Décors des résidences seigneuriales en Viennois et
Grésivaudan du XIIIe au XVIe siècle
Les contextes géographiques et historiques
Le contexte géographique
Le choix du département actuel de l’Isère a été déterminé d’une part par le grand nombre d’habitats seigneuriaux recensés ; d’autre part, par les nombreux documents qui peuvent indiquer la présence de décors sur les sites dans ce périmètre. L’ensemble du champ de la recherche étant assez vaste et varié du point de vue géographique, il est donc préférable de diviser les zones d’études en deux grandes parties : le Grésivaudan et le Viennois (voir carte I pour l’ensemble des sites étudiés). Ce partage se réfère à un aspect géographique, mais également historique. La carte du département présente un territoire divisé entre hautes montagnes à l’est et basses plaines à l’ouest9. Pour la partie est, la majorité des terres est composée de plusieurs massifs et de plateaux couvrant les territoires de l’Oisans, de Matheysine et des Trièves. Le paysage se transforme en une plaine « Grésivaudan », située entre les massifs de la Chartreuse et de la Belledonne. Ce secteur fait partie de la vallée de l’Isère qui assure la transition entre le haut-Dauphiné (la montagne) et le Bas-Dauphiné (les collines). Nous avons choisi le Grésivaudan comme l’un de nos secteurs d’étude en raison de ses nombreux habitats nobles. Quant à la partie située à l’ouest (Le Bas-Dauphiné), le paysage se caractérise par des vallées et des plateaux offrant des aspects géographiques différents. Certaines vallées, comme celle de Bièvre-Valloire, séparent le plateau des Terres Froides au nord de celui de Chambaran au sud. Vers le nord-est, apparaît le petit plateau calcaire de l’Isle Crémieu. Ce territoire contraste avec les plaines de la vallée du Rhône et celles du pays viennois à l’est. La variété des caractéristiques géographiques de la partie ouest donne lieu à des conditions différentes en matière de construction des sites, que ce soit dans la localisation ou les matériaux. Ces conditions ont donné naissance à des caractéristiques décoratives variées, ce qui aboutit à notre intérêt pour les territoires du Viennois comme autres secteurs d’étude. Ensuite, nous parlerons de ces deux secteurs d’étude dans une approche historique0 (voir la carte II). La carte1 montre le territoire du Dauphiné formant la province qui s’étendait du 9 Chantal MAZARD, Atlas du patrimoine de l’Isère, Edition Glénat., Grenoble, 1998. 0 Il est nécessaire de présenter dans cette partie l’une des approches historiques car elle est étroitement liée à l’aspect géographique dans le fait que nous pouvons déterminer la limite des secteurs d’étude. 1 Laurence BRUCELLE, Isère, terre de châteaux, Arcol., Saint-Chef, 1994. 68 Rhône à la Provence. Le Dauphiné a été divisé en huit bailliages2 au XVe siècle. Ce découpage territorial recouvre aujourd’hui les départements de l’Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes. Avant le XIe siècle, les terres sont disséminées entre Viennois, Grésivaudan et Briançonnais. Puis, du XIe au XIVe siècle, la famille des Guigues d’Albon a employé la politique de la conquête et la politique matrimoniale en reliant des territoires alentours. Néanmoins, comme notre recherche est centré sur l’étude des décors qui nécessite de rassembler un grand nombre d’éléments, il est important d’encadrer les secteurs d’étude pour uniformiser les éléments historiques. Pour cela, nous tenons compte de l’entité d’origine du Dauphiné, c’est-à-dire entre Viennois, Grésivaudan et Briançonnais. Par ailleurs, l’information archéologique due au recensement et à la prospection des sites nous renseigne sur l’existence des habitats nobles et la présence de décors en Grésivaudan et en Viennois3 (les autres bailliages, comme Briançonnais, Embrunais, Gapençais et Baronnies, comportent très peu d’habitats nobles). Nous verrons que le bailliage Grésivaudan et l’une des parties du bailliage Viennois (l’autre partie appartient à la Drôme) correspondent à la limite du département actuel de l’Isère. Le bailliage Terre de la tour se situe également en Isère. Les recherches et la documentation démontrent la présence d’un certain nombre de résidences seigneuriales du fait des lieux des sièges du pouvoir des comtes et des seigneurs. Il est bien logique d’inclure le bailliage de Terre de la tour pour l’un de nos secteurs d’étude, ce qui permet d’obtenir un champ de recherche disposant des mêmes critères. Nous pouvons constater sur la carte que les zones servant de secteurs d’étude concernent les bailliages du Grésivaudan, du Viennois-Valentinois et de Terre de la Tour. Le Grésivaudan représente la partie est et sud-est, tandis que le Viennois-Valentinois englobe le Bas-Dauphiné, le pays de Viennois (ouest) et une partie du département de la Drôme actuels (sud-ouest). La Terre de la Tour inclut les territoires de la moitié nord de l’Isère. . 2 Les bailliages ou baillis (sénéchaux) étaient les officiers de l’administration royale institués vers 85 sur le modèle anglo-normand. En 30, ils s’attachaient à un ressort dénommé bailliage. Les baillis étaient issus de la petite noblesse et de la bourgeoisie. Ce contenu est cité dans la page précédente.
