DE BENJAMIN DE FRATRIE A LA DECOMPENSATION PSYCHIATRIQUE
Le Rang de naissance dans la fratrie et les liens fraternels
Point de vue de la psychanalyse
Pour Freud (8) la compétition fraternelle était une défense contre la réalité œdipienne. L’arrivée du frère cadet était considérée comme un traumatisme pour l’ainé. En 1900, Freud étudia les relations des enfants avec leurs frères : Les enfants ont souvent des désirs de mort, inconscients, envers leurs frères et sœurs, qui se réalisent dans leurs rêves. Ensuite Freud suppose que l’enfant considère que ses frères sont ses antagonistes et sa première attitude est hostile. Plus tard, cette attitude sera remplacée ou bien couverte par une autre plus tendre, par formation réactionnelle. Freud décrit le déplacement des sentiments œdipiens des parents à la fratrie. La vie en fratrie peut offrir une réparation de la déception œdipienne. Avec la naissance des autres enfants, le frère (la sœur) aîné vit des désirs mortels vis-à-vis des nouveaux arrivés et des sentiments d’abandon par sa mère. Ensuite, selon le cas, l’on a le déplacement de l’amour de la mère à la sœur ou la compétition entre frères vis-à-vis de leur petite sœur ou bien le remplacement affectif du père par le frère aîné. De plus, Freud étudie le lien fraternel du point de vue du fantasme qui se résume dans la phrase : Mon père bat cet enfant que je hais. Ceci signifie pour l’enfant que son père n’aime plus cet autre enfant (son frère, sa sœur) mais seulement lui-même. L’enfant est obligé de partager l’amour des parents et par conséquent, la représentation (ou le fantasme) du père qui bat cet enfant haï lui plaît. Freud a également approfondi la jalousie fraternelle quand il décrit la jalousie 4 normale dans l’Œdipe ou «le complexe fraternel ». Ce complexe comporte d’une part le deuil et la souffrance pour l’objet supposé perdu et d’autre part une humiliation narcissique liée aux sentiments hostiles envers le rival. Freud met alors en rapport certains cas d’homosexualité et la forte jalousie fraternelle, envers le frère aîné en particulier. L’évolution du modèle psychanalytique apporte de nouvelles idées très intéressantes. Selon Cahn (9), l’expérience de frustration est fondamentale pour le lien fraternel. L’enfant vit sa première frustration absolue quand il passe du statut d’enfant unique à celui d’aîné de la famille. Cette frustration, essentiellement affective, aboutit à l’hostilité ou d’une façon réactionnelle à une attitude tendre et bienveillante vis-à-vis du frère (la sœur), probablement à travers l’identification à la mère. L’enfant présente alors une solidarité qui exprime le triomphe précaire sur la jalousie. Eiguer, (10) thérapeute familial psychanalytique, insiste sur la dimension narcissique de l’amour fraternel : « Aimer son frère est comme s’aimer soi-même ». Le lien fraternel peut se former par un pôle narcissique de la personnalité. Cette relation se base sur les représentations archaïques et les fantasmes groupaux investis par la famille. D’après Eiguer, les identifications, les alliances secrètes, la transmission de la loi et l’apprentissage se développent dans le lien fraternel. Cette jalousie peut s’exacerber pour arriver jusqu’au désir de sa mort. Lacan, (11) s’est particulièrement intéressé à la relation fraternelle dans son œuvre sur « Les complexes familiaux ». Il étudie les complexes familiaux qui jouent un rôle fondamental sur l’organisation des liens et de la réalité psychique du sujet. 5 Il distingue les trois complexes successifs : Le complexe du sevrage, Le complexe de l’intrusion et le complexe d’Œdipe Dans le complexe de l’intrusion, l’enfant se trouve en face de son frère et l’observe avec une grande curiosité. Il l’imite dans ses mouvements, il essaie de le séduire ou de s’imposer en devenant un vrai spectacle pour lui. Il s’agit de quelque chose de plus qu’un simple jeu : l’enfant tente de se positionner socialement par l’amour, par la comparaison à un autre, c’est-à-dire à son frère ou à sa sœur. Avant sa conception en tant qu’autre, différent de l’enfant, le frère reste une image spéculaire du Moi, neutre, sans sexe. Ce sosie serait alors envahi par des sentiments de désir, autrement dit, par la libido narcissique (homosexuelle). Le sujet différencié par le sosie, ne peut naître que par le processus d’identification. L’ensemble des identifications successives fait le Moi. L’époque de la naissance du deuxième enfant définit sa signification spéciale pour le premier enfant (l’aîné) : plus elle est précoce, plus le complexe de l’intrusion sera fort. L’événement de la naissance du frère amène souvent la réaction de l’aîné par des éléments pathologiques. Si la naissance du frère arrive quand l’enfant (aîné) se sent désespéré suite à son propre sevrage, c’est-à-dire très précocement, c’est la nature des relations entre la mère et « l’intrus » (le frère, la sœur) qui définit les réactions de l’enfant. Si la naissance du frère se passe après la résolution du complexe d’Œdipe, elle sera intégrée dans le contexte des identifications parentales et le frère deviendra digne d’amour ou de haine. Les questions du même, de l’autre, du sosie et du rival se posent dans la rivalité fraternelle qui offre la première occasion de structuration du système défensif de l’enfant. L’agressivité envers l’imago fraternel apparaît après la solution du processus identificatoire et la différenciation entre le frère et le sosie. L’intérêt, l’amour, la jalousie et la curiosité vis-à-vis du frère ouvrent la voie à la vie
L’aîné comme base d’exploration du monde extérieur par le cadet
Dans l’étude de Troupel et Zaouche-Gaudron (19) ayant pour objectif d’examiner l’influence de la qualité du lien d’attachement fraternel sur la socialisation du jeune cadet dans une population constituée de neuf fratries (les cadets sont âgés de 36 à 48 mois et les aînés de quatre à dix ans) et de neuf enfants uniques de 36 à 48 mois, Les résultats indiquent que le cadet utilise le frère aîné comme ressource en cas de difficulté et qu’il va le solliciter en cas de problème. Ensuite, lors du départ ou du retour des parents, l’aîné sécurise son jeune frère qui est beaucoup moins anxieux que l’enfant unique. Conjointement, les résultats indiquent que ces effets sont influencés par la qualité du lien d’attachement du cadet envers son aîné. Ainsi, en ce qui concerne le lien d’attachement fraternel, les conclusions de certains travaux nous donnent des pistes pour postuler que le cadet trouve réconfort auprès de son frère ainé qui est capable de représenter une base sécurisante lui permettant d’aller explorer le monde extérieur.
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