De nouvelles formes d’expression : le microblogging

De nouvelles formes d’expression : le microblogging

Pour s’exprimer, les nouvelles formes de sociabilité empruntent aussi un canal de communication inédit : le microblogging. Limité à 140 caractères, il s’agit d’un format court qui invite à la concision et à l’esprit de synthèse. L’un des phénomènes qui a participé de sa notoriété depuis son lancement en 2006 est sans nul doute le Live Tweet. A l’origine, il s’agissait de diffuser l’information issue d’une source restreinte pour la partager avec le plus grand nombre, tels que des événements sportifs, meetings, événementiels en tout genre. Le paysage télévisuel est rapidement investi avec des programmes PopIdol91 tels que « Nouvelle Star » ou les séries TV dont l’audience ne cesse de croître. C’est le phénomène de « deuxième écran » où les téléspectateurs enrichissent leur expérience télévisuelle au moyen de smartphone ou tablette afin de la partager avec autrui sur les réseaux socionumériques. La télévision devient sociale ; on parle de Social TV. Pour les acteurs du PAF92, l’enjeu du Second Screen consiste à conserver le téléspectateur captif et limiter au maximum le réflexe de zapping. Aussi l’essor du Transmedia94 est-il étroitement lié à celui du Live Tweet et du Social TV. En 2011, l’affaire DSK est emblématique de ce phénomène. Pour la première fois, des journalistes – à l’extérieur du tribunal pénal de New York – sont pris de court par l’information que diffuse des amateurs – présents dans la salle d’audience – qui tweetent, en direct avec leur smartphone, le déroulement du procès. Le grand public, les people… et bientôt la communauté scientifique mettent à profit les fonctionnalités du Live Tweet à l’occasion de colloques, séminaires, conférences… où il est désormais possible de suivre le fil d’un événement académique via un hashtag dédié. Mais pour mieux intégrer les potentialités de ce canal de communication, médiologique s’il en est un, revenons préalablement sur les caractéristiques intrinsèques du microblogging à travers une recension d’expériences académiques.

 Un nouveau paradigme médiatique 

Le web 2.0 est la transition d’une communication « one to many » _ propre aux medias traditionnels et à l’enseignement _ vers une communication « many to many » caractérisant l’évolution du partage informationnel vers le partage dessavoirs (Quoniam & Zimbardo, 2010). Le principe du microblogging est propice à un changement de paradigme95 où la pédagogie active supplante le modèle transmissif pour lequel le socio-constructivisme reste la seule alternative. En suscitant de riches interactions issues de modalités singulières96, Twitter se prête aux échanges de pair à pair, d’individu à groupes et inversement, en développant une communication multidirectionnelle égalitaire au détriment de l’influence univoque des medias de masse hégémoniques. Si les interactions sociales produites en situation de formation jouent un rôle essentiel dans le processus d’apprentissage (Butera & Darnon, 2005; Mucchielli, 1995; Raynal, Rieunier, & Postic, 2005), Twitter s’avère adapté aux modalités collaboratives où le partage social, conjugué à la fonction phatique du dispositif (Jakobson & Ruwet, 1986), le prédisposent favorablement auprès des étudiants. 

