DE LA FAIBLESSE DES SPECULATIONS DES JEUNES HEGELIENS

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de la philosophie idéaliste de Platon à l’idéalisme absolu de Hegel.

Quand on étudie la philosophie, on s’aperçoit rapidement de la diversité des points de vue. Mais, il ne faudrait pas penser qu’il y a autant de positions philosophiques que de philosophes. En effet les philosophes peuvent être regroupés en grandes tendances selon les similitudes de leurs points de vue sur certaines questions fondamentales de la philosophie.
Suivant cette lancée, nous pouvons dire de l’idéalisme qu’il serait une conception du monde qui place les idées au dessus de la réalité matérielle. L’idéalisme consiste aussi à affirmer que la pensée est la seule réalité immédiate, voire l’unique réalité.
Dès lors au cours de l’histoire de la philosophie et de la pensée d’une manière générale, beaucoup de penseurs ont fait de l’idée la réalité suprême. Le premier et le plus en vue serait Platon. Il a particulièrement élaboré une philosophie idéaliste dans laquelle il distingue le monde des idées du monde sensible. Il faut comprendre que chez Platon, le monde sensible ou terrestre est subordonné à un autre monde, celui des idées ou formes intelligibles, modèles de toute chose. Et au sommet de ce monde intelligible des idées se trouve l’idée du bien qui dépasse toutes les autres idées, et ce Bien se confond avec le divin. Le monde terrestre qui est celui du corps se caractérise selon Platon par le « devenir », « l’erreur », la « passion ». Le philosophe doit le fuir pour accéder au monde des idées. La vraie connaissance suppose « envoyer promener le corps4 ».
Cette ascension vers ce monde de la vérité et du Bien est ce que Platon appelle « dialectique ascendante ». En définitive, chez Platon, les idées saisies par la pensée ou la réflexion sont plus réelles et plus vraies que les objets que nous percevons par nos sens, c’est-à-dire les idées abstraites sont plus réelles que les choses concrètes.
Si nous quittons la philosophie antique, notamment à travers la figure emblématique de Platon, nous verrons aussi que l’idéalisme continue d’être la source qui alimente les bases des réflexions des philosophes même durant l’époque dite moderne. Et à travers celui que l’on considère comme l’un des premiers modernes : Descartes. Descartes, malgré les allures de rationaliste pratique est aussi idéaliste. En effet ce dernier prétend que c’est la chose pensante, l’esprit de l’homme qui est sa véritable nature et non son corps qui n’est que le véhicule matériel de l’esprit : « je ne suis donc précisément parlant qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un Esprit, un Entendement, ou une Raison5 », avant d’ajuster un peu plus loin : « je ne suis pas cet assemblage de membres, que l’on appelle le corps humain6». Si Descartes, en affirmant qu’il est une chose vraie, et vraiment existante et puis s’interroge s’il n’est pas « quelque chose de plus7 », cela signifierait chez lui que prouver l’existence de l’esprit est plus facile que prouver l’existence du corps, donc du monde. Descartes a-t-il tendance à croire que la preuve strictement rationnelle du « je pense, donc je suis » est plus évidente par elle même et se passe de toute preuve matérielle. Ainsi la leçon de Descartes est que, pour connaître soi et le monde, il ne faut surtout pas commencer par ce que nous donne l’expérience de l’homme, être animé et habitant du monde. Le rationalisme cartésien est aussi un idéalisme.
Lorsque l’on parle d’idéalisme absolu, on pense automatiquement à Hegel, mais, Berkeley a développé, lui aussi un certain idéalisme absolu c’est-à-dire une théorie ontologique qui se prononce sur la constitution du monde. Cette théorie affirme que tout ce qui existe est soit un esprit, soit une idée. Tout, y compris le soi disant monde extérieur est réductible à cela. Berkeley soutient que les choses que nous percevons, goûtons, sentons…ne sont rien d’autre que des perceptions. Ce que veut dire Berkeley, c’est que au delà des perceptions rien n’existe. Cet « au-delà », c’est bien sur la matière, c’est ce quelque chose d’extérieur à l’esprit qui accueille les différentes propriétés que je perçois.