Région du Grésivaudan A.
La vallée de l’Isère (ann 2, carte 2, p 3) Cette région se situe à l’est du département de l’Isère, en suivant le cours de la rivière Isère d’est en ouest, transition naturelle entre la montagne du Haut-Dauphiné et les collines du Bas-Dauphiné. L’Isère offre, entre la Chartreuse et la Belledonne, une large plaine, le Grésivaudan, puis passe par Grenoble et s’étend jusqu’au Rhône. Le paysage est donc marqué par la vallée du Grésivaudan dominé d’un côté par la chaîne cristalline de Belledonne et de l’autre par le massif de la Chartreuse. Ce dernier est plus étroit et certaines industries s’y sont installées. La Belledonne est plus large et mieux étagée, plus favorable à l’agriculture et à l’élevage. Grâce à sa situation géographique privilégiée, la vallée du Grésivaudan est un pays agricole et industriel d’une grande richesse. La région tire avantage de cette situation : d’une part, les terres marécageuses assurent une végétation variée et d’autre part, la localisation sur deux côtés permet une activité agricole mais aussi industrielle. Il existe donc de nombreuses résidences seigneuriales dans la vallée de l’Isère grâce à la fertilité des terres et à l’activité de ses habitants. Diverses recherches archéologiques4 démontrent l’installation des habitats nobles dans la Belledonne et la Chartreuse. Un nombre important de sites (treize sur cinquante-deux) appartenant à cette zone est inventorié dans notre corpus, c’est-à-dire un quart de l’inventaire total. Certains sites sont situés dans la plaine (en bas du vallon) comme la maison forte Hauterives ou la maison forte de la Crosse. Chaque site est composé de plusieurs corps du logis et souvent d’une tour. Un petit nombre de demeures sont à une faible altitude, par exemple Tour Brune, la maison forte du Carre et la maison forte de Veurey. Cette dernière est une tour d’habitation. De plus, un certain nombre de sites se trouve dans des villages situés en hauteur : la maison forte de Boutières, le château de la Frette, le château de Jail, la maison forte de Tournelle ou encore le château de Theys. B. Les montagnes et les vallées du sud-est (ann 2, carte 2, p 3) Ce territoire est dominé par les massifs de l’Oisans, des Grandes-Rousses et de Belledonne couvrant la moitié sud du département. Cette zone présente des vallées enneigées 4 A. MENARD et P. MILLE, Archéologie chez vous n°3 : cantons de Meylan et du Touvet, Centre d’archéologie des musées de Grenoble et de l’Isère, Grenoble, 1984. 70 et des glaciers peu favorables à l’habitation. Par contre, à l’ouest, le Vercors et la Chartreuse, qui se composent de massifs de moyenne altitude et de plateaux suspendus « en balcon », sont plus propices à l’installation d’habitations. Le petit nombre de sites répertoriés s’explique probablement par le paysage qui semble moins avantageux par rapport aux vallées du Grésivaudan. Néanmoins, nous avons supprimé les sites trouvés dans ce secteur lors de la finalisation de notre inventaire en raison de l’état de dégradation des sites.
