À l’instar de l’essai, la chronique suit un parcours sinueux depuis sa naissance, et jusqu’au début du XXe siècle, les deux genres se coudoient dans les colonnes des journaux. Déjà, à cette époque, on assiste à la dissolution de la frontière entre l’essai et le journalisme selon l’analyse d’Alexia Kalantzis de l’œuvre de Rémy Gourmont : «Depuis les années 1890, […] le style de ses essais est hybride : l’écrivain passe sans cesse du style journalistique au style plus dense et moins vivant de la démonstration. » Toujours en référence aux articles de Gourmont, elle précise plus loin: « On retrouve ici l’idée de tentative et d’inabouti qui semble caractériser l’essai au cours du siècle.», (Kalantzis, 2014, p.81), ajoutant que Gourmont lui-même établissait un rapprochement entre l’essai et la chronique. Aujourd’hui, il suffit de feuilleter les journaux pour constater que la chronique se taille une place appréciable dans la presse écrite.
Ouvrir un journal amène à découvrir différents genres de textes comme l’éditorial, la critique et bien sûr, la chronique. En pratique, ces genres journalistiques paraissent simples à différencier, mais en théorie, c’est une toute autre histoire… L’essayiste et chroniqueuse à La Presse, Nathalie Collard, a cru bon de remettre les pendules à l’heure dans un texte intitulé Confusion des genres, prenant tout l’espace requis pour définir les différents types de journalistes entre autres : « Le chroniqueur, ou columnist, jouit d’une grande liberté. Il signe des chroniques où il peut exprimer son opinion personnelle, mais il peut aussi réaliser des entrevues ou des reportages qu’il pourra écrire à la première personne. » (Collard, 2014) Les théoriciens s’entendent sur le fait qu’il existe deux grands genres de journalisme, celui de l’information et celui du commentaire. Pour Line Ross, il existe trois catégories de journalisme d’information : rapportée, expliquée, commentée. (Ross, 2005, p. 6) Si elle classe certains types de chroniques dans deux catégories différentes (sans toutefois les préciser), Marc Raboy, lui, différencie les chroniques en deux genres distincts: la chronique spécialisée (information expliquée) et celle d’opinion (information commentée). (Raboy, 1992, p. 174) Force est de constater l’hétérogénéité de la catégorisation de ce genre journalistique, les spécialistes ne distinguant pas toujours les chroniques spécialisée, d’humeur, d’opinion et libre. Si le Conseil de presse du Québec décrit bien les genres rédactionnels d’opinion, la chronique est encore une fois ici considérée de façon globale, la distinction de ses deux branches, d’opinion et spécialisée, semble donc impérative.
DIFFÉRENCIATION DE LA CHRONIQUE LIBRE, D’OPINION ET
SPÉCIALISÉE
Si, à la base, les types possèdent les mêmes caractéristiques, la distinction fondamentale repose sur la liberté du champ d’action, car si la chronique spécialisée est confinée à un seul domaine comme le sport, le cinéma, etc., la chronique d’opinion, libre, d’humeur ou de société dispose, elle, du choix des thèmes traités, variant d’un papier à l’autre, et parfois, à l’intérieur d’un même texte. J’apporterais ici une nuance concernant la dénomination de la chronique, qui pour moi, s’avère fondamentale dans le cadre de cette recherche. Si dans les ouvrages consultés les termes libre et d’opinion semblent synonymes, je me permets ici de les différencier, car selon mon analyse, la chronique d’opinion s’avère plus courte et porte presque toujours sur l’actualité (contrairement à la chronique libre) , le style est très peu littéraire, le ton, le plus souvent impérieux et le point de vue, catégorique. Je pense par exemple à Richard Martineau ou à Denise Bombardier du Journal de Montréal. En contrepartie, la chronique libre bénéficie de plus d’espace, porte majoritairement sur l’inactualité sinon elle traite l’actualité d’un angle personnel, varie souvent les tons et les procédés, se rapproche du style littéraire, et ce, même si l’on sent la recherche journalistique en filigrane. De son côté, Pierre Foglia lui-même donnait une très brève définition de la chronique dans un de ses textes en 1995: «Comme je le dis souvent aux étudiantes en communication qui viennent m’interviewer: une chronique est une tranche de vie. Mais qu’est-ce que la vie? Ah ça, mesdemoiselles. La vie c’est… c’est la vie, mon vieux.» (Bernier, 2015, p.87) Une des définitions de la chronique souvent donnée en référence est celle du journaliste Pierre Sormany. Pour sa part, Benoît Grévisse considère l’importance de l’aspect stylistique de la chronique : «Elle cultive l’opinion, comme l’éditorial le fait, mais sous un mode où la créativité, l’élégance de la forme sont la règle. » (Grévisse, 2008, p.161) Pour Line Ross, la chronique présente des traits spécifiques la rendant aisément reconnaissable, car toujours au même emplacement, c’est le même auteur qui signe la chronique chronique, sa périodicité étant fixe. Quant au style, il se veut en général personnel, vivant, voire piquant. Toujours pour Ross, la chronique est lue tant pour la forme que pour le fond, le style, c’est le chroniqueur! Pour elle, la personnalité de l’auteur est déterminante : «C’est la chronique à chose, à Foglia, Bombardier, […] On la lit pour savoir ce que Chose pense de tout et de rien, comment il en parle, à qui il donne des coups de griffes, à qui il envoie des fleurs ». (Ross, 2005, p. 22) Marc François Bernier suggère que Foglia se dévoile malgré lui: «Mais parlant des autres, il a beaucoup révélé sur lui-même. Ses passions et indignations, ses espoirs et désenchantements, ses coups de cœuret coups de gueule, ses millions de mots ne sont pas lâchés au hasard. Ils l’expriment dans toute sa complexité, ses contradictions et sa continuité. » (Bernier, 2015, p. 379) .
Jean-Claude Picard s’est intéressé à ce phénomène dans un article intitulé La chronique dans les quotidiens québécois: un genre journalistique de plus en plus populaire l’obligeant ainsi à la définir : La chronique est un genre journalistique dont il est périlleux de proposer une définition tellement elle apparaît comme une sorte de fourretout qui, peu importe le sujet traité, se déploie au gré des humeurs et des opinions de son auteur. D’une chronique à l’autre et d’un chroniqueur à l’autre, il est bien difficile de dégager des éléments communs… si ce n’est la totale liberté d’expression dont jouit son auteur. Une liberté qui s’exprime autant dans le choix des sujets et la teneur des propos que dans le style d’écriture. (Picard, 1999, p. 38) .
INTRODUCTION |