Les usages académiques du microblogging

 L’usage qui nous intéresse particulièrement est le microblogging en contexte académique. Les expérimentations réalisées auprès d’étudiants du secondaire utilisant Twitter dans le cadre pédagogique sont nombreux (Grosseck, 2009; Kieslinger, Ebner, & Wiesenhofer, 2011; Parry, 2008; Pinte, 2010). Pour Grosseck98 (2009), les technologies du web 2.0 se sont développées à travers les blogs, wiki, flux RSS… en inculquant progressivement le partage et la collaboration entre pairs. De fait, une innovation d’un nouveau genre émerge : c’est l’innovation ascendante ou Bottom-Up, celle qui est initiée par des amateurs (Grosseck, 2009). Son étude conclut que l’usage des outils du web 2.0 est particulièrement judicieux dans le cadre d’une approche socioconstructiviste avec des étudiants. A l’Université du Texas, David Parry99 (2008) décrit dans son blog AcademHack100 les multiples manières d’utiliser Twitter dans la sphère académique. Celui-ci constitue un canal de communication original en tant qu’il s’initie en cours et se prolonge à l’extérieur, dans la sphère privée. Mais il est également possible d’exploiter la Timeline publique de Twitter pour faire une veille en temps réel à une échelle globale. Selon Parry, cette expérience – et principalement l’immédiateté des messages – a modifié la dynamique pédagogique comme aucun autre outil ne l’avait jamais permis auparavant (Parry, 2008). Enfin, Twitter permet d’instaurer un esprit communautaire, ce que Clive Thompson101 nomme « Social Sixth Sense », un sixième sens pour les étudiants comparable à une proprioception vis-à-vis des autres membres de la communauté Dans l′Indiana, l’Université de Purdue a intégré Hotseat© à son ENT, un dispositif qui permet aux étudiants de ne plus écouter un cours de façon passive mais d’y prendre part. Sa particularité est que les étudiants peuvent s’y connecter depuis Twitter, Facebook ou n’importe quelle messagerie IRC102, ce qui renforce considérablement le taux d’adhésion. Une enquête réalisée auprès de 2000 répondants et publiée dans Educause Quarterly103 conclut, au même titre que Parry, que le pertinage – contraction de bavardage et pertinent – modifie la dynamique pédagogique sans perturber le déroulement des cours. La méthode permet d’obtenir des opinions de grande valeur qu’il aurait été impossible d’obtenir publiquement. Cette valeur ajoutée dans le cours renforce l’intérêt des étudiants dont le taux d’absentéisme a baissé de façon significative104. Enfin, d’un point de vue pédagogique, connaître les questionnements des étudiants peut fournir de riches informations dans le cadre de l’amélioration des cours. De l’autre côté de l’Atlantique, à l’IUFM d’Aquitaine, un projet pédagogique a été déployé sur deux années auprès d’étudiants en Master Documentation et Systèmes. L’expérimentation met en exergue l’importance des réseaux socionumériques pour la constitution de communautés d’apprentissage. En outre, elle montre l’efficacité de Twitter pour mettre en place des processus d’apprentissage pertinents favorisant la collaboration à travers les liens sociaux réels et la médiation des enseignants (Chomienne & Lehmans, 2012). A Paris, l’École des Hautes Études en Santé Publique fait également usage de Twitter dans le cadre de ses cours magistraux en amphithéâtre105. Une première expérimentation106 s’est déroulée du 3 au 27 janvier 2012 dans un cours d’épidémiologie. Sur les 192 participants, 73 ont répondu au questionnaire portant sur les apports et les limites du dispositif. Il est important de noter qu’une seule minorité de répondants (de l’ordre de 5 %) avait déjà utilisé Twitter en dehors du cadre académique. Moins de la moitié des répondants ont twitté durant le cours et 40 % ont répondu qu’ils ne voyaient pas d’utilité à de tels usages. Cependant 75 % des personnes qui ont twitté y voient plusieurs avantages comme une participation facilitée (dans les conditions d’un auditoire important tel qu’en amphithéâtre), une dynamique pédagogique accrue, une interactivité avec le conférencier. Sur un plan logistique, le procédé permet d’éviter la perte de temps liée au passage du micro parmi les étudiants, d’éviter les prises de parole trop longues et non pertinentes, d’éviter aussi le bruit ambiant. A l’École Centrale de Nantes107, les réseaux sociaux constituent des structures intéressantes pour construire des communautés d’apprentissage : Twitter y est principalement utilisé comme vecteur relationnel entre étudiants, anciens élèves et partenaires industriels. Parmi les principales potentialités identifiées, les usagers disposent d’un outil de veille « temps réel », d’une communauté « ouverte » où le mélange des genres est limité, comparativement à Facebook où les sphères privées et professionnelles ont souvent tendance à s’entremêler (Evain, Magnin, & Moreau, 2010). Les usages expérimentés108 concernent le soutien du présentiel, l’animation pédagogique hors temps universitaire, le principe des échanges en continu et le suivi des projets de fin d’étude. D’autres études, plus controversées, sont relatives aux dispositifs numériques qui président aux choix des étudiants en formations présentielles ou à distance. Les environnements institutionnels de type ENT109 (Cerisier, 2005) sont de plus en plus confrontés à la concurrence croissante des réseaux socionumériques (Facebook, Twitter, Google+) et des dispositifs « collaboratifs » ouverts tels que Google Drive ou Dropbox (Bonfils & Peraya, 2010, p. 14). Une pratique émerge en voyant se développer des environnements virtuels de travail intégrés aux environnements personnels des étudiants et construits sur une logique des besoins et d’usages personnalisés (Attwell, 2007). Les auteurs mettent en exergue la tendance estudiantine visant à inventer une nouvelle « culture » (littératie numérique) et son impact sur la dynamique relationnelle entre acteurs et sur la médiation des savoirs pour une institution telle que l’université. Les auteurs soulignent en outre l’atténuation progressive de la frontière entre l’usage académique et celui qui s’instaure dans la sphère personnelle où les terminaux mobiles ou « objets-ponts » jouent un rôle majeur en favorisant les acquis informels (Bonfils & Peraya, 2012). Mais au-delà de l’analyse interactionnelle, Bonfils & Peraya suggèrent de mesurer l’impact de tels dispositifs sur le plan de la médiation des savoirs ; outre le modèle pédagogique, la conception, la diffusion et l’appropriation des connaissances, il est question des modalités relationnelles et de la posture sachant apprenant in fine. Le secteur éducatif est ainsi confronté à une problématique de taille : les étudiants abandonnent massivement les ENT à la faveur de dispositifs numériques fermés, véritables boîtes noires pour l’Institution qui perd toute trace d’usage. Dans un troisième article, les auteurs décrivent les logiques qui se construisent à partir de propositions individuelles de certains membres qui sont progressivement adoptées par le groupe et qui font l’objet de détournements d’usages des EPA110 appliqués aux environnements de travail collectif (Peraya & Bonfils, 2014). Ces études menées en milieu universitaire constituent des résultats empiriques substantiels pour notre recherche. Celles-ci convoquent les mêmes ancrages théoriques abordées précédemment telles que la genèse instrumentale (Rabardel, 1995) ou le braconnage culturel (Certeau, 1980) sur lesquelles nous allons revenir plus avant (cf § 7.3.4. Détournement de l’ENT au profit de l’EPA). 

