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La scolarité des élèves anormaux
L’éducation et la scolarisation des enfants anormaux
L’évolution des façons de prendre en compte les élèves anormaux à l’école a généré des changements dans le vocabulaire utilisé pour les caractériser, notamment au sein de l’institution scolaire. En effet, Selon Mazereau, (2016, p. 40) « il existe un phénomène de co-engendrement entre désignation des difficultés des élèves et structures de scolarisation qui essentialise les catégories d’élèves ». Ainsi, étudier les différentes politiques d’éducation, le vocabulaire employé et les modalités de scolarisation des élèves anormaux, permet de mieux comprendre la place des normes scolaires et de quelle manière ces changements résonnent encore actuellement.
De l’enfant anormal d’école à l’élève à besoins éducatifs particuliers
A partir de l’étude des politiques éducatives, nous pouvons distinguer trois grandes phases en matière de scolarisation des élèves anormaux, une phase de ségrégation, une phase d’intégration et enfin une phase d’inclusion.
La ségrégation (1909-1982)
Cette première phase débute quelques années après que l’obligation scolaire a été instituée par la IIIe République en 1882. Rendre l’accès à l’école primaire obligatoire pour tous les enfants est vu comme un moyen d’autonomiser les individus et de leur donner accès à un progrès intellectuel et social qui leur permettrait de se dégager des déterminismes familiaux, grâce à leurs compétences et leur mérite (Gutierrez et Séguy, 2013). Il n’est cependant pas encore question d’égalité des chances ; les enseignements primaire et secondaire restent cloisonnés et étanches, ils respectent la distinction entre les classes sociales de l’époque. Il s’agit d’une démocratisation fondée sur ce que Garnier (2013) qualifie « d’équité ségrégée ». Cette notion qualifie le mouvement de pensée qui « argumente en faveur de formes d’éducation diversifiées selon l’origine sociale des enfants » (Mazereau, 2012, p. 31), justifiant les différentes filières du système scolaire à la fin du XIXe siècle. Cette démocratisation est massive et pour le législateur,
« l’école primaire publique doit agir, non sur quelques enfants pris à part, mais sur la masse de la population enfantine. L’enseignement y est nécessairement collectif et simultané ; le maître ne peut se donner à quelques-uns, il se doit à tous ; c’est par les résultats obtenus sur l’ensemble de sa classe et non pas sur une élite seulement que son œuvre pédagogique doit etre appréciée »20.
La classe est donc un lieu ou le groupe prime, où l’enseignant donne la meme chose à chaque élève, sans distinction. Cependant, certains élèves ne s’adaptent pas à ce fonctionnement, -les anormaux-, ils conduisent le ministère de l’instruction publique à s’interroger sur leur place et ce qu’il convient de faire avec eux,
« l’Etat a des devoirs à remplir. Ses obligations ont meme un caractère plus impérieux à l’égard des malheureux etres d’exception : anormaux physiques, anormaux intellectuels, anormaux moraux […] L’instituteur public ne peut accepter ni encore moins garder dans sa classe des enfants incapables de prendre part aux exercices scolaires et dont la présence retarderait la marche des études et serait une cause de désordre, parfois meme de scandale. Ces éliminations s’imposent dans l’intéret de l’immense population normale des enfants de nos écoles. »21
Ainsi, les élèves trop éloignés de la norme des acquisitions de la classe doivent en etre « éliminés » pour ne pas nuire au reste du groupe. Une distinction est faite entre les enfants « anormaux d’école » ou arriérés et les « anormaux médicaux », qui eux, relèvent du soin et non de l’instruction. Ils n’ont donc pas leur place à l’école, comme l’explique en 1907 Aristide Briand, ministre de l’Instruction publique,
« si ces anormaux médicaux doivent rester dans le domaine de l’Assistance publique, comme ils le sont aujourd’hui, pour une part du moins, il n’en est certainement pas de meme des enfants arriérés et des instables. Les arriérés sont, il est vrai, en état de
20 Arreté du 27 juillet 1882 portant sur l’Organisation pédagogique et plan d’études des écoles primaires publiques.
21 Rapport de M. Marcel Charlot, inspecteur général de l’instruction publique, sur la situation au point de vue scolaire des anormaux physiques, intellectuels ou moraux. Cité dans La commission Bourgeois 1904-1905, Document pour l’histoire de l’éducation spécialisée, (1999) textes présentés par Monique Vial et Marie-Anne Hugon, CTNERHI.
débilité mentale, ils ne possèdent qu’une intelligence ou qu’une responsabilité atténuée qui ne leur permet pas d’acquérir, à l’école commune et par les méthodes ordinaires de l’enseignement, la moyenne d’instruction primaire que reçoivent les autres élèves ; mais, avec une éducation spéciale, un enseignement approprié à leurs facultés, on pourrait le plus souvent les mettre en état de ne pas etre, durant leur vie d’adulte, une charge pour la Société22 ».