Région du Viennois
Cette région se divise en deux grandes zones géographiques : tout d’abord le Bas-Dauphiné qui inclut les zones d’étude dans le département actuel de l’Isère, puis la Drôme des collines qui enclot une petite zone étudiée dans le département actuel de la Drôme5 . A. Le Bas-Dauphiné C’est un vaste territoire qui se compose de plusieurs entités géographiques. Intéressonsnous aux caractéristiques de chaque entité pouvant influer sur les caractères architecturaux des résidences seigneuriales et le nombre des sites ajoutés à notre inventaire. 1) L’Ile-Crémieu (ann 2, carte 3, p 4) Il s’agit d’une unité géographique située au nord-ouest de l’Isère. Ce massif, en forme de trapèze, est un vaste plateau regroupant les cantons de Crémieu et Morestel et une partie de Bourgoin. Des plaines encadrent son périmètre. Ce massif est composé essentiellement de couches calcaires. Étant donné qu’il est entouré de plaines d’alluvions et de collines, celles-ci sont formées de dépôts sableux et caillouteux au sud et à l’ouest. Ces alluvions ont donné naissance à des marécages, appelés Terres Basses. Cette zone se trouve au sud-est, aux environs de Morestel. Par ailleurs, le glacier du Rhône qui a recouvert le plateau a laissé au-dessus des zones calcaires des dépôts fertiles dans les parties basses, et parfois des étangs ou des marécages. Le 5 La Drôme des collines appartenait au territoire Viennois-Valentinois, qui incluait durant la période d’étude une partie du Dauphiné (voir la carte II). 71 calcaire, matériau local, est largement utilisé dans les constructions et à l’origine de particularités architecturales telles les toitures de lauzes6 . Nous avons trouvé un grand nombre de maisons fortes dans cette région, dont quatorze sites ont été sélectionnés pour notre inventaire, ce qui constitue le nombre le plus important des sites inventoriés, en comparaison avec les autres secteurs. La majorité des sites se compose d’une maison forte caractérisée par un aspect résidentiel mais aussi défensif, possédant plusieurs types d’éléments architecturaux. La tour maîtresse de plan carré suggère une approche défensive, tandis que des tours secondaires, les corps de logis dotés d’une grande salle, les chapelles et les bâtiments annexes peuvent justifier une approche résidentielle7 . 2) Les Terres Basses et le Val du Dauphiné (ann 2, carte 4, p 5) Les deux entités géographiques concernent la partie au-dessous de l’Ile-Crémieu et au nordouest du département de l’Isère. Pour les Terres Basses, les marais caractérisent la majorité des cantons d’Heyrieux, de la Verpillière, de Bourgoin-Jallieu et de l’Ile d’Abeau. Cette zone constitue un bassin sédimentaire. Dans le canton de Bourgoin-Jallieu, il existe également des dépôts morainiques trouvés dans les plaines et les molasses sableuses. Ces matériaux ont servi à la construction des bâtiments. Le total de cinq sites inventoriés est assez faible par rapport à la vaste superficie de cette zone. Trois des cinq sites se situent à de faibles altitudes tandis que deux autres sites sont dans les plaines. Tous les sites possèdent la taille moyenne composé d’un ou deux corps de logis et au moins d’une tour d’escalier. Le Val du Dauphiné, quant à lui, concerne le canton de la Tour-du-Pin, le Pont-deBeauvoisin et Virieu (canton situé dans le secteur des Terres Froides occidentales8). Ces terres sont occupées par un bassin qui rassemble de nombreux sédiments, des marnes et de l’argile, ce qui ressemble au caractère géographique des Terres Basses. Ces dépôts sont le fruit d’une érosion fournissant des cailloux et des molasses. Au sud du canton de Virieu se trouve le lac de Paladru qui permet d’irriguer les terres agricoles. Les vallées entre les coteaux sont favorables à la végétation. 6 Frédéric ZEGIERMAN, Le guide des pays de France Sud, Edition Libraries Arthème Fayard., Paris, 1999. 7 Olivia PELLETIER et Maryannick CHALABI, « Inventaire des maisons fortes en Crémieu ». Les Terres froides orientales concernent les cantons Grand-Lemps, Rives et Saint-Etienne-de-Saint-Geoire. Seuls deux sites se retrouvent dans notre corpus. Ils se situent en hauteur. Les caractères architecturaux sont similaires de ceux des Terres Basses sauf la maison forte Mollard-Ronde. Celle-ci possède le plan en carré dont les bâtiments entourent la cour centrale. 3) La Bièvre-Valloire (ann 2, carte 6, p 7) La géographie est ici marquée par des vallées et des plaines, en particulier la plaine de Bièvre qui englobe le canton de la Côte-Saint-André et celui de Beaurepaire. Ce dernier comprend une partie de la plaine de Bièvre et une autre de la vallée de la Valloire. Cette vallée sépare le plateau des Terres-Froides (Val du Dauphiné) au nord, de celui de Chambaran au sud. Les terrains sont très fertiles et donc favorables à l’agriculture. Si nous étudions précisément la même carte, le canton de Saint-Vallier du département de la Drôme se situe près de la frontière du département de l’Isère et présente les mêmes aspects géographiques. Toutefois, nous n’avons choisi qu’un site en Isère, le manoir de la Bâtie, en raison de l’intérêt de son décor. Les autres sites ne disposent pas d’une présentation stylistique correspondant à nos critères. Les autres sites, architecturalement beaucoup moins importants, était d’un intérêt mineur et n’ont donc pas été pris en compte dans notre étude. Le site du Manoir de la Bâtie se situe à proximité de la communauté des habitants sur la plaine. Le simple corps de logis doté d’une tour d’escalier suggère la taille modeste de cet habitat noble.
Résumé de la thèse en français |