Définir et évaluer le développement durable

Définir et évaluer le développement durable

Pour notre part, nous proposons de conserver ce terme plutôt que de lui substituer un terme alternatif (ex : le développement soutenable ou tenable ; la résilience). Convenons que « remplacer un mythe théorique comme celui du développement durable par un autre mythe de même taille théorique [….] ne nous avancerait guère sur le fond » (SINGLETON, 2003: 144). Nous conserverons donc le terme développement durable, mais pour proposer une déconstruction-reconstruction approfondie de ce concept. Ce chapitre présente le cadre méthodologique et théorique mobilisé à cette fin : Dans les trois sections suivantes de ce chapitre, nous proposons une réflexion plus approfondie sur le concept de durabilité, abordé comme une propriété objective (réfutable, démontrée, vérifiée) et générique (qui peut être définie et évaluée quel que soit le système étudié). La formulation de cette théorie de la durabilité va s’appuyer sur la discussion de trois analyses complémentaires : tout d’abord sur une analyse systémique, afin de discuter ce qui fait qu’un système peut avoir –ou pas– la capacité de durer dans son environnement (Section 2) ; ensuite sur une analyse multi scalaire, afin de discuter comment la durabilité d’un système s’articule avec la durabilité d’autres systèmes, sur divers horizons de temps, d’espace et de généralité (Section 3) ; enfin, sur une analyse politique, afin de discuter en quoi toute durabilité est inséparable de relations de pouvoir politique, qui en sont à la fois les causes et les conséquences (Section 4).

Le développement durable a été popularisé suite à la publication du rapport « Our Common Future », remis par la commission Brundtland à l’ONU en 1987. Un court extrait de ce rapport constitue désormais la référence canonique pour définir ce concept : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »(WCED, 1987: 54). Cependant, en dehors de cette référence omniprésente, le développement durable continue de faire l’objet d’une multitude d’acceptions plus ou moins concurrentes (BOUTAUD 2004 ; REMILLARD et WOLFF, 2009). Le consensus actuel ne porte donc pas tant sur une définition substantielle du développement durable (THEYS, 2003a ; LASCOUMES, 2005) que sur une simple reconnaissance commune d’un « doute grave sur le développement » (ILLITCH, 2003: 13), accompagnée de préoccupations variables vis à vis de l’environnement et de la solidarité (HAMNETT, 2003). Faute de consensus sur un contenu précis (CARRIERE, 2005: 101), le développement durable tend donc à rester « un cadre de débat, davantage qu’une prise de position dans ce débat » (LEVY, 2007). Afin d’y voir plus clair, certains auteurs proposent de classer les définitions possibles du développement durable en fonction de leur « degré de durabilité » très faible / faible / fort / très fort (TURNER, 1993), en fonction du degré de substitution jugé possible entre les capitaux technico-économiques et les capitaux naturels. Ce classement permet notamment de catégoriser les principaux courants de pensée du développement durable, présentés ci-après selon un « degré de durabilité » croissant : néolibéralisme, croissance verte, économie de l’environnement, écologie industrielle, Ecole de Londres, croissance zéro, économie écologique, écodéveloppement, décroissance, post-développement, bioéconomie, etc.

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Face à ces deux « paris sur l’avenir », tous deux peu vérifiables ex ante, nous préfèrerons le « pari pascalien » suivant : les connaissances actuelles ne permettent pas de « prédire » l’avenir, mais rien n’empêche toutefois d’évaluer scientifiquement la durabilité de ce développement et de comprendre comment l’améliorer. C’est ce que nous proposons de faire dans cette thèse doctorale, pour le cas du service public d’eau, avec Paris comme principal cas d’étude. Si le développement durable fait l’objet d’un consensus apparent, pourtant ce concept « soulève la méfiance, notamment chez les chercheurs en sciences humaines »(GAGNON, 2008: 336). Certains auteurs en concluent l’absence de norme scientifique du développement durable (THEYS, 2003a), tandis que d’autres y reconnaissent tout au mieux un « paradigme scientifique en construction » (GAGNON, 2008 ; BELL et MORSE, 2003). Cette méfiance, légitime, est liée à la nature même du développement durable, qui appartient « à la fois à l’univers scientifique, qui le fonde en rationalité, et au monde politique, qui le nourrit en potentialité d’action »(GUESNERIE, 2003: 5). – des approches « quasi-évolutionnistes », qui consistent à admettre ne pas savoir ex ante ce qu’est la durabilité, mais qui proposent toutefois de chercher à le définir/l’évaluer en interrogeant de façon ouverte « pourquoi et comment » certains systèmes ont objectivement eu la capacité à durer par le passé, et pourquoi ils pourraient continuer –ou pas– à durer à l’avenir. Ce dialogue entre des propositions théoriques et l’observation des faits empiriques permet de démontrer l’objectivité de l’analyse proposée.

 

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