Le genre Cryptosporidium comprend des espèces qui infectent l’intestin d’un grand nombre de vertébrés, y compris l’homme. Elles sont la cause de la cryptosporidiose, maladie opportuniste émergente avec un impact considérable chez le patient immunodéprimé, notamment sidéen. Ces protistes infectent aussi des sujets immunocompétents dans toutes les latitudes, en déterminant des diarrhées en général auto-résolutives. Les oocystes hébergeant les sporozoïtes infectants sont éliminés avec les selles des hôtes infectés, contaminent l’environnement, sont fréquemment véhiculés par les eaux où ils gardent leur pouvoir infectieux pendant longtemps, résistant aux désinfectants usuels. Par ailleurs, étant immédiatement infectieux après leur excrétion, ils peuvent être transmis directement par contact inter-humain.
Sans prescription spécifique, rare dans les faits, la détection d’oocystes de Cryptosporidium n’est pas pratiquée lors de l’examen de coprologie parasitaire conventionnel. De plus, la morphologie étant insuffisante à la distinction des espèces de ce genre, leur identification, qui fait appel à des méthodes moléculaires, est rarement pratiquée, notamment dans les pays en développement. Cependant, cette identification constitue le seul moyen de déterminer les sources, les voies et les mécanismes de l’infection, informations essentielles au développement de stratégies rationnelles de prévention.
L’étude de la taxonomie de Cryptosporidium peut être utile pour l’identification de parasites qui infectent l’homme, pour l’évaluation de la signification en santé publique de Cryptosporidium chez les animaux et dans l’environnement, et pour mieux comprendre des sources d’infection et de contamination. Tout ceux-ci favorisera la compréhension de la transmission et de l’épidémiologie de l’infection, et aussi le développement des mesures préventives pour réduire au minimum l’exposition aux infections.
Les marqueurs micro- et minisatellitaires se sont avérés être des outils puissants pour identifier les génotypes de Cryptosporidium et pour évaluer le degré d’échange génique entre eux. Les résultats obtenus récemment par différentes équipes de recherche ont montré que la structure génétique des populations des espèces de Cryptosporidium est à prédominance clonale. Ces observations suggèrent aussi des rôles structurants de la géographie et de l’espèce hôte.
Pour toutes ces raisons, il nous est apparu intéressant d’effectuer une caractérisation génotypique et phénotypique des espèces de Cryptosporidium circulants dans différentes zones géographiques. Au cours du travail de thèse, le premier objectif était donc de caractériser la variabilité génétique des espèces de Cryptosporidium dans différentes régions dont le Venezuela. Rien à propos de ces facteurs n’était connu au Venezuela où la prévalence de l’infection symptomatique ou asymptomatique par Cryptosporidium dans les écoles primaires peut dépasser 50% d’après des données récentes (Miller et al., 2003).
Parallèlement, étant donné le manque actuel de modèles animaux reproductibles de cryptosporidiose, nous nous sommes attelés à mettre au point un tel modèle, afin de mener à bien l’analyse phénotypique des différents isolats parasitaires, et d’étudier des aspects peu connus de l’infection par Cryptosporidium, comme sa physiopathologie. Pour cela, des souris SCID, qui sont déficientes en lymphocytes T et B (Mead et al., 1994; Seydel & Stanley, 1996), traitées avec de la dexaméthasone ont été infectées par voie orale avec des oocystes de différentes espèces parasitaires (Cryptosporidium parvum, C. muris, C. hominis et C. molnari).
Lors de l’analyse histologique des organes de ces souris, une découverte fortuite et surprenante a fait prendre à mon travail de thèse un axe nouveau. En effet, nous avons mis en évidence que la présence de Cryptosporidium était associée à une dysplasie de haut degré au niveau digestif. Pour la première fois, des résultats expérimentaux ont permis de montrer le rôle potentiel de C. parvum dans l’induction de carcinome gastrointestinal.