Il s’agit à présent de voir le sens et le contenu de ce qui est convenu d’appeler « l’Idéalisme allemand ». « L’idéalisme allemand » est un mouvement de pensée distinctif, et qui cherche à exhiber l’unité philosophique commune entre les pensées de Kant, Fichte, Schelling et Hegel. Tous ces philosophes, prédécesseurs plus ou moins immédiats de Marx, ont développé des thèses idéalistes qui ont voulu amener une révolution, mais une révolution purement intellectuelle. Donc, c’est par une philosophie libératrice que l’Allemagne répond à l’oppression qui est son destin, par une pensée « protestataire et dépassement, démolition et reconstruction8 ». C’est ce qui pousse encore Henri Arvon à affirmer : « comme le creux a un relief, la philosophie allemande, face à une réalité réfractaire et hostile, se taille un royaume de l’esprit, où entourée de normes et de valeurs qu’elle a instaurées en toute souveraineté, elle règne sans partage, elle s’installe dans une sphère d’irréalité9 ».
Kant est considéré comme le fondateur de la philosophie classique allemande, idéaliste. Il apparaît comme celui qui a développé la notion de critique. La critique Kantienne a voulu assurer un fondement solide à la connaissance. La critique telle que Kant la conçoit signifie délimiter, fixer les bornes de l’usage légitime de nos facultés de connaître. La raison éprouve une soif de connaître, c’est un désir inévitable par lequel elle engendre elle même des antinomies. La raison s’imagine qu’elle peut connaître des objets transcendants à l’expérience : les noumènes. Or, la raison ne peut en réalité connaître que des objets sensibles : les phénomènes. Il faut alors, d’après Kant trouver des solutions à ces illusions transcendantales pour mettre un terme aux conflits de la raison avec elle même.
D’un autre côté, Kant appelle « idéalisme empirique » la doctrine qui déclare l’existence des objets dans l’espace, en dehors de nous, soit douteuse et indémontrable, soit fausse et impossible. Kant oppose à cet « idéalisme empirique » sa propre doctrine sous le nom « d’idéalisme transcendantal ». Il appelle « idéalisme transcendantal », dans La critique de la raison pure, la doctrine d’après laquelle nous considérons les phénomènes sans exception comme de simples représentations, non des choses en soi, et d’après laquelle temps et espace ne sont que des formes sensibles de notre intuition, non des déterminations données en elles mêmes ou des conditions des objets en tant que choses en soi. En plus, même si chez Kant, la critique remplit une fonction de limitation, elle a aussi une utilité positive comme usage pratique : l’usage moral.
Après Kant, d’autres penseurs allemands vont continuer les réflexions et mener l’idéalisme vers des sommets plus élevés.
Fichte, que Schopenhauer appelait le « père de la philosophie moderne » allait s’efforcer de porter la philosophie transcendantale de Kant à un point de perfection systématique, mais il va partir de la conscience et développe génétiquement sa vérité. Le premier principe absolu en sa forme comme en son contenu est le Moi absolu. Le Moi constitue le « point suprême » de la philosophie transcendantale. Fichte a essayé de penser le sujet comme un pur agir conscient de soi : Le système de Fichte est appelé : « l’idéalisme subjectif » : il est idéalisme en ce sens qu’il fait de l’idéal le principe de toute existence, il est subjectif en ce qu’il place cet idéal dans le sujet moral considéré comme absolu.
Schelling fut un des représentants de la philosophie de l’idéalisme allemand à l’époque du romantisme. Influencé par Kant et Fichte, il professa une philosophie de la nature dans son livre : Système de l’idéalisme transcendantal. Cet idéalisme dit « objectif » accorde à la nature une réalité équivalente à celle du Moi. Mais Schelling se détache progressivement de la doctrine de la science de Fichte. C’est la nature qui permet à Schelling de résoudre les problèmes de la conception fitchèenne du moi. Chez Fichte, l’idée d’une philosophie de la nature était impossible. La nature ne pouvait être qu’une limitation de la liberté du Moi.
Cette époque philosophique que constitue l’idéalisme allemand connaîtra son couronnement avec Hegel. Hegel est celui qui a marqué fortement la pensée allemande, la philosophie d’une manière générale. Hegel, « l’un des cerveaux les plus athlétiques que le monde ait produit10 », nourrissait l’ambition d’élaborer un système philosophique d’une telle envergure qu’il embrasserait les idées de ses prédécesseurs, tout en livrant le cadre conceptuel nécessaire à une compréhension philosophique du passé et de l’avenir. Une telle visée n’impliquait rien de moins qu’une explication complète de la réalité elle même. C’est pourquoi pour Hegel, l’objet de la philosophie est la totalité de la réalité. Ainsi la pensée hégélienne voulait- elle être, elle aussi, une démonstration, un effort pour expliquer par la raison la totalité du réel. D’où la formule fameuse : « ce qui est réel est rationnel » (c’est –à dire que tout réel s’explique par la raison) et « ce qui est rationnel est réel » (ce qui signifie que tout ce qui est justifié par la raison devient tôt au tard réalité). Ce que Hegel appelle l’Absolu, ou Esprit absolu, c’est précisément cette réalité, en tant que totalité philosophique qui consiste à saisir le déploiement de l’Esprit. Ceci implique tout d’abord de mettre en jeu la structure rationnelle interne de l’Absolu, puis de montrer comment il se manifeste dans la nature de l’histoire humaine : c’est la phénoménologie.