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Des prémices d’horizontalité dans le système éducatif 

Face à un public qui s’émancipe, les prémices d’un nouveau paradigme basé sur la participation et la collaboration horizontale apparaissent çà et là, dans différents secteurs. Et c’est aussi le cas dans le secteur éducatif avec l’École42 dont la baseline est éloquente : « la seule école d’informatique entièrement gratuite et peer-to-peer ». Xavier Niel111, son fondateur, est parti du principe que le système éducatif français était dans l’impasse entre l’université, gratuite, mais pas toujours en phase avec les besoins des entreprises et les écoles privées, onéreuses, qui excluent beaucoup de bons profils. Basée sur une pédagogie communautaire, l’École 42 implique ses étudiants dans des projets collaboratifs en valorisant l’apprentissage entre pairs, puisque l’une des particularités de cette école est de ne pas avoir de professeurs (au sens propre), ni de cours et d’être ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Pourquoi ce métier devrait-il être enseigné autrement quand on réfléchit à la devise que l’école arbore « Born2Code » ? Un concept éducatif résolument novateur dont l’objectif est d’être en parfaite adéquation avec les attentes des étudiants s’agissant de valoriser le savoir informel acquis entre pairs et de réduire le clivage entre sphère académique et privée. Pour l’heure, les diplômes dispensés par cette école aux méthodes peu conventionnelles ne sont toujours pas reconnus par l’État.

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