Cent ans ont passé depuis qu’Ernest Eduard Tyzzer, parasitologue médical distingué de l’Université de Harvard à Boston, publia les premières observations sur Cryptosporidium. Ses publications ont défini la plupart de ce que nous connaissons actuellement sur la biologie et le cycle biologique du parasite (Tzipori & Widmer, 2008). Tyzzer a décrit la présence d’un parasite unicellulaire vivant dans les glandes gastriques de souris de laboratoire (Mus musculus) qu’il a nommé Cryptosporidium muris (Tyzzer, 1907). En 1912, il décrit, toujours chez la souris, l’espèce C. parvum. Il s’agit bien d’espèces distinctes car les oocystes sont de forme et taille différentes. En plus, C. muris est localisé au niveau des glandes gastriques alors que C. parvum est localisé dans l’épithélium intestinal (Ripert & Guyot, 2003). Tyzzer décrivit aussi des stades sexués et asexués chez le parasite, ainsi qu’un attachement aux cellules épithéliales gastriques de l’hôte par le biais d’un organelle spécialisé. Il détailla alors les caractéristiques permettant d’établir un nouveau genre de sporozoaires apparenté aux Coccidies : Cryptosporidium (Tyzzer, 1910).
Équipé d’un microscope optique de l’époque, Tyzzer a identifié des oocystes et observé qu’à la différence d’autres coccidies, l’oocyste peut sporuler lorsqu’il est « attaché » à la cellule hôte, condition indispensable pour l’auto-infection. Bien que Tyzzer, sans microscopie électronique, n’ait pu observer la localisation précise de Cryptosporidium, il a conclu que le parasite qu’il pensait localisé en dehors de la cellule hôte se nourrissait de cette dernière grâce à l’organe d’adhésion. Il a fallu attendre les études utilisant la microscopie électronique en 1978 pour que l’existence des oocystes soit confirmée (Pohlenz et al., 1978). La détection d’oocystes dans les selles est alors devenue la méthode principale de diagnostic de la cryptosporidiose.
En 1955, la description de C. meleagridis, une nouvelle espèce colonisant les intestins de dindons (Meleagridis gallopavo) est faite. Pour la première fois, l’association entre le parasite et des manifestations cliniques est établie (Slavin, 1955). Le parasite est cependant resté ignoré ou considéré comme un organisme commensal jusqu’à sa reconnaissance, par les vétérinaires dans les années 70 comme responsable d’épidémies de diarrhées parfois mortelles dans les élevages de jeunes veaux (Panciera & W., 1971; Pohlenz et al., 1978).
Les premiers cas humains ont été rapportés en 1976, un cas chez une personne immunocompétent (Nime et al., 1976) et un cas chez un patient immunodéprimé (Meisel et al., 1976). Depuis 1980, les cas n’ont cessé d’être diagnostiqués aussi bien chez les patients sidéens, chez lesquels la diarrhée est très sévère engageant le pronostic vital, que chez les immunocompétents chez lesquels la parasitose peut être asymptomatique ou donner une diarrhée aiguë atypique évoluant spontanément vers la guérison (Ripert & Guyot, 2003).
En 1980, Bird et Smith ont étudié sept cas de cryptosporidiose (Bird & Smith, 1980), dont six concernaient des patients immunodeprimés, et ont conclu que « quand les systèmes immunitaires fonctionnent correctement et qu’il n’y a aucun autre désordre gastro-intestinal, Cryptosporidium ne semble pas être un problème, et à ce titre, ce parasite peut être considéré comme parasite pathogène opportuniste ». Mais plus tard il a été montré que cette affirmation n’était que partiellement vraie; bien que les individus immunologiquement compromis deviennent chroniquement – et souvent fatalement – malades, des individus immunologiquement compétents peuvent aussi développer fréquemment une gastroentérite aiguë à cause du parasite (Tzipori & Widmer, 2008).
II. INTRODUCTION |