En résumé, on aperçoit que chez Hegel, l’idée a une place importante et un rôle déterminant. C’est ce qui le pousse à affirmer dans la science de la logistique : « l’idée est le vrai en et pour soi, l’unité absolue du concept et de l’objectivité11 ».
Hegel est aussi le penseur de la dialectique. La dialectique est cette puissance d’articulation. Elle est le nom du processus par lequel la loi générale de l’histoire (la raison qui la gouverne) prend en compte les éléments individuels et particuliers qu’elle régit. La dialectique est ce processus par lequel des contraires se trouvent dans une relation d’élaboration réciproque.
Malgré tant de nouveautés et tant d’efforts, Hegel demeure un pur idéaliste, comme d’ailleurs le remarque J. D’hondt, l’un des plus grands spécialistes de la philosophie hégélienne : « Il (Hegel) est idéaliste .Il confond presque toujours l’idéalisme et dialectique. Celle-ci lui semble inconciliable avec des doctrines qu’il reprouve collectivement : le matérialisme, le réalisme, l’empirisme, le sensualisme12 ».
Hegel radicalise son idéalisme ; c’est lui même qui a choisi comme titre de son système : idéalisme absolu, et semble avoir comme mot d’ordre : la substance est sujet, c’est pourquoi conclut J. D’hondt : « il reste bien un métaphysicien traditionnel 13 ».
On voit sans aucune difficulté que depuis l’antiquité avec Platon, jusqu’à Hegel, les idées ont dominé. Avec l’idéalisme allemand, une révolution s’est opérée dans la pensée allemande, mais une révolution purement intellectuelle. L’idéalisme allemand devenu coquille vide et creuse se tourne à l’inconsistance d’une pure idéologie.

Le renversement de l’hégélianisme et de l’idéalisme en générale : la critique de l’idéologie

Marx ne peut en aucune manière être d’accord avec cette conception idéaliste plusieurs fois séculaire. Il ne peut aussi être d’accord avec « la critique de la représentation et de la spéculation illusoire entre le processus de sa formation et son résultat, figé ou aliéné dans la figure d’une idée abstraite d’une généralité vide14 ».
De ce fait, Karl Marx s’attaquera d’une manière très virulente à toute la tradition idéaliste, l’idéalisme allemand en particulier et parmi ses représentants, celui qui incarnait l’idéalisme absolu, Hegel.
Marx prend aussitôt la critique hégélienne à contre pied. L’analyse de Marx consistera à dénoncer l’opération de fabrication qui caractérise la philosophie hégélienne comme toute autre philosophie idéaliste.
A partir de ce moment il devient donc clair qu’une véritable rupture se passe entre Marx et Hegel ou d’une manière générale entre Marx et l’idéalisme comme le souligne précisément Isabelle Garo : « Cette rupture n’est pas seulement une sortie hors de la pensée d’entendement, mais se veut un abandon de la perspective de l’idéalisme dans son ensemble15 ». Marx procédera à un approfondissement de la notion d’idéologie en étudiant des imaginaires sociaux et des représentations politiques en tant qu’elles sont à la fois fidèles et structurantes, expressives et actives.
Mais, qu’est ce que donc l’idéologie ? Ou bien, qu’est ce que Marx entend par « idéologie » ?
Selon Michel Lallement16, l’idéologie désigne initialement un mouvement philosophie qui prend corps en France, à compter de 1795 au sein de l’académie des sciences morales. Toujours selon Lallement, c’est Antoine Destutt De Tracy, auteur des Eléments d’idéologie qui personnifie le mieux cette école « sans grands éclats17 ».
Marx emprunte ce terme d’idéologie et le dote d’une charge critique. En se référant au titre de l’ouvrage de Marx et d’Engels conçue comme critique de la philosophie spéculative : l’Idéologie Allemande, on comprend aisément que le mot « idéologie » n’est pas pris dans le sens de conception du monde propre
à une classe et à une époque, mais dans celui de mystification de la réalité par la spéculation. Marx saisit donc l’idéologie comme système cohérent, non pas produit d’une liberté de pensée individuelle, mais contraignant par rapport aux individus, c’est qu’aussi l’idéologie est elle même un type de rapports entre les formes appartenant à une « structure sociale », elle dépend des conditions d’une classe déterminée. En effet, il se voit clairement qu’il existe bien des représentations trompeuses et pour Marx, la philosophie est une des principales officines de leur production.