La gestion de ces élèves est alors externalisée soit vers des établissements médicaux, soit vers des classes de perfectionnement, instituées en 1909 par la Loi du 15 avril 1909, relative à la création de Classes de Perfectionnement annexées aux écoles élémentaires publiques et d’Ecoles autonomes de Perfectionnement pour les Enfants arriérés. Le principe d’éducabilité est affirmé vis-à-vis des anormaux d’école, l’objectif n’est pas d’ostraciser ces élèves, mais de les diriger vers des structures qui vont leur permettre de trouver une place dans la société, -ou tout du moins qu’ils ne restent pas à sa charge indéfiniment-, meme si leur parcours ne passe pas par le cursus scolaire ordinaire. Il s’agit de proposer des formes d’éducation diversifiées, selon les troubles des enfants. Nous retrouvons le principe d’équité ségrégée qui perdurera jusqu’en 1982, « ceci en vertu du principe de justice supérieur selon lequel ces élèves, bien que psychologiquement diminués, ne devaient pas etre écartés des bénéfices de l’instruction » (Mazereau, Ibid., p. 31). Pour déterminer quels sont les élèves qui relèvent des classes de perfectionnement et d’un enseignement spécialisé, « le critère de l’anormalité est établi en référence à une échelle des acquisitions scolaires, étalonnée selon les âges, censée rendre compte de l’intelligence des élèves » (Mazereau, 2012, p. 31). C’est donc la norme scolaire qui prédomine et sert de référence pour catégoriser les élèves.
Bien que ce fonctionnement perdure, des évolutions émaillent cette longue période. A partir de 1943, le gouvernement de Vichy adopte la notion d’enfance inadaptée. Selon sa définition, « est inadapté un enfant, un adolescent ou plus généralement un jeune de moins de vingt et un ans que l’insuffisance de ses aptitudes ou les défauts de son caractère mettent en conflit avec la réalité et les exigences de son entourage » (Chauvière, 1980, p. 275). L’inadaptation s’explique par des insuffisances inhérentes à l’individu, qui, une fois encore, créent une distance avec la norme. Du point de vue de l’école, ce passage de l’anormalité vers l’inadaptation va entrainer un changement de paradigme et déboucher sur la notion d’adaptation scolaire au milieu des années soixante.
Table des matières
Remerciements
Table des matières
Introduction
Partie 1
Les normes de l’école en question
Chapitre 1 : Les valeurs et les normes à l’école.
1.1. Des valeurs et normes institutionnelles aux normes professionnelles.
1.1.1. Les valeurs institutionnelles.
1.1.2. Les normes professionnelles
1.1.3. Les spécificités de l’enseignement privé.
1.2. Des normes à l’émergence d’un élève idéal
Chapitre 2 : La scolarité des élèves anormaux
2.1. L’éducation et la scolarisation des enfants anormaux.
2.1.1. De l’enfant anormal d’école à l’élève à besoins éducatifs particuliers
2.1.1.a La ségrégation (1909-1982)
2.1.1.b L’intégration (1982-2005).
2.1.1.c L’inclusion (depuis 2005)
2.2. Les chiffres de la scolarité inclusive aujourd’hui
2.2.1. Dans le primaire
2.2.2. Dans le secondaire et le supérieur
Chapitre 3 : L’école inclusive, à quelles normes se vouer ?
3.1. Les enseignants au coeur d’un conflit entre les valeurs et les normes
3.2. L’école inclusive, de la normalisation à l’altérité normative
Conclusion.
Partie 2
Le rapport à l’élève idéal : des représentations aux réseaux d’influences
Chapitre 1 : L’élève idéal.
1.1. Qui est l’élève idéal ?
1.1.1. L’élève idéal est-il universel ?.
1.1.2. Vers l’élève idéal français
1.1.2.a Le bon élève et la catégorie sociale des élèves.
1.1.2.b Le bon élève et la catégorie sociale des enseignants.
