ressources. On retrouve alors la notion de frange pionnière. Cette dualité entre une volonté de sauvegarde, et une volonté d’expansion existait déjà dans la notion romaine de « limes » (cf partie A) qui était l’expression d’une séparation entre civilisations. On ne lui prêtait pas un caractère linéaire, mais elle se caractérisait sous forme de zone dotée d’une occupation armée, ou visant à accueillir des colons romains : elle servait ainsi de vitrine pour montrer la puissance militaire et culturelle de l’empire aux barbares, mais aussi de base pour les conquêtes à venir (Guichonnet et Raffestin, 1974).