En entreprenant donc la critique de l’idéalisme pour opérer un renversement qui donnera un nouveau départ au savoir en vue d’une transformation pratique de la réalité existante, Marx apparaît comme un penseur qui veut radicalement révolutionner la philosophie.
A Kant, il reconnaît d’avoir, par le biais de sa critique, pris en charge cette volonté d’émancipation qui était au cœur du projet des lumières. C’est ainsi que c’est bien à Kant surtout que Marx pensait lorsqu’il disait que les allemands avaient déjà leur révolution intellectuelle avant de réaliser leur révolution politique comme l’ont fait les français en 1789. Mais le legs de Hegel est plus évident. Selon Marx, Hegel a eu le mérite d’avoir réintégré la dialectique dans la pensée philosophique. Pour Marx, Hegel est le philosophe. Il a subi l’influence de Hegel, mais pour bâtir sa conception, il faut passer par la critique de la philosophie du maître.
Dans les systèmes philosophiques de cette époque foncièrement révolutionnaire, la révolution était présente mais uniquement consignée dans la forme de la pensée pure. De ce fait, le salut est à trouver hors de cet idéalisme impuissant.
En 1837, déjà étudiant à Berlin, Marx écrivait à son père : « Partant de l’idéalisme, soit dit en passant, j’ai confronté et nourri avec ce que me fournissaient Kant et Fichte, je suis arrivé à chercher l’idée dans le réel lui même. Si les dieux avaient jadis habité au dessus de la terre, ils en étaient maintenant devenus le centre18 » A partir de cette période les choses avaient commencé à être claires : la philosophie telle qu’elle s’est pratiquée jusqu’ici ne peut plus être une source crédible.
L’opposition à Hegel prend d’abord la forme d’un renversement matérialiste de l’idéalisme hégélien. Le matérialisme n’est rien d’autre qu’un renversement de l’idéalisme hégélien : au lieu que l’Esprit s’extériorise en un monde matériel, c’est le monde matériel qui s’intériorise en pensée. C’est pourquoi le matérialisme est un refus de l’idéalisme hégélien. Dans la post face au capital, Marx définit clairement la différence qui existe entre la méthode hégélienne et la sienne : « Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base de la méthode hégélienne, mais en est l’exacte opposée. Pour Hegel, le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’idée est le démiurge de la réalité, laquelle n’est que la forme phénoménale de l’idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme19 ».
Nous percevons à travers les lignes que nous venons de citer, que Marx prend ses distances par rapport à Hegel et cette distance se traduit par une rupture dans la démarche. Nous comprendrons mieux cette différence de considérer la dialectique, lorsque nous aurons à voir les fondements du matérialisme dialectique.
De prime abord, nous pouvons constater que le thème de l’aliénation occupe une place importante dans les travaux du jeune Marx. Et Marx exprime d’emblée un désaccord total avec Hegel concernant l’aliénation. Selon Marx, l’histoire de l’aliénation jusqu’ici n’a été que l’histoire abstraite. Voyons comment il l’exprime : « toute l’histoire de l’aliénation et de toute la reprise de cette aliénation ne sont donc que l’histoire de la production de la pensée abstraite, c’est à dire absolue, de la pensée logique, spéculative20. » Ceci montre l’inconséquence de la critique de l’aliénation antérieure. Hegel avait pris la richesse, le pouvoir de l’Etat comme des êtres aliénés à l’être humain, mais ce ne sont que des êtres idéaux.
Si nous abordons la question politique, nous trouverons une réfutation du mode de déroulement de la pensée hégélienne, qui est considérée par Marx comme une mystification logique. La formule essentielle sur laquelle Marx exprime son opinion est la suivante : Hegel renverse le rapport du sujet au prédicat ou attribut : « ce qui est important, c’est que Hegel fait partout de l’idée le sujet, et du sujet réel proprement dit, tel que la « disposition politique », le prédicat. Mais le développement s’effectue toujours du côté du prédicat21 ». C’est ce renversement, qui constitue selon Marx, mystère, mystique et mystification de la philosophie idéaliste. L’histoire ne finit pas avec l’Etat moderne. La réalisation du vrai et de la connaissance inventera révolutionnairement des formes nouvelles. L’Etat n’est plus cette puissance comme chez Hegel, il n’est plus le réceptacle de la réalisation de l’Idée et de la pensée. Henri Lefebvre exprime bien cette différence de perception quand il écrit : « La réalisation pratique de la pensée s’accomplit d’après Hegel dans et par l’Etat, alors que pour Marx, seule une révolution théorique et pratique permettra d’aller vers cet accompagnement dans le social22. »
C’est pourquoi, pour Hegel, la réalité vraie est déjà là, pour Marx, elle n’est que possible. Dans la même perspective, Marx critique la façon hégélienne de réfléchir sur le travail. En affirmant que « le seul travail que Hegel connaisse et reconnaisse, c’est le travail spirituel abstrait23 », Marx montre que si Hegel parle du travail, c’est pour spéculer sur un travail abstrait parce qu’il le conçoit comme l’être.