1.2. A quoi sert, que sert l’élève idéal ?
1.2.1. L’élève idéal et le triangle pédagogique
1.2.2. Les méthodes pédagogiques et élève idéal
1.2.3. Les fonctions et la place de l’élève idéal dans la classe
1.3. Elève idéal et élève à besoins éducatifs particuliers (EBEP)
Chapitre 2 : Des représentations sociales, au rapport à l’élève idéal
2.1. Les représentations sociales : repères théoriques
2.1.1. La structure d’une représentation sociale : la théorie du noyau central
2.1.2. Les fonctions d’une représentation sociale
2.2. L’élève idéal est-il un objet de représentations sociales ?
2.3. Lorsqu’il est question des enseignants, parle-t-on plutôt de représentations professionnelles ?
2.4. Le rapport à l’élève idéal
Chapitre 3 : Construction et évolution de l’identité professionnelle des enseignants
3.1. La construction de l’identité professionnelle des enseignants est-elle influencée par leurs
représentations (professionnelles et/ou personnelles) ?
3.2. L’identité professionnelle des enseignants et la scolarisation des EBEP
3.3. L’identité professionnelle face aux changements
Chapitre 4 : Les pratiques professionnelles des professeurs des écoles non spécialisés :
pratiques générales et pratiques d’adaptation à destination des EBEP
4.1. De quelles pratiques professionnelles parlons-nous ?.
4.1.1. Les pratiques enseignantes à la lumière du triangle didactique (Houssaye, 1988)
4.2. Les représentations de l’élève idéal des enseignants ont-elles un impact sur leurs pratiques
professionnelles ?
4.3. Quelles sont les pratiques d’adaptation des enseignants à destination des EBEP ?
4.3.1. Dans les écoles et les classes ordinaires
4.3.2. Dans les dispositifs spécialisés de type ULIS
Conclusion.
Partie 3
Méthodologie et Résultats
Préambule : Pourquoi une enquête pluri-méthodologique en trois temps ?.
Chapitre 1 : Le questionnaire
1.1. Recenser et définir les informations à recueillir
1.2. La population visée
1.3. Qui sont les EBEP scolarisés, comment le sont-ils et qu’en pensent les enseignants ?
1.4. Les pratiques et gestes d’adaptation à destination des EBEP
1.5. Le recueil de la représentation de l’élève idéal et de ses éléments centraux.
1.5.1. La technique d’association verbale
1.5.2. La recherche des éléments centraux de la représentation de l’élève idéal.
Chapitre 2 : Les entretiens.
2.1. Les entretiens de groupe : focus groupes
2.1.1. Les objectifs
2.1.2. Le recrutement des participants et la constitution des groupes
2.1.3. Les thématiques et les questions abordées.
2.2. Les entretiens individuels semi-directifs
2.2.1. Les objectifs
2.2.2. Le recrutement des participants.
2.2.3. L’élaboration des thématiques et des questions.
Chapitre 3 : L’analyse des données
3.1. L’analyse descriptive des données.
3.2. L’analyse textuelle des questions ouvertes et des focus groupes
3.2.1. Le traitement préalable des données
3.2.1. L’analyse générale des données textuelles.
3.3. Les typologies d’enseignants.
3.3.1. Les analyses factorielles de correspondance (AFC)
3.4. L’analyse des représentations
3.4.1. L’analyse de contenu.
Les Résultats
Chapitre 4 : Les répondants
4.1. Les participants à notre étude
4.1.1. Les caractéristiques des répondants
4.1.2. Les orientations politiques et religieuses
4.2. Les caractéristiques des participants aux focus groupes
4.3. Les entretiens individuels
Chapitre 5 : L’identité professionnelle
5.1. Que disent les enseignants de leur métier ?
5.1.1. Résultats de l’analyse factorielle des verbatims des focus groupes
5.1.2. Résultats de l’analyse de contenu thématique
5.1.2.a La dimension interpersonnelle du métier
5.1.2.b La dimension impersonnelle
5.1.2.c La particularité de l’enseignement privé.
5.1.2.d Le rapport à la difficulté scolaire
5.1.2.e Le rapport aux normes scolaires
5.2. Les valeurs professionnelles
5.3. L’identité professionnelle face aux changements
Chapitre 6 : La scolarisation des EBEP
6.1. Les donnés issues du questionnaire
6.1.1. Les expériences de scolarisation d’EBEP
6.1.1.a Les modalités de scolarisation.
6.1.1.b Les ressentis des enseignants
6.1.1.c La formation
6.1.1.d Les collaborations
6.1.2. Analyse de la question ouverte sur la scolarisation des EBEP
6.1.2.a L’analyse lexicale
6.1.2.b Les résultats de l’analyse factorielle
6.1.2.c Les typologies d’enseignants
6.1.3. Analyse thématique de contenu.
6.1.4. Analyse des termes spécifiques par modalité
6.1.4.a Termes spécifiques par genre
6.1.4.b Termes spécifiques par âge et par expérience.