DÉFICIT BUDGÉTAIRE ET ÉVICTION
Un aspect important de l’évolution des finances publiques, particulièrement depuis le premier choc pétrolier, est la tendance des autorités, dans la plupart des pays, a recourir de manière croissante à l’emprunt pour financer la progression persistante de leurs dépenses. Comme on le relevait au chapitre II, le solde financier des administrations publiques est devenu déficitaire vers le milieu des années 70 et l’est resté depuis, 6 de rares exceptions près. Avec une croissance de la masse monétaire généralement maintenue à des taux modérés, les déficits ont été largement financés par la mise en circulation d’obligations dans le secteur privé non-bancaire. On a exposé, dans ce même chapitre, les conséquences directes qui découlaient de cette évolution, en ce qui concerne le rapport de la dette publique au PIB, les taux d’intérêt et les intérêts servis par les administrations publiques au titre de leur encours d’endettement. II convient toutefois, dans le cadre d’une appréciation d’ensemble des répercussions à long terme de l’activité des adminis- trations publiques, d’envisager encore un certain nombre d’autres incidences économiques du financement de la dépense publique par l’emprunt. Sans entrer dans toute la série des incidences possibles des besoins de financement net du secteur public, on s’en tiendra ici aux effets d’éviction qui ont particulièrement retenu l’attention, tant des économistes que de ceux qui participent au débat politique’. Si l’analyse macro-économique classique reconnaît depuis longtemps l’éventualité de l’éviction, ses répercussions sur l’économie donnent lieu à des préoccupations de plus en plus vives, correspondant non seulement la distorsion persistante de la situation financière des administrations publiques, mais aussi à des analyses plus raffinées des mécanismes qui mènent du déficit budgétaire à une dégradation des performances de l’économie. Dans l’analyse ci-après, on examinera brièvement ces mécanismes de transmission des effets d’éviction, avant de tenter d’éclairer le débat par des résultats tirés de modèles macro-économiques pertinen ts2. De manière générale, on désigne sous le nom d’éviction le phénomène qui conduit l’activité économique du secteur public 6 supplanter celle du secteur privé, l’analyse portant habituellement sur les incidences d’une progression de la dépense
publique financée par l’émission d’un volume accru de titres. Bien que l’ampleur de l’éviction puisse varier selon la forme prise par la dépense publique supplémentaire, la composition de cette dernière n’a en général qu’une portée limitée pour la question de l’éviction comme telle. On ne saurait nier, cependant, que les inquiétudes suscitées par les répercussions d’un déficit budgétaire soient aujourd’hui particu- lièrement vives lorsque celui-ci s’accompagne d’une progression de la consomma- tion et de5 transferts publics. Lorsque l’on examine les effets d’éviction induits par le déficit budgétaire et l’expansion de la dette publique, il est utile de distinguer, d’une part, les répercussions à court terme et de celles long terme et, d’autre part, les répercussions directes des indirectes (cf. Buiter, 1977). Dans une analyse de l’éviction à long terme, les variables qu’on suppose normalement exogènes dans le court terme – notamment les stocks d’actifs et les anticipations – peuvent devenir endogènes, ce qui permet d’apprécier les répercussions d’une modification de la politique économique une fois que ces variables ont pris leur valeur d’équilibre. Dans ce type d’analyse, la question cruciale est le Comportement des facteurs appartenant au secteur privé : il s’agit notamment de savoir dans quelle mesure les titres émis par les administrations publiques pour financer une augmentation du déficit budgktaire seront considérés comme un accroissement de la valeur nette du patrimoine du secteur privé (cf. Barro, 1974). II y a éviction directe lorsque les mesures expansionnistes prises par les pouvoirs publics sont simultanément compensées, en tout ou en partie, par une contraction de la dépense privée. L’exemple le plus évident est celui d’une situation de plein emploi, où une dépense publique supplémentaire est nécessairement compensée en totalité par les ressources soustraites à l’activité du secteur privé. Toutefois, l’éventualité qui présente le plus d’intérêt pour l’action des pouvoirs publics est celle d’une éviction directe intervenant alors même que le plein emploi n’est pas atteint. Ce phénomène peut résulter de diverses formes de comportements (( ultra-rationnels H de la part des particuliers : ainsi, si ces derniers considèrent la consommation publique comme un substitut à la leur ou bien encore les cotisations de sécurité sociale comme un remplacement de l’épargne privée constituée pour leurs vieux jours, une contraction de l’épargne publique (ou un accroissement de la désépargne) sera compensée en tout ou en partie par une progression de l’épargne du secteur privé.