A considérer aussi la perspective historique, nous voyons qu’un fossé s’est creusé entre Hegel et Marx. Hegel fait de l’Esprit absolu l’élément déterminant de l’histoire, il accède à une cette conception en détachant dans chaque période historique, les idées dominantes des classes dirigeantes qui les conçoivent dans des conditions économiques et sociales déterminées, ce qui lui permet de donner à ces idées un caractère absolu et de faire d’elles l’expression du développement de l’Esprit du monde. Ceci constitue la base de la conception idéaliste de l’histoire de Hegel, Marx qui a fait de la lutte des classes, le moteur de l’histoire, rejette cette conception idéaliste. Nous le verrons plus loin lorsqu’il s’agira d’aborder la question de la nouvelle science de l’histoire : le matérialisme historique.
La critique marxienne de la philosophie qui est d’une certaine manière une critique de l’idéologie consiste tout à la fois à chercher pourquoi la conscience théorique est à l’envers et pourquoi le monde est à l’envers. La critique est simultanément une critique de la réalité et de la conscience que les hommes en prennent. Dès lors, la critique de la religion apparaît pour Marx comme une chose primordiale. C’est pourquoi il affirme : « la critique de la religion est la condition de toute critique24. » Il faut commencer par la critique de la religion si l’on veut venir à bout de l’idéologie en vue de rétablir la réalité.
La pensée de Marx est certainement partie d’une critique ou d’une négation de la religion, c’est pourquoi, constate Raymond Aron : « l’athéisme n’est pas un élément surajouté au marxisme de Marx, c’en est un élément intrinsèque, l’inspiration profonde2.5 » La religion apparaît comme la conscience fausse d’un monde faux. La fausseté de la religion a pour origine la fausseté du monde réel. Cela signifie que c’est parce que l’homme ne réalise pas la vérité de son être dans le monde réel, qu’il projette cet être dans les représentations fantastiques de la religion. Marx le clarifie à travers le passage suivant : « la misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple 26 ». La religion est « l’opium du peuple », cette expression très célèbre signifie qu’avec la religion, on fait croire au peuple que son malheur sur terre est un bien et une promesse de salut. La religion est une construction de l’esprit dont le but apparent est de dire le sens de la vie, mais dont la fonction réelle est de masquer une situation intolérable.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : A L’ASSAUT DE LA PHILOSOPHIE IDEALISTE ET SPECULATIVE
CHAPITRE 1 : L’IDEALISME MIS A NU
1.1- De la philosophie idéaliste de Platon à l’idéalisme absolu de Hegel
1.2- Le renversement de l’hégélianisme et de l’idéalisme en général : la critique de l’idéologie
CHAPITRE 2 : DE LA FAIBLESSE DES SPECULATIONS DES JEUNES HEGELIENS
1.2- Le cercle des jeunes hégéliens
1.2- L’inconséquence de la critique jeune hégélienne selon Marx
DEUXIEME PARTIE : DE LA SPECULATION A LA PRAXIS
CHAPITRE 1 : Feuerbach, au delà de Feuerbach
1.1- L’originalité de Feuerbach et son influence sur Marx
1.2- Les défauts du matérialisme de Feuerbach
CHAPITRE 2 : LA FORMATION DU MATERIALISME DIALECTIQUE ET HISTORIQUE
1.2- Les fondements du matérialisme dialectique
1.2- Le matérialisme historique : la nouvelle Science de l’Histoire
TROISIEME PARTIE : MARX EST-IL PHILOSOPHE ?
CHAPITRE 1 : CE QUE PHILOSOPHER VEUT DIRE
1.1- La philosophie comme questionnement théorique
2.1- La philosophie comme sagesse pratique
CHAPITRE 2 : MARX : UN PHILOSOPHE CRITIQUE ET REVOLUTIONNAIRE
1.2- La philosophie comme « faire » : critique et révolution sociale chez Marx
2.2- L’humanisme philosophique de K Marx
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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