De la prise en compte des publics au pouvoir d’agir citoyen
La journée d’étude et ce cahier qui en constitue les actes, ont été réalisés grâce aux contributions combinées de chercheurs et de praticiens, universitaires, consultants ou commanditaires, agents de l’administration d’Etat ou d’administrations territoriales, qui abordent dans leurs pratiques « l’objet » évaluation des politiques publiques, et tout particulièrement ici l’évaluation participative. Chacun de ces contributeurs travaille, pratique, réfléchi l’évaluation à partir d’entrées évidemment différentes, mais nécessairement complémentaires. A l’occasion des travaux menés en commun dans le cadre de la SFE, le souci partagé est de comprendre, analyser et décrire les fonctionnements, les attendus et les enjeux de l’évaluation des politiques publiques (EPP). C’est cette confrontation féconde qui a notamment permis la formulation en 2003 puis 2006 d’une charte de déontologie intéressante pour tous, mais qu’à l’évidence aucune des catégories de protagonistes en présence ne pourrait porter seule en toute crédibilité.6 La réflexion que nous présentons ici sur la question particulière de l’évaluation participative bénéficie aussi de cette dynamique de mise en commun de compétences et de points de vue complémentaires. Nous choisissons d’aborder la question de l’évaluation participative par l’entrée évaluation, c’est-à- dire en la considérant a priori comme une des modalités possibles de mise en œuvre des démarches d’évaluation des politiques publiques. Il serait bien sûr envisageable de l’aborder, au revers, par l’entrée participation, comme une des occurrences possibles des offres de participation publique (Gourgues, 2013). Dans ce second cas, l’évaluation participative s’entend comme une des pratiques par lesquelles se concrétise – tente de se concrétiser – une forme de démocratie participative.
La logique privilégiée ici, évidemment plus cohérente du point de vue qui prioritairement nous rassemble, nous amène plutôt à considérer d’abord un très rapide état des lieux de l’évaluation des politiques publiques, au regard notamment de son positionnement dans le paysage institutionnel français, avant d’en venir plus spécifiquement à sa composante participative. La réforme constitutionnelle de 2008, qui a confié au Parlement le soin d’évaluer les politiques publiques et à la Cour des Comptes celui de l’assister dans cette tâche, est venue confirmer et appuyer le lent processus d’institutionnalisation de l’EPP en France7. Processus toujours aléatoire et fragile, sans doute, sensible aux vents alternants de révision ou de modernisation des politiques ou de l’action publiques, pour un outil toujours réinventé dans un objectif de meilleure gouvernance (Lacouette-Fougère, Lascoumes, 2013), mais néanmoins en voie de consolidation avérée8. Parallèlement, le fait que deux revues de référence y aient consacré chacune à un an d’intervalle un numéro dédié – ouvrages cités en notes – est peut-être le signe d’une reconnaissance effective de l’évaluation des politiques publiques comme approche efficace, efficiente, pertinente… pour une analyse scientifique de l’action publique en situation (WARIN, 2014) ; et parallèlement d’une remise en questionnement du monde universitaire et de la recherche autour de cet objet intéressant et inclassable. La présence, dans ces deux volumes de revues, d’articles de jeunes chercheurs qui ont fait de l’évaluation des politiques publiques leur champ d’études et de recherche, est à cet égard encourageante et significative.
Dans ce contexte, l’évaluation participative apparaît à la fois comme un objectif qui s’impose et comme un terme qui se diffuse, tout en désignant des pratiques peut-être plus diversifiées que ne pourrait le laisser supposer une terminologie a priori commune et englobante. Dans l’article évoqué ci-dessus, Clément Lacouette-Fougère et Pierre Lascoumes situent « …depuis les années 2000, la généralisation d’un modèle d’évaluation à visée démocratique et menée bottom up (qui) reconfigure les rapports des autorités publiques à l’évaluation ». En relation avec cette évolution, précisent-ils : « Les approches fondatrices de type policy analysis et les sciences administratives sont concurrencées par des courants de recherche axés sur l’étude des mécanismes de concertation et de participation9 ». Deux aspects intéressants pour notre réflexion sont soulignés ici : l’émergence de pratiques d’évaluation « à visée démocratique » amène les commanditaires à considérer différemment l’exercice évaluatif ; les arrière-plans théoriques et conceptuels sur lesquels se fonde classiquement la recherche en relation avec l’EPP se trouvent confrontés à d’autres références et d’autres axes d’investigation. L’évaluation participative serait, conceptuellement au moins, un objet composite. Si tant est que la définition proposée – évaluations menées bottom up et à visée démocratique – corresponde effectivement aux évaluations participatives dont nous entendons traiter, peut-être parlerions-nous plus volontiers d’émergence, ou de pratiques encore en cours d’expérimentation, que de véritable généralisation.
Certainement, la question de la participation en démocratie est à l’arrière-plan des objectifs de diversification et d’élargissement des publics susceptibles d’être associés aux processus évaluatifs. Mais aussi, les conditions de réalisation d’une démocratie délibérative ont évidemment à voir avec la question de la qualité et de la précision des débats, des analyses et des jugements évaluatifs découlant de démarches associant les publics. Ce double questionnement exprime une des tensions majeures qui caractérise l’objectif participatif en EPP : associer le plus largement possible (tous ?) les publics de l’action publique, et mener avec eux de façon approfondie l’analyse du fonctionnement de la politique, puis la co-élaboration du jugement évaluatif. C’est notamment ce dont nous parle Gaëlle BARON dans le premier article, sur lequel nous reviendrons ci-après. Associer des catégories de publics le plus diversifiées possibles, même et peut-être surtout si elles ne sont pas en proximité avec les arcanes du fonctionnement .